LA CHAMBRE NOIRE
M° Tarnagus, notaire à Gonfle-Bouffigne,- avait
vécu en sage jusqu’à l’âge de cinquante-deux ans,
n’ayant commis qu’une seule folie, celle d’épouser,
vers la quarantaine, une femme de vingt ans plus
loune que lui.
Malheureusement, comme l’a dit l’Ecriture, l’homme
est enclin à l’erreur, et la perfection n’est pas de ce
inonde.
A cinquante-deux ans et trois mois, M° Tarnagus
commit une seconde folie : M° Tarnagus fut pris de
la fièvre photographique.
Je ne dirai point comment cet accident lui arriva,
pour la bonne raison que je l’ignore moi-même. Mais
le fait est là, indéniable : il acheta une photo-jumelle
avec tous ses accessoires et, de cette minute, ne put
voir une maison, un homme, un arbre ou un chien,
sans aussitôt braquer contre lui son appareil.
A grands frais, dans un coin de son jardin, il avait
fait installer une chambre noire, où nulle lumière
blanche ne pénétrait, et l’avait meublée d'une lan-
terne rouge, de sa fontaine et de tous ses petits bo-
caux comme il convient.
Seulement, comme Me Tarnagus n’aimait pas à tri-
poter dans l’eau, par crainte des rhumatismes, il avait
chargé sa femme et un petit clerc du soin de dévelop-
per les plaques.
Le petit clerc était un malin que Mme Tarnagus
ie voyait pas d’un mauvais œil. Même qu’on en ja-
— Allons, mon ami, voici le moment de montrer du courage !
■— Vous pourriez pas remettre ça à demain ?
— Impossible.
— C’est que ce matin j'ai une forte migraine. Dessin de L. burret.
sait à Gonfle-Bouffigne. Aussi, je vous laisse à penser les gorges
chaudes que l’on fit dans le pays quand on sut que Me Tarnagus
enfermait sa femme et son petit clerc des heures durant dans sa
chambre noire.
Le percepteur crut qu’il était de son devoir d’en informer le
notaire. Tout crûment il lui dit la vérité.
— Oh ! vous croyez, fit M° Tarnagus.
— Dame !
— J’y veillerai, conclut le notaire.
Et il y veilla en effet. Au risque d’attraper un bon rhumatisme,
il développa lui-même ses clichés, il s’enferma dans sa chambre
noire.
Mais on jasa bien plus.
— Malheureux ! dit le percepteur. Mais pendant que vous êtes
enfermé, save'.-vous ce qui se passe, dans votre maison, entre votre
femme et le petit clerc ?
Le notaire était atterré.
Huit jours durant il réfléchit.
Puis, le neuvième :
— Zut ! se dit-il, cocu pour cocu,
je préfère l’être dans la-chambre
noire ; de cette façon, j’évite les
rhumatismes : c’est toujours ça
de gagné !
Et, incontinent, il appela sa
femme et l’informa qu’à l’avenir
elle reprendrait ses fonctions avec
le petit clerc.
N’avais-je pas raison de vous
dire que M0 Tarnagus était un
sage?
Rodolphe Bringer.
— Il n’est pas à la mode, votre tuyau de poêle. On les fait très bas, cette année !
Dessin d’Abel Faivbi.
M° Tarnagus, notaire à Gonfle-Bouffigne,- avait
vécu en sage jusqu’à l’âge de cinquante-deux ans,
n’ayant commis qu’une seule folie, celle d’épouser,
vers la quarantaine, une femme de vingt ans plus
loune que lui.
Malheureusement, comme l’a dit l’Ecriture, l’homme
est enclin à l’erreur, et la perfection n’est pas de ce
inonde.
A cinquante-deux ans et trois mois, M° Tarnagus
commit une seconde folie : M° Tarnagus fut pris de
la fièvre photographique.
Je ne dirai point comment cet accident lui arriva,
pour la bonne raison que je l’ignore moi-même. Mais
le fait est là, indéniable : il acheta une photo-jumelle
avec tous ses accessoires et, de cette minute, ne put
voir une maison, un homme, un arbre ou un chien,
sans aussitôt braquer contre lui son appareil.
A grands frais, dans un coin de son jardin, il avait
fait installer une chambre noire, où nulle lumière
blanche ne pénétrait, et l’avait meublée d'une lan-
terne rouge, de sa fontaine et de tous ses petits bo-
caux comme il convient.
Seulement, comme Me Tarnagus n’aimait pas à tri-
poter dans l’eau, par crainte des rhumatismes, il avait
chargé sa femme et un petit clerc du soin de dévelop-
per les plaques.
Le petit clerc était un malin que Mme Tarnagus
ie voyait pas d’un mauvais œil. Même qu’on en ja-
— Allons, mon ami, voici le moment de montrer du courage !
■— Vous pourriez pas remettre ça à demain ?
— Impossible.
— C’est que ce matin j'ai une forte migraine. Dessin de L. burret.
sait à Gonfle-Bouffigne. Aussi, je vous laisse à penser les gorges
chaudes que l’on fit dans le pays quand on sut que Me Tarnagus
enfermait sa femme et son petit clerc des heures durant dans sa
chambre noire.
Le percepteur crut qu’il était de son devoir d’en informer le
notaire. Tout crûment il lui dit la vérité.
— Oh ! vous croyez, fit M° Tarnagus.
— Dame !
— J’y veillerai, conclut le notaire.
Et il y veilla en effet. Au risque d’attraper un bon rhumatisme,
il développa lui-même ses clichés, il s’enferma dans sa chambre
noire.
Mais on jasa bien plus.
— Malheureux ! dit le percepteur. Mais pendant que vous êtes
enfermé, save'.-vous ce qui se passe, dans votre maison, entre votre
femme et le petit clerc ?
Le notaire était atterré.
Huit jours durant il réfléchit.
Puis, le neuvième :
— Zut ! se dit-il, cocu pour cocu,
je préfère l’être dans la-chambre
noire ; de cette façon, j’évite les
rhumatismes : c’est toujours ça
de gagné !
Et, incontinent, il appela sa
femme et l’informa qu’à l’avenir
elle reprendrait ses fonctions avec
le petit clerc.
N’avais-je pas raison de vous
dire que M0 Tarnagus était un
sage?
Rodolphe Bringer.
— Il n’est pas à la mode, votre tuyau de poêle. On les fait très bas, cette année !
Dessin d’Abel Faivbi.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1898
Entstehungsdatum (normiert)
1893 - 1903
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)