Et puis, pour les Bavarois, il y a d’autres motifs d’embarras.
J'ai visité, voici quelques années, leur capitale, métropole des
brasseries les plus fameuses et des pâtissières les plus senti-
mentales, et je me souviens d’avoir, en un monument public
fraîchement décoré, admiré une série de fresques représentant
l’histoire militaire de la Bavière.
Cela commençait à la défaite des légions de Varus et finissait
à Sedan. Bien entendu, ces soixante ou quatre-vingts tableaux
ne rappelaient que des journées triomphales. Le choix en était
tout à fait piquant, surtout pour la période 1792-1815.
Grâce au jeu savant des alliances, des lâchages, des volte-face
en plein champ de bataille auxquels la Bavière a excelle pen-
dant la période napoléonienne, les décorateurs de Munich
avaient pu peindre à peu près les batailles de l’époque en y fai-
sant figurer victorieusement les troupes bleu-de-ciel de leur
pays. C’est ainsi qu’on peut lire sur ces murailles historiques (je
ne garantis point les noms, mais l’esprit) : « Victoire des Bava-
rois à Austerlitz, victoire des Bavarois à Friedland, à Eylau, à
la Moskowa... puis, les choses changeant et la Bavière aussi :
victoire des Bavarois à Leipzig, invasion de la France par les
Bavarois en 1814, victoire des Bavarois à Waterloo...
*
* *
Ils causent :
— Alors, impossible même d’imaginer combien de temps cela
durera?
— Impossible. D’ailleurs, ne trouvez-vous pas qu’il est devenu
bien difficile d’imaginer quoi que ce soit, de fixer une réflexion,
de retrouver les allées habituelles de son cerveau ? Notre pensée
s’y promenait autrefois à l’aise, elle y avait ses habitudes. Main-
tenant on ne s’y reconnaît plus... Je crois que l’état d’esprit des
gens du déiuge a dû être dans ce genre-là.
— Il y a, il est vrai, du bouleversement. Tenez, moi, j’étais un
sceptique, du temps où il y en avait, et un indifférent, et un-revenu
LES OUVRIERS DE LA ONZIEME HEURE
— Dis donc, Bucarest, vaudrait peut-être mieux ne pas attendre que
ça sonne? Dessins de L. métivet.
de tout. Maintenant, j’ai dix fois par jour le cœur rompu à la
lecture de ces petits « motifs » de médailles militaires ou de
citations à l’ordre qui paraissent dans les journaux.
— Et moi qui ne goûtais point les plaisanteri s d’un certain
ordre, moi qui ne pardonnais pas même à Feydeau l'emploi lyri-
que qu’il a fait du seau de toilette et du pot de chambre, j’é-
clate de joie à entendre conter comment les soldats prussiens
ayant, dans un château, souillé d’ordures personnelles tous les
sièges d’un salon, un retour de fortune permit à un comman-
dant français d’obliger trois officiers supérieurs ennemis à net-
toyer eux-mêmes le dégât de leurs nobles mains.
— Bravo! Venez avec moi acheter des pipes pour mes turcos.
— Volontiers, où sont-ils?
— Dans une salle d’hôtel des Champs-Elysées. C’est là qu’hier
ils m’ont dit comment ils gardaient leurs prisonniers...
— Racontez ?
— Eh bien, comme tous voulaient aller se battre et qu’aucun
ne consentait à rester en sentinelle, ils imaginèreut de couper
tous les boutons de culotte et toutes les bretelles des Allemands.
Ceux-ci, obligés de tenir leur pantalon à deux mains, ne pou-
vaient dès lors songer à s’enfuir. J’ai trouvé cette ruse de guerre
si gentille que j’ai promis des pipes atout le monde.
— Allons les voir. Ça vaut mieux que de songer à l’avenir.
Voyez-vous, la destinée a retiré leurs chaises à tous nos projets,
à toutes nos ambitions, au moment où ils allaient s’asseoir...
Qui est-ce qui se relèvera? Faut pas encore chercher...
*
* *
Légende sans dessin :
Le paysan est dans son champ, qui sème. Un soldat passe sur
la route.
— Qu’est-ce que tu sèmes là, mon vieux ?
— Du laurier, mon fils ! La Ramée.
RETOUR DE BORDEAUX
— Je proposerai à vos suffrages, notre Château-Margaux 1904 une
pure merveille! ° ’
J'ai visité, voici quelques années, leur capitale, métropole des
brasseries les plus fameuses et des pâtissières les plus senti-
mentales, et je me souviens d’avoir, en un monument public
fraîchement décoré, admiré une série de fresques représentant
l’histoire militaire de la Bavière.
Cela commençait à la défaite des légions de Varus et finissait
à Sedan. Bien entendu, ces soixante ou quatre-vingts tableaux
ne rappelaient que des journées triomphales. Le choix en était
tout à fait piquant, surtout pour la période 1792-1815.
Grâce au jeu savant des alliances, des lâchages, des volte-face
en plein champ de bataille auxquels la Bavière a excelle pen-
dant la période napoléonienne, les décorateurs de Munich
avaient pu peindre à peu près les batailles de l’époque en y fai-
sant figurer victorieusement les troupes bleu-de-ciel de leur
pays. C’est ainsi qu’on peut lire sur ces murailles historiques (je
ne garantis point les noms, mais l’esprit) : « Victoire des Bava-
rois à Austerlitz, victoire des Bavarois à Friedland, à Eylau, à
la Moskowa... puis, les choses changeant et la Bavière aussi :
victoire des Bavarois à Leipzig, invasion de la France par les
Bavarois en 1814, victoire des Bavarois à Waterloo...
*
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Ils causent :
— Alors, impossible même d’imaginer combien de temps cela
durera?
— Impossible. D’ailleurs, ne trouvez-vous pas qu’il est devenu
bien difficile d’imaginer quoi que ce soit, de fixer une réflexion,
de retrouver les allées habituelles de son cerveau ? Notre pensée
s’y promenait autrefois à l’aise, elle y avait ses habitudes. Main-
tenant on ne s’y reconnaît plus... Je crois que l’état d’esprit des
gens du déiuge a dû être dans ce genre-là.
— Il y a, il est vrai, du bouleversement. Tenez, moi, j’étais un
sceptique, du temps où il y en avait, et un indifférent, et un-revenu
LES OUVRIERS DE LA ONZIEME HEURE
— Dis donc, Bucarest, vaudrait peut-être mieux ne pas attendre que
ça sonne? Dessins de L. métivet.
de tout. Maintenant, j’ai dix fois par jour le cœur rompu à la
lecture de ces petits « motifs » de médailles militaires ou de
citations à l’ordre qui paraissent dans les journaux.
— Et moi qui ne goûtais point les plaisanteri s d’un certain
ordre, moi qui ne pardonnais pas même à Feydeau l'emploi lyri-
que qu’il a fait du seau de toilette et du pot de chambre, j’é-
clate de joie à entendre conter comment les soldats prussiens
ayant, dans un château, souillé d’ordures personnelles tous les
sièges d’un salon, un retour de fortune permit à un comman-
dant français d’obliger trois officiers supérieurs ennemis à net-
toyer eux-mêmes le dégât de leurs nobles mains.
— Bravo! Venez avec moi acheter des pipes pour mes turcos.
— Volontiers, où sont-ils?
— Dans une salle d’hôtel des Champs-Elysées. C’est là qu’hier
ils m’ont dit comment ils gardaient leurs prisonniers...
— Racontez ?
— Eh bien, comme tous voulaient aller se battre et qu’aucun
ne consentait à rester en sentinelle, ils imaginèreut de couper
tous les boutons de culotte et toutes les bretelles des Allemands.
Ceux-ci, obligés de tenir leur pantalon à deux mains, ne pou-
vaient dès lors songer à s’enfuir. J’ai trouvé cette ruse de guerre
si gentille que j’ai promis des pipes atout le monde.
— Allons les voir. Ça vaut mieux que de songer à l’avenir.
Voyez-vous, la destinée a retiré leurs chaises à tous nos projets,
à toutes nos ambitions, au moment où ils allaient s’asseoir...
Qui est-ce qui se relèvera? Faut pas encore chercher...
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Légende sans dessin :
Le paysan est dans son champ, qui sème. Un soldat passe sur
la route.
— Qu’est-ce que tu sèmes là, mon vieux ?
— Du laurier, mon fils ! La Ramée.
RETOUR DE BORDEAUX
— Je proposerai à vos suffrages, notre Château-Margaux 1904 une
pure merveille! ° ’