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MONUMENS INÉDITS.
glaive, qu'il élève de la main droite, dans la gorge qu'il serre de l'autre main; à l'action, à
l'âge, à la nudité même de ce personnage, il semble qu'on ne puisse méconnaître Mgisthe.
De l'autre côté de ce groupe, une femme, Clytemnestre, vêtue de la tunique dorique sans
manches, semble se détourner du meurtre commis sous ses yeux, au moment même où,
par un mouvement sans doute involontaire, elle lève au-dessus de la tête de la victime
un meuble, dont sa fureur s'est fait un moyen de défense ou même une arme meurtrière1, et
qui, d'après sa forme, paraît être un fragment de siège. Ce qui prouve que cet objet doit
être en effet un meuble de cette sorte, qui se sera brisé dans le désordre d'une scène de
meurtre, telle que celle qui est ici représentée, c'est de voir un des témoins de cette scène
tragique, s'éloignant avec un siège qu'il tient élevé de ses deux mains au-dessus de sa tête,
le même siège, sans doute, dont le roi d'Argos vient d'être renversé. Vis-à-vis de ce per-
sonnage, un autre assistant, ou plutôt un des complices d'iEgisthe, témoigne, par le geste
qu'il fait de la main gauche, et par le glaive nu qu'il tient de la main droite, que son in-
tervention n'est plus nécessaire dans le meurtre qui s'accomplit. Il n'est pas inutile de
remarquer que ces deux auxiliaires du farouche yEgisthe portent, pour tout vêtement, cette
pièce d'étoffe nouée autour des hanches, qui semble avoir été chez les Grecs, aussi bien
r
que chez les Romains, qui l'avaient empruntée directement des Etrusques, le costume propre
des ministres des sacrifices2, comme nous l'avons déjà observé en plus d'une occasion,
notamment sur le bas-relief grec du sacrifice d'Iphigénie, et qui devenait un trait caracté-
ristique dans la représentation de cet autre sacrifice motivé par la vengeance du petit-fils
de Thyeste et de la mère d'Iphigénie. Sur un plan plus éloigné, le personnage vieux et
barbu, vêtu de la chlœna, qui s'éloigne en portant la main droite à ses cheveux, comme un
homme désespéré de l'attentat qui se commet, est sans doute un de ces vieux et honnêtes
serviteurs qui gardaient si assidûment la maison d'Agamemnon, en gémissant sur les
triomphe, finit par se résigner à marcher sur les riches tapis
asiatiques dont on couvre le seuil de sa demeure, a5i-g52 :
Ylott.n yap aàftoç owfAalotpôoptTv, 7n><rtv
<bôeî(yvla. ttXovtw à.çyjççpvwnvç ô' vspaç.
Ce sont ces mêmes tissus phrygiens , \Jiiï<*. <pâp», trophées de sa
victoire, Qùvyioimv ai mvMvfMt.(m>, sur lesquels un autre Tragique,
Euripid. El. 3i/i-i8, nous représente Clytemnestre insultant à
la mémoire de son époux. Dans sa note sur ce passage, Barnès
rappelle à propos l'habileté si connue des anciens Phrygiens
dans la fabrication de ces sortes d'étoffes ; voy. aussi Beckmann,
Beytràge zur Gescliicht. (1er Erfind. Th. III, S. 64, ff. De là vient
que l'on désignait le plus souvent par le nom à'opus phrygionium,
des tissus précieux semés de points ou d'étoiles d'or, a.<f\ç$. hti(flpuwJo,
ai/fi» iviTmmiiu^To, Pollux, x, 8, k-j ■ Ces étoffes avec ornemens
d'or s'employaient pour les tunigues royales, du genre de la
xystis, %û<fliAç ygu<n7ra<floi, Eupolis, apud Pollue, vi, î, io, telle
que paraît être celle qu'on voit ici à Agamemnon. L'usage asia-
tique de ces vestes stellis distinclœ, Sueton. Néron. 15, avait passé
des Étrusques aux Romains, qui en firent, comme chacun sait,
le costume propre de leurs triomphateurs , K. Ott. Mùller , die
Etrusker, u, 2, 7; et dans les tombeaux étrusques du terri-
toire de Canino, découverts tout récemment, il s'est trouvé un
squelette enseveli avec une tunicpie ainsi couverte d'étoiles d'or.
M. Boettiger a réuni, Raub der Kassandra, not. 76, plusieurs
exemples fournis par des monumens grecs, de l'emploi de ce luxe
phrygien, qui, clans aucune circonstance , ne pouvait mieux
s'appliquer qu'à Agamemnon, ni offrir un trait de costume plus
convenable au sujet, en même temps qu'une image plus drama-
tique. En effet, cette pompe même étalée dans la fête du retour
d'Agamemnon rendait plus terrible la catastrophe qui la suivait,
et le sort de la victime si magnifiquement parée n'en devenait
que plus tragique.
( 1 ) Un exemple analogue est fourni par le célèbre vase Vi-
venzio, où une femme désespérée, soit Cassandre, soit toute autre
se défend avec un instrument dont on n'a pu déterminer encore
la vraie nature, mais gui a beaucoup de ressemblance avec celui
qui se voit ici aux mains de Clytemnestre; voy. plus haut, Achil-
léide, p. 79 , note 8.
(2) Ce costume est sur-tout constaté par l'exemple du jeune
ministre qui assiste au sacrifice d'OEnomaïs, sur un beau vase
grec, Maisonneuve, Introduction à l'étade des vases, xxx. On voit
souvent une pièce d'étoffe placée de la même manière, mais
sans doute avec une intention différente, dans des représenta-
tions de combats héroïques, Millin, Vases peints, II, xiv; Millin-
gen, Vases de Coghill, xlvii : ce vêtement ne peut se rapporter,
dans ce dernier cas , qu'à l'ancien usage grec qui interdisait aux
athlètes et aux éphèbes de lutter entièrement nus, Homer. //.
xxiii, 685; Od. xviii, 65, 74; conf. Pausan.i, kl\, i;Dionys.Haiic.
vu, 72. Rien n'est plus fréquent aussi que de trouver, sur des
monumens grecs et romains, des personnages bachiques, les
hanches ceintes de peaux ou d'ébffes à gros poils, disposées de la
même manière, Mus. Worsky. 11, 15 ; iv, i ; Mus. P. Clem.TV,
xxi ; Guattani, Monum. ined. 1786 , selt. tav. 11; Panofka, Neapels
ant. Bildw. I, 371. Cette pièce de vêtement, quand elle consistait
en peaux, était proprement ce que Pollux, vu, 65, etx, 181 ,
MONUMENS INÉDITS.
glaive, qu'il élève de la main droite, dans la gorge qu'il serre de l'autre main; à l'action, à
l'âge, à la nudité même de ce personnage, il semble qu'on ne puisse méconnaître Mgisthe.
De l'autre côté de ce groupe, une femme, Clytemnestre, vêtue de la tunique dorique sans
manches, semble se détourner du meurtre commis sous ses yeux, au moment même où,
par un mouvement sans doute involontaire, elle lève au-dessus de la tête de la victime
un meuble, dont sa fureur s'est fait un moyen de défense ou même une arme meurtrière1, et
qui, d'après sa forme, paraît être un fragment de siège. Ce qui prouve que cet objet doit
être en effet un meuble de cette sorte, qui se sera brisé dans le désordre d'une scène de
meurtre, telle que celle qui est ici représentée, c'est de voir un des témoins de cette scène
tragique, s'éloignant avec un siège qu'il tient élevé de ses deux mains au-dessus de sa tête,
le même siège, sans doute, dont le roi d'Argos vient d'être renversé. Vis-à-vis de ce per-
sonnage, un autre assistant, ou plutôt un des complices d'iEgisthe, témoigne, par le geste
qu'il fait de la main gauche, et par le glaive nu qu'il tient de la main droite, que son in-
tervention n'est plus nécessaire dans le meurtre qui s'accomplit. Il n'est pas inutile de
remarquer que ces deux auxiliaires du farouche yEgisthe portent, pour tout vêtement, cette
pièce d'étoffe nouée autour des hanches, qui semble avoir été chez les Grecs, aussi bien
r
que chez les Romains, qui l'avaient empruntée directement des Etrusques, le costume propre
des ministres des sacrifices2, comme nous l'avons déjà observé en plus d'une occasion,
notamment sur le bas-relief grec du sacrifice d'Iphigénie, et qui devenait un trait caracté-
ristique dans la représentation de cet autre sacrifice motivé par la vengeance du petit-fils
de Thyeste et de la mère d'Iphigénie. Sur un plan plus éloigné, le personnage vieux et
barbu, vêtu de la chlœna, qui s'éloigne en portant la main droite à ses cheveux, comme un
homme désespéré de l'attentat qui se commet, est sans doute un de ces vieux et honnêtes
serviteurs qui gardaient si assidûment la maison d'Agamemnon, en gémissant sur les
triomphe, finit par se résigner à marcher sur les riches tapis
asiatiques dont on couvre le seuil de sa demeure, a5i-g52 :
Ylott.n yap aàftoç owfAalotpôoptTv, 7n><rtv
<bôeî(yvla. ttXovtw à.çyjççpvwnvç ô' vspaç.
Ce sont ces mêmes tissus phrygiens , \Jiiï<*. <pâp», trophées de sa
victoire, Qùvyioimv ai mvMvfMt.(m>, sur lesquels un autre Tragique,
Euripid. El. 3i/i-i8, nous représente Clytemnestre insultant à
la mémoire de son époux. Dans sa note sur ce passage, Barnès
rappelle à propos l'habileté si connue des anciens Phrygiens
dans la fabrication de ces sortes d'étoffes ; voy. aussi Beckmann,
Beytràge zur Gescliicht. (1er Erfind. Th. III, S. 64, ff. De là vient
que l'on désignait le plus souvent par le nom à'opus phrygionium,
des tissus précieux semés de points ou d'étoiles d'or, a.<f\ç$. hti(flpuwJo,
ai/fi» iviTmmiiu^To, Pollux, x, 8, k-j ■ Ces étoffes avec ornemens
d'or s'employaient pour les tunigues royales, du genre de la
xystis, %û<fliAç ygu<n7ra<floi, Eupolis, apud Pollue, vi, î, io, telle
que paraît être celle qu'on voit ici à Agamemnon. L'usage asia-
tique de ces vestes stellis distinclœ, Sueton. Néron. 15, avait passé
des Étrusques aux Romains, qui en firent, comme chacun sait,
le costume propre de leurs triomphateurs , K. Ott. Mùller , die
Etrusker, u, 2, 7; et dans les tombeaux étrusques du terri-
toire de Canino, découverts tout récemment, il s'est trouvé un
squelette enseveli avec une tunicpie ainsi couverte d'étoiles d'or.
M. Boettiger a réuni, Raub der Kassandra, not. 76, plusieurs
exemples fournis par des monumens grecs, de l'emploi de ce luxe
phrygien, qui, clans aucune circonstance , ne pouvait mieux
s'appliquer qu'à Agamemnon, ni offrir un trait de costume plus
convenable au sujet, en même temps qu'une image plus drama-
tique. En effet, cette pompe même étalée dans la fête du retour
d'Agamemnon rendait plus terrible la catastrophe qui la suivait,
et le sort de la victime si magnifiquement parée n'en devenait
que plus tragique.
( 1 ) Un exemple analogue est fourni par le célèbre vase Vi-
venzio, où une femme désespérée, soit Cassandre, soit toute autre
se défend avec un instrument dont on n'a pu déterminer encore
la vraie nature, mais gui a beaucoup de ressemblance avec celui
qui se voit ici aux mains de Clytemnestre; voy. plus haut, Achil-
léide, p. 79 , note 8.
(2) Ce costume est sur-tout constaté par l'exemple du jeune
ministre qui assiste au sacrifice d'OEnomaïs, sur un beau vase
grec, Maisonneuve, Introduction à l'étade des vases, xxx. On voit
souvent une pièce d'étoffe placée de la même manière, mais
sans doute avec une intention différente, dans des représenta-
tions de combats héroïques, Millin, Vases peints, II, xiv; Millin-
gen, Vases de Coghill, xlvii : ce vêtement ne peut se rapporter,
dans ce dernier cas , qu'à l'ancien usage grec qui interdisait aux
athlètes et aux éphèbes de lutter entièrement nus, Homer. //.
xxiii, 685; Od. xviii, 65, 74; conf. Pausan.i, kl\, i;Dionys.Haiic.
vu, 72. Rien n'est plus fréquent aussi que de trouver, sur des
monumens grecs et romains, des personnages bachiques, les
hanches ceintes de peaux ou d'ébffes à gros poils, disposées de la
même manière, Mus. Worsky. 11, 15 ; iv, i ; Mus. P. Clem.TV,
xxi ; Guattani, Monum. ined. 1786 , selt. tav. 11; Panofka, Neapels
ant. Bildw. I, 371. Cette pièce de vêtement, quand elle consistait
en peaux, était proprement ce que Pollux, vu, 65, etx, 181 ,