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Saint-Non, Jean Claude Richard de
Voyage Pittoresque Ou Description Des Royaumes De Naples Et De Sicile (Band 4,1): Contenant La Description De La Sicile — Paris, 1785 [Cicognara, 2708-2]

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https://doi.org/10.11588/diglit.3243#0139
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DU ROYAUME DE NAPLES. *s
Le vent devenoit toujours de plus fort en plus fort &c ne nous permit pas
long-temps de marcher avec nos flambeaux, nous nous trouvâmes alors dans la
nuit la plus obscure , obligés de nous suivre, au point de faire toucher à nos
chevaux la tête au derrière l'un de l'autre, èc nous appellant continuellement t
dès que le sentier devenoit tortueux ÔC nous obligeoit de nous séparer. Un des
nôtres pensa même perdre son cheval, pour en être descendu un instant. C'est
ainsi que nous gravîmes huit milles d'un chemin qui, à la vérité, n'est ni dur,
ni raboteux, mais rempli de sînuosîtés, &C coupé de ravins périlleux que notre
Conducteur nous faisoit éviter d'une manière miraculeuse.
Nous avions déjà passe plusieurs bancs d'une neige éternelle, 8c le froid étoit
très-vif, lorsque nous arrivâmes à une vaste plate-forme que l'on peut croire
avoir été le crater antique de l'Etna, &C qui a trois milles de diamètre. C'est sur
cette plate-forme appellée Piano del Frumento, qu'il s'est depuis des slècles formé
trois monticules ou mammelons venant d'anciennes éruptions , &C c'est de la
bouche de celui du milieu, qui est plus élevé que les autres, que s'exhalent
perpétuellement les vapeurs de ce feu aussl ancien que le monde, Je n'oublierai
de ma vie l'impresslon que me fit éprouver l'approche de ce lieu terrible, qui
semble proscrit aux humains & dévoué aux Divinités infernales. Ici tout est
étranger à la nature , nulle végétation , nul mouvement d'aucun être vivant
n'y trouble le ïilence effrayant de la nuit : tout y est mort, ou plutôt rien n'a
commencé d'y vivre. Dans ce cahos des élémens, un air éthéré qui vous presse de
toutes parts, plus vif 3 plus subtil que celui auquel notre existence est accoutumée,
étonne l'imagination, &C avertit l'homme qu'il est hors de la région où Ces organes
l'enchaînent. Nulle autre lumière que celle des vapeurs enflammées du crater ne
nous éclairait, ôi cette lumière mystérieuse qui nous servoit de fanal, me faisoit
regarder le lieu où nous avions eu la hardiesse ÔC le courage de pénétrer comme
le san&uaire même de la nature.
Lorsque nous fûmes au milieu de la plate-forme , le feu se changea en un
torrent de fumée. La lune en se levant, colora ce lieu d'une autre manière, &C
en changea l'aspect ; tout autrement terrible, il nous sembla préparé aux mystères
ténébreux d'Hécate. Le jour étoit encore trop loin, nos chevaux, qui entroient
dans la cendre jusqu'à mi-jambe, ne pouvoient plus ni marcher, ni respirer., le
froid augmentoit toujours ; nous nous arrêtâmes contre une gresse pierre, qui
nous parut être un énorme bloc de lave. C'étoit le seul objet saillant qui apparût
sur cette Plaine, nous allâmes nous abriter contre elle, en nous enterrant dans le
sable & nous entassant pour nous réchauffer. L'idée nous vint de boire de l'eau-de-vie
que nous avions apportée avec nous : ce qui pensa nous endormir &C aurait pu
devenir très-dangereux, si l'on nous eût laissés tranquilles.
 
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