Un an : Parii 8 fr. LE RIRE 10' rue Saint-Joseph, 10
WpartemeBt.^trJlranger.llfr. JOURNAL HUMORISTIQUE ILLUSTRÉ PARAISSANT LE SAMEDI LesmanuscHU ^ dessms non
Six mois : France, 5 fr.Étranger, 6 fr. M. Félix JUVEN, Directeur. — Partie artistique: NI. Arsène ALEXANDRE insérés ne sont pas rendus.
A quoi servent les prix de vertu
A quelques kilomètres de Marly-le-Roi, le village de Saint-Ordi-
nat se dissimule entre deux collines, au creux d'un étroit vallon.
Les habitants de cette petite commune ont des mœurs très
légères. Les jeunes gens courent après les jeunes filles. Les jeunes
filles se laissent attraper.
Un jour, Marcel Prévost, qui passait à bicyclette, s'arrêta à l'au-
berge du « Chat qui miaule », tenue par la veuve Pinon. (On loge
à pied et en tandem.)
Le romancier, si profondément mondain, demanda s'il y avait
dans le pays des demi-vierges.
— Il ne nous en reste même plus, Monsieur! lui déclara la rou-
gissante Mme Pinon, qui était bien une veuve tout entière.
Cette corruption de jeunes hommes et des « demoiselles » attris-
tait réellement le curé, le maire, l'adjoint et les notables de Saint-
Ordinat.
De ces notables, le plus riche, le plus vertueux, était un vieux
gentilhomme : M. le comte de La Réserve.
M. de La Réserve avait été cornette de la Maison du Roi à la
bataille de Denain. Il avait baisé, de Mme de Maintenon, les
mains, et assisté à la première du Misanthrope. C'était tout à
fait un homme d'un autre âge et d'une admirable chasteté.
Quand une jeune fille engrossée venait implorer sa charité sans
borne, il lui donnait quelques louis, en lui disant pour tout repro-
che : « Pourquoi n'avez-vous pas suivi mon exemple? M'avez-vous
jamais trouve dans une pareille position? »
La fille empochait les belles pièces d'or du gentilhomme et
«lï n'avait rien à lui objecter.
M. Dupont. - Je glisse et ]e tombe sur le genou... . Un soir> M' de La Réserve traita le curé, le maire, les conseil-
Mm' Durand. — Heureusement vous aviez votre chapeau. lers municipaux, quelques notables.
— Messieurs, leur dit-il, à la fin du repas, entre deux verres de
Bénédictine (1), je vous ai priés à ce diner pour vous exposer une
idée.
— Voyons, fit le curé de Saint-Ordinat en tendant son verre au
profit de l'œuvre de Saint-Benoit.
— Nous vous écoutons, appuya le maire, en reproduisant le geste
du bon curé.
— Messieurs, affirma le comte, qui se barbouillait le nez de tabac
d'Espagne, la chasteté des filles dépend de la sagesse des garçons.
Rendons vertueux nos jeunes gens, nos filles demeureront pu-
celles.
— Evidemment, approuva le curé, et le seigneur nous bénira.
— Pai^tant de ce principe, continua M. de La Réserve, je con-
sidère que c'est une amère bétise de vouloir faire des rosières. Ce
n'est qu'une demi-mesure. Qu'est-ce que ça peut faire aux garçons
que Ton offre des prix aux filles? Est-ce le moyen de les dégoûter
de faire la cour aux tendrons ?
— Vous parlez d'or, certifia le curé, et vous en donnez.
— Eh bien ! conclut le sage vieillard, j'offre un prix de l,500francs
à l'homme qui sera le plus sage de la commune pendant toute
l'année.
— Pour 1,500 francs, ils seront tous sages, s'écria le maire. Nous
n'aurons que l'embarras du choix parmi les rosiers.
Quand le moment arriva de décerner le prix, le rapporteur de la
commission tint ce langage à ses collègues :
— Messieurs, les naissances illégitimes ont été aussi nombreuses
que par le passé. Cependant tous nos jeunes gens se sont portés
candidats pour avoir la rose de M. le comte de La Réserve et je
dois déclarer que tous la méritent.
— Et comment? demanda le comte interloqué.
— C'est simple comme bonjour, déclara l'adjoint. D'après les rap-
ports de notre vigilant garde-champètre, qui n'a laissé commettre
cette année que 50 infanticides, 18 viols et 14 assassinats, nos
jeunes hommes ne courtisent plus que les filles des communes
voisines, et nos filles ne sont plus enjôlées que par les gars des
environs.
— A la bonne heure! s'écria joyeusement le comte de La Réserve,
le but que nous poursuivons est atteint : la vertu règne à Saint-
Ordinat.
— Je suis tout à fait de votre avis, conclut le curé. Il ne reste
plus qu'à distribuer les prix entre nos garçons.
('î^^c^xi Voilà comment toutes les filles de Saint-Ordinat sont encore en-
courtoisib ceintes et pourquoi tous les garçons sont rosiers.
Après vous, Monsieur Joseph! Edmond Deschaumes.
Monsieur Baptiste! je n'en ferai rien ! (1) Ceci n'est pas une réclame (n. D. L. R.).
WpartemeBt.^trJlranger.llfr. JOURNAL HUMORISTIQUE ILLUSTRÉ PARAISSANT LE SAMEDI LesmanuscHU ^ dessms non
Six mois : France, 5 fr.Étranger, 6 fr. M. Félix JUVEN, Directeur. — Partie artistique: NI. Arsène ALEXANDRE insérés ne sont pas rendus.
A quoi servent les prix de vertu
A quelques kilomètres de Marly-le-Roi, le village de Saint-Ordi-
nat se dissimule entre deux collines, au creux d'un étroit vallon.
Les habitants de cette petite commune ont des mœurs très
légères. Les jeunes gens courent après les jeunes filles. Les jeunes
filles se laissent attraper.
Un jour, Marcel Prévost, qui passait à bicyclette, s'arrêta à l'au-
berge du « Chat qui miaule », tenue par la veuve Pinon. (On loge
à pied et en tandem.)
Le romancier, si profondément mondain, demanda s'il y avait
dans le pays des demi-vierges.
— Il ne nous en reste même plus, Monsieur! lui déclara la rou-
gissante Mme Pinon, qui était bien une veuve tout entière.
Cette corruption de jeunes hommes et des « demoiselles » attris-
tait réellement le curé, le maire, l'adjoint et les notables de Saint-
Ordinat.
De ces notables, le plus riche, le plus vertueux, était un vieux
gentilhomme : M. le comte de La Réserve.
M. de La Réserve avait été cornette de la Maison du Roi à la
bataille de Denain. Il avait baisé, de Mme de Maintenon, les
mains, et assisté à la première du Misanthrope. C'était tout à
fait un homme d'un autre âge et d'une admirable chasteté.
Quand une jeune fille engrossée venait implorer sa charité sans
borne, il lui donnait quelques louis, en lui disant pour tout repro-
che : « Pourquoi n'avez-vous pas suivi mon exemple? M'avez-vous
jamais trouve dans une pareille position? »
La fille empochait les belles pièces d'or du gentilhomme et
«lï n'avait rien à lui objecter.
M. Dupont. - Je glisse et ]e tombe sur le genou... . Un soir> M' de La Réserve traita le curé, le maire, les conseil-
Mm' Durand. — Heureusement vous aviez votre chapeau. lers municipaux, quelques notables.
— Messieurs, leur dit-il, à la fin du repas, entre deux verres de
Bénédictine (1), je vous ai priés à ce diner pour vous exposer une
idée.
— Voyons, fit le curé de Saint-Ordinat en tendant son verre au
profit de l'œuvre de Saint-Benoit.
— Nous vous écoutons, appuya le maire, en reproduisant le geste
du bon curé.
— Messieurs, affirma le comte, qui se barbouillait le nez de tabac
d'Espagne, la chasteté des filles dépend de la sagesse des garçons.
Rendons vertueux nos jeunes gens, nos filles demeureront pu-
celles.
— Evidemment, approuva le curé, et le seigneur nous bénira.
— Pai^tant de ce principe, continua M. de La Réserve, je con-
sidère que c'est une amère bétise de vouloir faire des rosières. Ce
n'est qu'une demi-mesure. Qu'est-ce que ça peut faire aux garçons
que Ton offre des prix aux filles? Est-ce le moyen de les dégoûter
de faire la cour aux tendrons ?
— Vous parlez d'or, certifia le curé, et vous en donnez.
— Eh bien ! conclut le sage vieillard, j'offre un prix de l,500francs
à l'homme qui sera le plus sage de la commune pendant toute
l'année.
— Pour 1,500 francs, ils seront tous sages, s'écria le maire. Nous
n'aurons que l'embarras du choix parmi les rosiers.
Quand le moment arriva de décerner le prix, le rapporteur de la
commission tint ce langage à ses collègues :
— Messieurs, les naissances illégitimes ont été aussi nombreuses
que par le passé. Cependant tous nos jeunes gens se sont portés
candidats pour avoir la rose de M. le comte de La Réserve et je
dois déclarer que tous la méritent.
— Et comment? demanda le comte interloqué.
— C'est simple comme bonjour, déclara l'adjoint. D'après les rap-
ports de notre vigilant garde-champètre, qui n'a laissé commettre
cette année que 50 infanticides, 18 viols et 14 assassinats, nos
jeunes hommes ne courtisent plus que les filles des communes
voisines, et nos filles ne sont plus enjôlées que par les gars des
environs.
— A la bonne heure! s'écria joyeusement le comte de La Réserve,
le but que nous poursuivons est atteint : la vertu règne à Saint-
Ordinat.
— Je suis tout à fait de votre avis, conclut le curé. Il ne reste
plus qu'à distribuer les prix entre nos garçons.
('î^^c^xi Voilà comment toutes les filles de Saint-Ordinat sont encore en-
courtoisib ceintes et pourquoi tous les garçons sont rosiers.
Après vous, Monsieur Joseph! Edmond Deschaumes.
Monsieur Baptiste! je n'en ferai rien ! (1) Ceci n'est pas une réclame (n. D. L. R.).
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1895
Entstehungsdatum (normiert)
1890 - 1900
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 2.1895-1896, No. 53 (9 Novembre 1895), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg