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https://doi.org/10.11588/diglit.25440#0631
SOUVENIR DES GRANDES MANŒUVRES
— Lidoire, allez dire au capitaine que nous n’arrivons pas à ren-
contrer la compagnie de manchons blancs qui doit nous faire prison-
niers.
LES POTINS DE PARIS
Par^SNOB
Les Français ont ceci de commun avec les Arabes, c’est qu’ils
aiment faire « parler la poudre ». Cette envie leur prend
généralement, en septembre. Les uns, en bourgeois, vont fusil-
1er des lapins qui n’en peuvent mais; les autres, en uniforme,
se livrent à des combats fantastiques qui prétendent imiter la
guerre, avec cette différence que les fusils ne tuent pas et que
les mitrailleuses ne mitraillent pas.
A part ça...
On nous a cependant affirmé que le général Tremeau— man-
chon rouge —et le général Millet, manchon blanc, avaient reçu
du général de Lacroix l’ordre de se rapprocher le plus possible de
la réa'ité et d’éviter les invraisemblances (!) Ah! le bon billet!
Des escadrons de cavalerie n’en ont pas moins intrépidement
chargé des divisions d’infanterie qui les auraient exterminés à
mille mètres, et des petits pelotons d’infanterie ont vaillamment
enlevé, à la baïonnette, des batteries d’artillerie qui les cou-
vraient moralement de projectiles.
11 est vrai qu’alors les arbitres, les excellents arbitres interve-
naient, et disaient aux cavaliers : « Il y a maldonne, mes enfants,
vous êtes complètement anéantis. Vous n’avez pas l’air de vous
en douter, mais c’est comme ça. Quant à vous, les fantassins,
les mitrailleuses vous ont mis en miettes. Il ne reste pas de vous
un bouton de guêtre. Vous allez donc retourner en arrière et
vous serez considérés comme détruits jusqu’à demain soir, sept
heures. » ^
Et, alors, les cavaliers qui n’en avaient pas moins fourni une
charge magnifique, les fantassins qui avaient fait, sous le grand
soleil, un effort considérable, s’en allaient piteux, sous les quoli-
bets des camarades, peu récompensés, en somme, de leur brio
et de leur entrain. Je n’oserais pas dire que ce système de
sagesse ne présente pas quelques inconvénients. J’ai vu jadis
des manœuvres, où, à un moment donné, on faisait courir ou
galoper nos petits soldats à l’assaut de positions inaccessibles,
au bruit du canon, aux sons de la Marseillaise soufflée par les
cuivres, aux roulements de tambours qui battaient la charge.
C’était fou, c’était « invraisemblable »; mais quel magnifique
spectacle réconfortant, enlevant, bien français, et incitant pour
l’avenir à faire d’héroïques prouesses.
— H y a des moments, disait Dupuis, racontant à sa façon, la
conspiration de Cellamare, dans la Boulangère, où l’on ne peut
pas s’empêcher de faire des bêtises. C’est ce qu’on appelle l'en-
thousiasme.
Aujourd’hui, les graves arbitres ne veulent pas qu’on fasse
des bêtises. Notez bien qu’on en fait tout de même, — heureu-
sement! — on en fera toujours; mais, les restrictions qu’ils im-
posent sont certainement au détriment de l’enthousiasme.
A mon avis, celui qui me semble avoir le mieux compris les
manœuvres, mieux que les Tremeau, les Millet et les Lacro.x,
c est un certain cuirassier nommé Bideau. Quel nom bien mili-
taire! Il rappelle bidon, Bedeau, « le cuirassier Bideau ». Ça a
vraiment de l’allure. Bideau a .'ait, d’ailleurs, déserté, il y a trois
semaines; mais, est-ce que Bonaparte n’a pas brûlé la politesse
a Kléber, en Egypte? Est-ce que Napoléon n’a pas lâché Ney
et la Grande Armée pendant la retraite de Russie? Les grands
esprits ont de ces accès d’indépendance.
Donc, Bideau n’était plus cuirassier, ou plutôt, il n’était plus
dans un régiment de cuirassiers; mais, il était toujours habillé
en cuirassier, ayant conservé le culte de l’uniforme. Or, tant
qu’un homme est vêtu de bleu et de rouge, avec des bottes a
éperons, c’est toujours un soldat.
En vous voyant sous l’habit militaire,
J’ai deviné que vous étiez soldat.
comme disait M. Scribe. Or, pendant les dernières manœuvres,
Bideau, portantlecostume illustré par les héros de Reichshoffen,
arrive à bicyclette, dans une petite commune du Centre. Il est
oppressé, haletant, on sent que, de lui, dépend le sort de la
bataille. Il annonce aux naïfs commerçants qu’il est envoyé par
son colonel pour les prévenir que deux régiments de cuirassiers
vont arriver dans la commune. Il faut du pain, du vin, de la
viande, de l’épicerie', du fromage. Et alors, au milieu de l’allé-
gresse générale, Bideau déjeune chez le boucher, dine chez fie
boulanger et boit chez tous les commerçants heureux des com-
mandos et de Ta bonne aubaine. On le couche aussi, ce sacré
Bideau; et comme il est solide, beau garçon, qu’il mange comme
un ogre et boit comme un Templier, je veux croire qu’il a eu
non seulement bon souper, bon gite, mais aussi... le reste —
hé! he! tout à fait l’image de la guerre.
Le lendemain, dès l’aube, Bideau, bien repu de victuailles et
d’amour, s’arrache aux bras blancs qui veulent le retenir. Il faut
qu’il aille préparer le campement dans une autre localité. Pen-
dant six jours le cuirassier a continué la plaisanterie, man-
geant, buvant et aimant aux frais de l’habitant, annonçant tou-
jours l’arrivée imminente de régiments fantômes qu’on ne voyait
jamais. .9
Il n’v a pas de si bonne facétie qui n’ait une fin. Bideau a
fini par être arrêté; mais quelle magnifique leçon de choses il
adonnée à nos stratèges. Quelle tactique! quelle science du ter-
rain! quelle ingéniosité dans l’art du ravitaillement. On admire
le capitaine de Kœpenick. Mais que vaut l’exploit de ce cor-
donnier, cette farce d’un jour, à côté, de celle de Bideau qui a
vécu, pendant près d’une semaine, sur le pays, semant la joie
sur son passage, apportant l’espérance, la gaîté, l’amour sur sa
bicyclette transformée en char triomphal?
LES MARTYRS DE L’AVIATION
Contre l’Air on part en conquête
Mais l’Air n’est pas, hélas! tant qu’on croit bon eufant.
Et, tenant sa vengeance prête,
Quand on l’attaque il se défend.
— Lidoire, allez dire au capitaine que nous n’arrivons pas à ren-
contrer la compagnie de manchons blancs qui doit nous faire prison-
niers.
LES POTINS DE PARIS
Par^SNOB
Les Français ont ceci de commun avec les Arabes, c’est qu’ils
aiment faire « parler la poudre ». Cette envie leur prend
généralement, en septembre. Les uns, en bourgeois, vont fusil-
1er des lapins qui n’en peuvent mais; les autres, en uniforme,
se livrent à des combats fantastiques qui prétendent imiter la
guerre, avec cette différence que les fusils ne tuent pas et que
les mitrailleuses ne mitraillent pas.
A part ça...
On nous a cependant affirmé que le général Tremeau— man-
chon rouge —et le général Millet, manchon blanc, avaient reçu
du général de Lacroix l’ordre de se rapprocher le plus possible de
la réa'ité et d’éviter les invraisemblances (!) Ah! le bon billet!
Des escadrons de cavalerie n’en ont pas moins intrépidement
chargé des divisions d’infanterie qui les auraient exterminés à
mille mètres, et des petits pelotons d’infanterie ont vaillamment
enlevé, à la baïonnette, des batteries d’artillerie qui les cou-
vraient moralement de projectiles.
11 est vrai qu’alors les arbitres, les excellents arbitres interve-
naient, et disaient aux cavaliers : « Il y a maldonne, mes enfants,
vous êtes complètement anéantis. Vous n’avez pas l’air de vous
en douter, mais c’est comme ça. Quant à vous, les fantassins,
les mitrailleuses vous ont mis en miettes. Il ne reste pas de vous
un bouton de guêtre. Vous allez donc retourner en arrière et
vous serez considérés comme détruits jusqu’à demain soir, sept
heures. » ^
Et, alors, les cavaliers qui n’en avaient pas moins fourni une
charge magnifique, les fantassins qui avaient fait, sous le grand
soleil, un effort considérable, s’en allaient piteux, sous les quoli-
bets des camarades, peu récompensés, en somme, de leur brio
et de leur entrain. Je n’oserais pas dire que ce système de
sagesse ne présente pas quelques inconvénients. J’ai vu jadis
des manœuvres, où, à un moment donné, on faisait courir ou
galoper nos petits soldats à l’assaut de positions inaccessibles,
au bruit du canon, aux sons de la Marseillaise soufflée par les
cuivres, aux roulements de tambours qui battaient la charge.
C’était fou, c’était « invraisemblable »; mais quel magnifique
spectacle réconfortant, enlevant, bien français, et incitant pour
l’avenir à faire d’héroïques prouesses.
— H y a des moments, disait Dupuis, racontant à sa façon, la
conspiration de Cellamare, dans la Boulangère, où l’on ne peut
pas s’empêcher de faire des bêtises. C’est ce qu’on appelle l'en-
thousiasme.
Aujourd’hui, les graves arbitres ne veulent pas qu’on fasse
des bêtises. Notez bien qu’on en fait tout de même, — heureu-
sement! — on en fera toujours; mais, les restrictions qu’ils im-
posent sont certainement au détriment de l’enthousiasme.
A mon avis, celui qui me semble avoir le mieux compris les
manœuvres, mieux que les Tremeau, les Millet et les Lacro.x,
c est un certain cuirassier nommé Bideau. Quel nom bien mili-
taire! Il rappelle bidon, Bedeau, « le cuirassier Bideau ». Ça a
vraiment de l’allure. Bideau a .'ait, d’ailleurs, déserté, il y a trois
semaines; mais, est-ce que Bonaparte n’a pas brûlé la politesse
a Kléber, en Egypte? Est-ce que Napoléon n’a pas lâché Ney
et la Grande Armée pendant la retraite de Russie? Les grands
esprits ont de ces accès d’indépendance.
Donc, Bideau n’était plus cuirassier, ou plutôt, il n’était plus
dans un régiment de cuirassiers; mais, il était toujours habillé
en cuirassier, ayant conservé le culte de l’uniforme. Or, tant
qu’un homme est vêtu de bleu et de rouge, avec des bottes a
éperons, c’est toujours un soldat.
En vous voyant sous l’habit militaire,
J’ai deviné que vous étiez soldat.
comme disait M. Scribe. Or, pendant les dernières manœuvres,
Bideau, portantlecostume illustré par les héros de Reichshoffen,
arrive à bicyclette, dans une petite commune du Centre. Il est
oppressé, haletant, on sent que, de lui, dépend le sort de la
bataille. Il annonce aux naïfs commerçants qu’il est envoyé par
son colonel pour les prévenir que deux régiments de cuirassiers
vont arriver dans la commune. Il faut du pain, du vin, de la
viande, de l’épicerie', du fromage. Et alors, au milieu de l’allé-
gresse générale, Bideau déjeune chez le boucher, dine chez fie
boulanger et boit chez tous les commerçants heureux des com-
mandos et de Ta bonne aubaine. On le couche aussi, ce sacré
Bideau; et comme il est solide, beau garçon, qu’il mange comme
un ogre et boit comme un Templier, je veux croire qu’il a eu
non seulement bon souper, bon gite, mais aussi... le reste —
hé! he! tout à fait l’image de la guerre.
Le lendemain, dès l’aube, Bideau, bien repu de victuailles et
d’amour, s’arrache aux bras blancs qui veulent le retenir. Il faut
qu’il aille préparer le campement dans une autre localité. Pen-
dant six jours le cuirassier a continué la plaisanterie, man-
geant, buvant et aimant aux frais de l’habitant, annonçant tou-
jours l’arrivée imminente de régiments fantômes qu’on ne voyait
jamais. .9
Il n’v a pas de si bonne facétie qui n’ait une fin. Bideau a
fini par être arrêté; mais quelle magnifique leçon de choses il
adonnée à nos stratèges. Quelle tactique! quelle science du ter-
rain! quelle ingéniosité dans l’art du ravitaillement. On admire
le capitaine de Kœpenick. Mais que vaut l’exploit de ce cor-
donnier, cette farce d’un jour, à côté, de celle de Bideau qui a
vécu, pendant près d’une semaine, sur le pays, semant la joie
sur son passage, apportant l’espérance, la gaîté, l’amour sur sa
bicyclette transformée en char triomphal?
LES MARTYRS DE L’AVIATION
Contre l’Air on part en conquête
Mais l’Air n’est pas, hélas! tant qu’on croit bon eufant.
Et, tenant sa vengeance prête,
Quand on l’attaque il se défend.