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i»s*. t
SIFFLEMENTS
L’évacuation est terminée.
Notre devoir de patriote, de Français est d’exprimer
l’immense satisfaction que nous éprouvons de savoir notre
territoire débarrassé des Tudesques.
Le mois de septembre ,c’est-à-dire la saison des fruits,
des melons, du raisin vert a été bien choisi pour faire éva-
cuer ces épais Allemands.
L’effet ne pouvait manquer.
Dieu merci c’est terminé, nettoyons les écuries d’Àugias
et n’en parlons plus.
J’ai dîné l’autre jour avec un Egyptien, député d’Alexan-
drie, homme remarquablement intelligent et ardent pa-
triote .
Le vice-roi qui est très libéral, me disait-il, a établi une
chambre de représentants, où il y a comme en France la
droite et la gauche.
La gauche naturellement c’est l’opposition, la droite
c’est le côté du gouvernement.
— Eh bien, lui demandai-je, de quel côté est la majorité?
— La majorité? fit-il avec étonnement.
Mais il n’y a personne à gauche, tout le monde est de la
droite,
Je me suis bien amusé depuis un mois avec Compïègne
et Trianon.
Le matin c’était à Compiègne qu’on installait le fameux
conseil de guerre; le soir, changement de face, c’était à
Trianon, et pendant un mois nous avons été ballottés entre
Compiègne et Trianon, et entre Trianon et Compiègne.
La scie était complète, j’en avais des cauchemars toutes
les nuits.
Enfin aujourd’hui c’est définitivement à Trianon que Ba-
zaine sera jugé... à moins pourtant que ce ne soit à Com-
piègne.
La semaine prochaine nous dirons si ça n’a pas ch angé.
Un journal dit qu’il y a encore deux millions de canni-
bales au monde.
Le reporter qui a donné cette nouvelle est surprenant.
Les a-t-il comptés?
D’abord, qu’entend-il par cannibale ?
Le dictionnaire de l’Académie dit : cannibale, anthropo-
phage, homme féroce.
Eh bien, je fais le pari qu’il y a sur la terre plus des trois
quarts des humains qui sont anthropophages ou hommes
féroces.
Voyez donc seulement pour la France.
Dans la politique, dans la littérature, dans les arts, dans
l’industrie, enfin dans tout, c’est à qui sera le plus féroce,
c’est à celui qui dévorera l’autre.avec le plus de voracité.
Donc le chiffre de deux millions de cannibales est déri-
soire, il ne faut pas connaître l’espèce humaine pour donner
un nombre pareil.
Malgré le mauvais temps, j’ai fait dimanche dernier ie
pèlerinage de Saint-Cloud.
Il n’y avait pas foule comme les années précédentes; eè-
pendantle temple de Notre Dame deMarkowski avait encore
de nombreux fidèles venus du quartier latin et des hau-
teurs de Montmartre.
J’ai vu s’accomplir devant mes yeux plusieurs miracles
étonnants :
1° Un monsieur qui n’avait jamais aimé, s’est vu subite-
ment épris d’un chignon rouge qui ne demandait pas mieux;
2° Monsieur X..., atteint d’hypocondrie, a été. guéri radi-
calement en faisant vis-à-viS à Nini Bastringuette ;
3° Un mari ayant une tuile de femme, a été débarrassé
de son épouse par un sous-lieutenant de cuirassiers, en se
mettant sous la protection de Notre-Dame de Mârkowski.
Ces trois miracles se sont, faits devant moi, mais il s’en
est opéré d’autres plus étonnants, dont je n’ai pas été
témoin.
Notre-Dame de P. L, M. est enfoncée !
La chasse au miroir n’est pas un délit.
Le tribunal de Grenoble vient de le prouver, en acquittant
un chasseur accusé d’avoir voulu prendre des alouettes par
ce procédé.
Ainsi c’est entendu, on peut maintenant chasser au mi»
roir, il n’y a plus de délit.
Du reste, la crainte d’une condamnation correctionnelle
n’ajamais arrêté ceux qr.i désiraient faire cette chasse.
II y a toujours eu et il y aura toujours des Huguet, des
Poupinel, des Yernet, pour prendre au miroir les gogos et
les imbéciles.
Ce sont les alouettes qui ont tort.
Une bonne farce à faire à un ami :
Vous allez dans un bureau de rédaction d’un journal à
nouvelles, celui des honnêles gens, par exemple, et vous
donnez la note suivante :
« Monsieur Morland, dessinateur du Sifflet, a été trouvé
« pendu ce matin au saule-pleureur du square Montholon.
« On a trouvé sur lui la photographie de la belle Pari-
« sienne, femme pesant deux cent cinquante kilos, qu’on
« exhibe dans une boutique de la rue de Lafayette. La
« cause de ce suicide est ignorée. »
Naturellement le capitaine des reporters s’empresse de
faire passer ces lignes dans le numéro du jour, vous voyez
l’effet que cette nouvelle peut produire dans la famille et
parmi les amis de notre dessinateur.
Tout le monde prend le deuil, on verse des larmes, le
Sifflet paraît avec un encadrement noir, la belle Parisienne I
meurt de chagrin, le concierge en devient fou, ses créan- ;
ciers se préparent à tout saisir..., et Morland est à faire
une partie de chasse dans la Beauce.
C’est une bonne farce de fumiste, n’est-ce pas ?
Eh bien! elle a été faite la semaine dernière au poète
Albert Mérat, qui n’a pas plus envie de se pendre... queSarah
Bernhardt.
Michel Anézo.
PAUVRES FEMMES!
J’avais envie de ne pas vous parler aujourd’hui des cho-
ses sacrées, mais c’est un terrible sanctificateur que Mon-
seigneur l’archevêque de Paris, — non moins brave homme,
du reste, que tous ses prédécesseurs.
Vous croyez que son église de Montmartre lui suffit?
Non, il en fait construire une autre à üharonne.
Mais ce n’est rien encore : il fait des rêves aussi grandioses
que s’il avait le temps de les voir se réaliser. Dame, aujour-
d’hui la parole est aux vieillards ; il n’y a que ceux qui
étaient déjà mûrs avant l’Empire, qui ne soient pas absolu-
ment ramollis.
Donc, ce n’est pas la vigueur qui manque à Monseigneur 1
Guibert, et l’enterrement de Désiré nous en a révélé une '
rude preuve. C’est làque nous avons connu lenouvel arrêté de
l’archevêque qui interdit aux femmes de chanter dans les
églises !
Si j’étais femme, je n’en serais pas si flattée que ça.
Voyons, Monseigneur, pendant que vous y êtes, ne vous
arrêtez pas en si beau chemin !
La femme est un être décidément par trop impur, fermez-
lui tout à fait la porte de vos églises !
Vous venez d’accomplir un progrès qui nous rapproche des
croisades, — sauf la chevalerie ! ! ! ■— allez, allez de l’avant !
Pas de femmes dans les églises !
Et alors, vous vous apercevrez de ceci: il n’y aura plus
personne.
Est-il possible de trancher du Boileau comme ça avec le.
beau sexe ! Le sexe sans lequel vous ne seriez pas né, Mon-
seigneur.
Comment, vous ne feriez pas même une exception en
faveur de madame Victoria Lafontaine ! Vous lui permettez
bien d’aller en pèlerinage dans votre église de Sainte-Gene-
viôve, et vous ne lui permettriez pas d’y chanter un canti-
que d’actions de grâce!
Ah! son mari doit être bien humilié!
Louis Gille
LOUIS VEUILLOT.
Ce polémiste sacré est le fils d’un gargottier de Bercy.
(Test dans le gargot paternel qu’il apprit le secret des ru-
desses de la langue.
Il passa là ses premières années avec des gens qui se sont
fait connaître à leur tour; dans son voisinage se trouvaient
la future madame Duval, des bouillons, et Clément Bertrand,
le photographe, son frère.
Le débit de vins du papa Veuillot n’était pas fort; il était
de l’ordre le plus modeste; mais le bonhomme avait quatre
enfants à élever ; il arrivait de Boynes (en Gàtinais), dépar-
tement du Loiret, — commune où naquit celui qui, dans sa
langue paternelle, devait un jour tenir tête aux évêques et
se proclamer le champion du catholicisme, le SOUTIEN des
jésuites.
Voyez l’ingratitude ! Le père Veuillot met son fils Louis à
la mutuelle jusqu’à l’âge de treize ans ! Oui, à la mutuelle!
C’est à l’enseignement primaire et laïque que Louis
Veuillot a dû son peu d’éducation.
A-t-on idée de ça en province ?
Les frères ignorantout qu’i’ patronne s’en sont-ils jamais
doutés ?
Les évêques qu’il objurgüe quand ils sont par trop galli-
cans sô doutent-ils qu’il a si peu de latin ?
Lotus Veuillot quitta la mutuelle à treize ans pour entrer
dans une étude d’avoué.
Là, la chronique raconte, - sans avoir jamais été démen-
tie, — qu’il passait son temps à lire de mauvais romans et à
fréquenter les petits théâtres.
La vocation ! la vocation ! '
Cela lui donna des idées littéraires et il s’aperçut tout
d’un coup qu’il était encore moins instruit que s’il était sorti
de chez les frères ignorantout.
Alors, avec cette; énergie qu’on puise sur les comptoirs
paternels, il travailla seul. C’est ce qu’il a fait de mieux
dans sa vie.
A dix-neuf ans, il savait tenir une plume et il entrait
dans les bureaux de 1 'Esprit public.
Il débutait, disait-il, dans la presse à tout faire.
On était alors en 1832, époque de fougue et de roman-
tisme, — preuve qu’il datait de 1813.
Le ministère le prit sous sa protection et l’envoya rédi-
ger Y Echo dé la Seine-Inférieure.
Là, emporté par son ardeur naissante, le futur cardinal
in partibus eut deux duels : l’un avec un acteur qu’il avait
éreinté ; l’autre avec un journaliste républicain du Journal
de Rouen.
Impossible de rester dans un pays où l’on se battait si
bien ! On l’envoya au Mémorial de la Dordogne où, en sa
qualité do rédacteur en chef, il eut de nouveaux duels.
C’était déjà un Cassagnac, — même ton acerbe, — même
esprit agressif.
Enfin, en 1837, i* revint à Paris et collabora à la Charte
de 1830, journal du gouvernement.
Vous 1e voyez, Louis Veuillot est journaliste jusqu’au
bout des ongles, et, quand il insulte ses confrères, ce n’est
pas faute de s’y connaître.
Que dis-je ! Peu de temps après, il prit la rédaction en
chef de la Paix, journal DOCTRINAIRE.
C’était, comme joyeuseté, un disciple de Rornieu ; c’était
un bon vivant dans toute l’acception du mot. Mais le mo-
ment allait venir où il allait cesser d’être drôle, sans ces
ser d’être grincheux.
Dire qu’il faisait dans ce temps-là des chansons plus gri-
voises encore que celles de La Bédollière ! C’est â croire
que je deviendrai capucin.
C’est à cette époque de haute liesse qu’il écrivit Y Hon-
nête femme, un roman que n’aurait pas désavoué l’auteur
de Faublas.
Mais la grâce le toucha.
C’était à Rome ; il y arriva pendant la semaine sainte,
î vit le pape, et tourna casaque sans vergogne à ses anciens
! principes, en l’an de grâce 1838. Il avait vingt-cinq ans.
j Ce que je ne comprends pas, c’est que Y Honnête femme \
\ ait paru en 1844, après les Pèlerinages de la Suisse,—
Pierre Saintive, — le saint Rosaire rilëàité, — des Can-
tiques,— Rome et Lorette, — Agnès de Louvens ou /Mé-
moires de sœur Saint-Louis, — la France et VAlgérie, etc.
Au moment où paraissait Y Honnête femme, il entrait,
comme simple rédacteur, à Y Univers religieux.
Là, vous savez ce qu’il a fait, comme tête et âme de la
! polémique sacrée.
Mais il était resté l’homme de la presse à tout faire, car.
en 1848, il salua la révolution comme une chose providen-
tielle.
Depuis, il a guerroyé avec les évêques, et le Pape lui a
donné raison contre eux. L'Univers a été supprimé et a re-
paru. L’évêque qui l’aime le moins, c’est Mgr Dupanloup,
qui a défendu à son clergé la lecture des articles de sa
gargotte sacrée.
Une seconde fois supprimé, VUnivers reparut sous ce ti-
tre : le Monde-
Le Monde existe encore et l'Univers a encore reparu.
A proprement parier, c’est le Moniteur officiel des jé-
suites.
Quant à citer tous ses ouvrages, la liste en est trop lon-
gue. Nous nous bornons à dire que celui qu’Albert Wolff
préfère e pour titre : les Odeurs de Paris.
Il y a bien encore le Parfum de Rome... mais il faudrait
tout citer, et il ne me paye pas pour cela.
Somme toute, à force de lire et d’écrire, le fils du gar-
gottiëf est devenu un vrai littérateur, malgré le fonds qui
lui manque et lui manquera toujours.
Le Guillois.
Je voudrais bien savoir quel est le mortel intelligent qui,
le premier, a eu l’heureuse idée du far niente. Je demande-
rais à quelqu'un de bonne volonté de le décorer dans la per-
sonne de ses descendants.
Sans être des plus utile, cette invention peut du moins,
à mon avis, être classée parmi les plus agréables.
Il est vrai que tout dépend de la façon dont on l’appli-
que.
L’Oriental agrémente le far niente de la fumée du calu-
met.
L’Italien de quelques tuyaux de macaroni.
Je crois avoir trouvé mieux :
Je le charme, moi, par les agréables divagations que pro-
voquent les coquilles de la Liberté.
Je me permettrai même, à ce propos, de les recomman-
der urbi et orbi.
Jugez plutôt :
(C’est La Liberté qui parle).
« Uue coquille nous a fait dire : « il y a un mois » au lieu
de : il y a six mois... le maréchal Serrano, après avoir
fomenté uu complotisabelliste... quittait Madrid. »
Hein ! que dites-vous de celle-là?
Vous le voyez, la Liberté s’était trompée de peu de chose.
Une coquille? Je le veux bien; mais enfin, dame Liberté,
.Si l’épatement produit par cette coquille a causé une fausse
digestion à mon propriétaire, croyez-vous que ce soit bien
agréable pour lui ?
Remarquez bien que, personnellement, je m’en frictionne
l'épine dorsale, absolument comme d’autres s’en battent
l'œil.
Quoi qu’il en soit, je gobe assez cette façon de mettre
« coquille » pour « erreur. »
C’est d’un meilleur effet pour le lecteur naïf de Brives-la-
Gaillarde ou de Carpentras.
Un journal sérieux, comme la Liberté ne commet pas
d’erreurs; il ne commet que des coquilles.
Vous avouerez que le terme est heureux ; il mérite qu’on
l’utilise dans la vie pratique.
Supposez un filou glissant discrètement la main dans vo-
tre poche et pinçant votre porte-monnaie.
Naturellement, vous vous récriez :
— Ah ! gredin, je t’y prends !
— Oh ! monsieur, mille excuses...
— Comment, mille excuses ?...
— Oui, bourgeois, c’est par coquille que je pinçais votre
porte-monnaie.
— Par coquille ?... qu’est-ce que c’est que ça ?
Bref, vous trouveriez la coquille fort désagréable, n’est-
ce pas ?
Je suis même persuadé que vous aimeriez mieux une
mèche de cheveux dans le gobelet d’une fontaine Wallace
que la main d’un voisin sur votre porte-monnaie.
Malgré tout, que répondre aux explications d’un homme
qui ne s’accuse que d’une simple coquille ?
J’opine à croire qu’il n’est question de ce crime ou délit,
comme on voudra l’appeler, dans aucun Code, et qu’il n’est
pas tribunal au monde pour condamner un infortuné pré-
venu de coquille.
Je suppose que c’est grâce à cette dernière considération
que la Liberté avoue si facilement ce méfait.
Après de tels exemples, pourquoi, dans la suite, n’em-
ploierait-on pas cette aimable ficelle dans toutes les situa-
tions tendues de 1 existence ?
Ainsi on pourrait, par coquille :
Voyager en première classe avec un billet de troisième;
se tromper de chapeau quand on en a un vieux; lire
la Patrie.
Je suis même tenté de croire que c’est de la sorte qu’Al-
phonse Karr vient d’envoyer au Charivari un article des
Guêpes par le canal d’un huissier.
Je ne serais donc pas étonné de lire très prochainement
dans le Journal des gens bien élevés :
« Une coquille (lisez erreur) m’a fait envoyer sur papier
timbré à M. Pierre Véron une tartine des Guêpes au lieu
d’une assignation à comparaître_etc. »
Signé : Alp. Karr.
Vous voyez d’ici la douce gaieté qui charmerait le far
niente de Pierre Véron si la nouvelle de cette rectification
le surprenait dans les délices de la flême.
C’est dans cette situation extraordinairement agréable
que j’ai moi-même été surpris par la coquille de la Liberté
i»s*. t
SIFFLEMENTS
L’évacuation est terminée.
Notre devoir de patriote, de Français est d’exprimer
l’immense satisfaction que nous éprouvons de savoir notre
territoire débarrassé des Tudesques.
Le mois de septembre ,c’est-à-dire la saison des fruits,
des melons, du raisin vert a été bien choisi pour faire éva-
cuer ces épais Allemands.
L’effet ne pouvait manquer.
Dieu merci c’est terminé, nettoyons les écuries d’Àugias
et n’en parlons plus.
J’ai dîné l’autre jour avec un Egyptien, député d’Alexan-
drie, homme remarquablement intelligent et ardent pa-
triote .
Le vice-roi qui est très libéral, me disait-il, a établi une
chambre de représentants, où il y a comme en France la
droite et la gauche.
La gauche naturellement c’est l’opposition, la droite
c’est le côté du gouvernement.
— Eh bien, lui demandai-je, de quel côté est la majorité?
— La majorité? fit-il avec étonnement.
Mais il n’y a personne à gauche, tout le monde est de la
droite,
Je me suis bien amusé depuis un mois avec Compïègne
et Trianon.
Le matin c’était à Compiègne qu’on installait le fameux
conseil de guerre; le soir, changement de face, c’était à
Trianon, et pendant un mois nous avons été ballottés entre
Compiègne et Trianon, et entre Trianon et Compiègne.
La scie était complète, j’en avais des cauchemars toutes
les nuits.
Enfin aujourd’hui c’est définitivement à Trianon que Ba-
zaine sera jugé... à moins pourtant que ce ne soit à Com-
piègne.
La semaine prochaine nous dirons si ça n’a pas ch angé.
Un journal dit qu’il y a encore deux millions de canni-
bales au monde.
Le reporter qui a donné cette nouvelle est surprenant.
Les a-t-il comptés?
D’abord, qu’entend-il par cannibale ?
Le dictionnaire de l’Académie dit : cannibale, anthropo-
phage, homme féroce.
Eh bien, je fais le pari qu’il y a sur la terre plus des trois
quarts des humains qui sont anthropophages ou hommes
féroces.
Voyez donc seulement pour la France.
Dans la politique, dans la littérature, dans les arts, dans
l’industrie, enfin dans tout, c’est à qui sera le plus féroce,
c’est à celui qui dévorera l’autre.avec le plus de voracité.
Donc le chiffre de deux millions de cannibales est déri-
soire, il ne faut pas connaître l’espèce humaine pour donner
un nombre pareil.
Malgré le mauvais temps, j’ai fait dimanche dernier ie
pèlerinage de Saint-Cloud.
Il n’y avait pas foule comme les années précédentes; eè-
pendantle temple de Notre Dame deMarkowski avait encore
de nombreux fidèles venus du quartier latin et des hau-
teurs de Montmartre.
J’ai vu s’accomplir devant mes yeux plusieurs miracles
étonnants :
1° Un monsieur qui n’avait jamais aimé, s’est vu subite-
ment épris d’un chignon rouge qui ne demandait pas mieux;
2° Monsieur X..., atteint d’hypocondrie, a été. guéri radi-
calement en faisant vis-à-viS à Nini Bastringuette ;
3° Un mari ayant une tuile de femme, a été débarrassé
de son épouse par un sous-lieutenant de cuirassiers, en se
mettant sous la protection de Notre-Dame de Mârkowski.
Ces trois miracles se sont, faits devant moi, mais il s’en
est opéré d’autres plus étonnants, dont je n’ai pas été
témoin.
Notre-Dame de P. L, M. est enfoncée !
La chasse au miroir n’est pas un délit.
Le tribunal de Grenoble vient de le prouver, en acquittant
un chasseur accusé d’avoir voulu prendre des alouettes par
ce procédé.
Ainsi c’est entendu, on peut maintenant chasser au mi»
roir, il n’y a plus de délit.
Du reste, la crainte d’une condamnation correctionnelle
n’ajamais arrêté ceux qr.i désiraient faire cette chasse.
II y a toujours eu et il y aura toujours des Huguet, des
Poupinel, des Yernet, pour prendre au miroir les gogos et
les imbéciles.
Ce sont les alouettes qui ont tort.
Une bonne farce à faire à un ami :
Vous allez dans un bureau de rédaction d’un journal à
nouvelles, celui des honnêles gens, par exemple, et vous
donnez la note suivante :
« Monsieur Morland, dessinateur du Sifflet, a été trouvé
« pendu ce matin au saule-pleureur du square Montholon.
« On a trouvé sur lui la photographie de la belle Pari-
« sienne, femme pesant deux cent cinquante kilos, qu’on
« exhibe dans une boutique de la rue de Lafayette. La
« cause de ce suicide est ignorée. »
Naturellement le capitaine des reporters s’empresse de
faire passer ces lignes dans le numéro du jour, vous voyez
l’effet que cette nouvelle peut produire dans la famille et
parmi les amis de notre dessinateur.
Tout le monde prend le deuil, on verse des larmes, le
Sifflet paraît avec un encadrement noir, la belle Parisienne I
meurt de chagrin, le concierge en devient fou, ses créan- ;
ciers se préparent à tout saisir..., et Morland est à faire
une partie de chasse dans la Beauce.
C’est une bonne farce de fumiste, n’est-ce pas ?
Eh bien! elle a été faite la semaine dernière au poète
Albert Mérat, qui n’a pas plus envie de se pendre... queSarah
Bernhardt.
Michel Anézo.
PAUVRES FEMMES!
J’avais envie de ne pas vous parler aujourd’hui des cho-
ses sacrées, mais c’est un terrible sanctificateur que Mon-
seigneur l’archevêque de Paris, — non moins brave homme,
du reste, que tous ses prédécesseurs.
Vous croyez que son église de Montmartre lui suffit?
Non, il en fait construire une autre à üharonne.
Mais ce n’est rien encore : il fait des rêves aussi grandioses
que s’il avait le temps de les voir se réaliser. Dame, aujour-
d’hui la parole est aux vieillards ; il n’y a que ceux qui
étaient déjà mûrs avant l’Empire, qui ne soient pas absolu-
ment ramollis.
Donc, ce n’est pas la vigueur qui manque à Monseigneur 1
Guibert, et l’enterrement de Désiré nous en a révélé une '
rude preuve. C’est làque nous avons connu lenouvel arrêté de
l’archevêque qui interdit aux femmes de chanter dans les
églises !
Si j’étais femme, je n’en serais pas si flattée que ça.
Voyons, Monseigneur, pendant que vous y êtes, ne vous
arrêtez pas en si beau chemin !
La femme est un être décidément par trop impur, fermez-
lui tout à fait la porte de vos églises !
Vous venez d’accomplir un progrès qui nous rapproche des
croisades, — sauf la chevalerie ! ! ! ■— allez, allez de l’avant !
Pas de femmes dans les églises !
Et alors, vous vous apercevrez de ceci: il n’y aura plus
personne.
Est-il possible de trancher du Boileau comme ça avec le.
beau sexe ! Le sexe sans lequel vous ne seriez pas né, Mon-
seigneur.
Comment, vous ne feriez pas même une exception en
faveur de madame Victoria Lafontaine ! Vous lui permettez
bien d’aller en pèlerinage dans votre église de Sainte-Gene-
viôve, et vous ne lui permettriez pas d’y chanter un canti-
que d’actions de grâce!
Ah! son mari doit être bien humilié!
Louis Gille
LOUIS VEUILLOT.
Ce polémiste sacré est le fils d’un gargottier de Bercy.
(Test dans le gargot paternel qu’il apprit le secret des ru-
desses de la langue.
Il passa là ses premières années avec des gens qui se sont
fait connaître à leur tour; dans son voisinage se trouvaient
la future madame Duval, des bouillons, et Clément Bertrand,
le photographe, son frère.
Le débit de vins du papa Veuillot n’était pas fort; il était
de l’ordre le plus modeste; mais le bonhomme avait quatre
enfants à élever ; il arrivait de Boynes (en Gàtinais), dépar-
tement du Loiret, — commune où naquit celui qui, dans sa
langue paternelle, devait un jour tenir tête aux évêques et
se proclamer le champion du catholicisme, le SOUTIEN des
jésuites.
Voyez l’ingratitude ! Le père Veuillot met son fils Louis à
la mutuelle jusqu’à l’âge de treize ans ! Oui, à la mutuelle!
C’est à l’enseignement primaire et laïque que Louis
Veuillot a dû son peu d’éducation.
A-t-on idée de ça en province ?
Les frères ignorantout qu’i’ patronne s’en sont-ils jamais
doutés ?
Les évêques qu’il objurgüe quand ils sont par trop galli-
cans sô doutent-ils qu’il a si peu de latin ?
Lotus Veuillot quitta la mutuelle à treize ans pour entrer
dans une étude d’avoué.
Là, la chronique raconte, - sans avoir jamais été démen-
tie, — qu’il passait son temps à lire de mauvais romans et à
fréquenter les petits théâtres.
La vocation ! la vocation ! '
Cela lui donna des idées littéraires et il s’aperçut tout
d’un coup qu’il était encore moins instruit que s’il était sorti
de chez les frères ignorantout.
Alors, avec cette; énergie qu’on puise sur les comptoirs
paternels, il travailla seul. C’est ce qu’il a fait de mieux
dans sa vie.
A dix-neuf ans, il savait tenir une plume et il entrait
dans les bureaux de 1 'Esprit public.
Il débutait, disait-il, dans la presse à tout faire.
On était alors en 1832, époque de fougue et de roman-
tisme, — preuve qu’il datait de 1813.
Le ministère le prit sous sa protection et l’envoya rédi-
ger Y Echo dé la Seine-Inférieure.
Là, emporté par son ardeur naissante, le futur cardinal
in partibus eut deux duels : l’un avec un acteur qu’il avait
éreinté ; l’autre avec un journaliste républicain du Journal
de Rouen.
Impossible de rester dans un pays où l’on se battait si
bien ! On l’envoya au Mémorial de la Dordogne où, en sa
qualité do rédacteur en chef, il eut de nouveaux duels.
C’était déjà un Cassagnac, — même ton acerbe, — même
esprit agressif.
Enfin, en 1837, i* revint à Paris et collabora à la Charte
de 1830, journal du gouvernement.
Vous 1e voyez, Louis Veuillot est journaliste jusqu’au
bout des ongles, et, quand il insulte ses confrères, ce n’est
pas faute de s’y connaître.
Que dis-je ! Peu de temps après, il prit la rédaction en
chef de la Paix, journal DOCTRINAIRE.
C’était, comme joyeuseté, un disciple de Rornieu ; c’était
un bon vivant dans toute l’acception du mot. Mais le mo-
ment allait venir où il allait cesser d’être drôle, sans ces
ser d’être grincheux.
Dire qu’il faisait dans ce temps-là des chansons plus gri-
voises encore que celles de La Bédollière ! C’est â croire
que je deviendrai capucin.
C’est à cette époque de haute liesse qu’il écrivit Y Hon-
nête femme, un roman que n’aurait pas désavoué l’auteur
de Faublas.
Mais la grâce le toucha.
C’était à Rome ; il y arriva pendant la semaine sainte,
î vit le pape, et tourna casaque sans vergogne à ses anciens
! principes, en l’an de grâce 1838. Il avait vingt-cinq ans.
j Ce que je ne comprends pas, c’est que Y Honnête femme \
\ ait paru en 1844, après les Pèlerinages de la Suisse,—
Pierre Saintive, — le saint Rosaire rilëàité, — des Can-
tiques,— Rome et Lorette, — Agnès de Louvens ou /Mé-
moires de sœur Saint-Louis, — la France et VAlgérie, etc.
Au moment où paraissait Y Honnête femme, il entrait,
comme simple rédacteur, à Y Univers religieux.
Là, vous savez ce qu’il a fait, comme tête et âme de la
! polémique sacrée.
Mais il était resté l’homme de la presse à tout faire, car.
en 1848, il salua la révolution comme une chose providen-
tielle.
Depuis, il a guerroyé avec les évêques, et le Pape lui a
donné raison contre eux. L'Univers a été supprimé et a re-
paru. L’évêque qui l’aime le moins, c’est Mgr Dupanloup,
qui a défendu à son clergé la lecture des articles de sa
gargotte sacrée.
Une seconde fois supprimé, VUnivers reparut sous ce ti-
tre : le Monde-
Le Monde existe encore et l'Univers a encore reparu.
A proprement parier, c’est le Moniteur officiel des jé-
suites.
Quant à citer tous ses ouvrages, la liste en est trop lon-
gue. Nous nous bornons à dire que celui qu’Albert Wolff
préfère e pour titre : les Odeurs de Paris.
Il y a bien encore le Parfum de Rome... mais il faudrait
tout citer, et il ne me paye pas pour cela.
Somme toute, à force de lire et d’écrire, le fils du gar-
gottiëf est devenu un vrai littérateur, malgré le fonds qui
lui manque et lui manquera toujours.
Le Guillois.
Je voudrais bien savoir quel est le mortel intelligent qui,
le premier, a eu l’heureuse idée du far niente. Je demande-
rais à quelqu'un de bonne volonté de le décorer dans la per-
sonne de ses descendants.
Sans être des plus utile, cette invention peut du moins,
à mon avis, être classée parmi les plus agréables.
Il est vrai que tout dépend de la façon dont on l’appli-
que.
L’Oriental agrémente le far niente de la fumée du calu-
met.
L’Italien de quelques tuyaux de macaroni.
Je crois avoir trouvé mieux :
Je le charme, moi, par les agréables divagations que pro-
voquent les coquilles de la Liberté.
Je me permettrai même, à ce propos, de les recomman-
der urbi et orbi.
Jugez plutôt :
(C’est La Liberté qui parle).
« Uue coquille nous a fait dire : « il y a un mois » au lieu
de : il y a six mois... le maréchal Serrano, après avoir
fomenté uu complotisabelliste... quittait Madrid. »
Hein ! que dites-vous de celle-là?
Vous le voyez, la Liberté s’était trompée de peu de chose.
Une coquille? Je le veux bien; mais enfin, dame Liberté,
.Si l’épatement produit par cette coquille a causé une fausse
digestion à mon propriétaire, croyez-vous que ce soit bien
agréable pour lui ?
Remarquez bien que, personnellement, je m’en frictionne
l'épine dorsale, absolument comme d’autres s’en battent
l'œil.
Quoi qu’il en soit, je gobe assez cette façon de mettre
« coquille » pour « erreur. »
C’est d’un meilleur effet pour le lecteur naïf de Brives-la-
Gaillarde ou de Carpentras.
Un journal sérieux, comme la Liberté ne commet pas
d’erreurs; il ne commet que des coquilles.
Vous avouerez que le terme est heureux ; il mérite qu’on
l’utilise dans la vie pratique.
Supposez un filou glissant discrètement la main dans vo-
tre poche et pinçant votre porte-monnaie.
Naturellement, vous vous récriez :
— Ah ! gredin, je t’y prends !
— Oh ! monsieur, mille excuses...
— Comment, mille excuses ?...
— Oui, bourgeois, c’est par coquille que je pinçais votre
porte-monnaie.
— Par coquille ?... qu’est-ce que c’est que ça ?
Bref, vous trouveriez la coquille fort désagréable, n’est-
ce pas ?
Je suis même persuadé que vous aimeriez mieux une
mèche de cheveux dans le gobelet d’une fontaine Wallace
que la main d’un voisin sur votre porte-monnaie.
Malgré tout, que répondre aux explications d’un homme
qui ne s’accuse que d’une simple coquille ?
J’opine à croire qu’il n’est question de ce crime ou délit,
comme on voudra l’appeler, dans aucun Code, et qu’il n’est
pas tribunal au monde pour condamner un infortuné pré-
venu de coquille.
Je suppose que c’est grâce à cette dernière considération
que la Liberté avoue si facilement ce méfait.
Après de tels exemples, pourquoi, dans la suite, n’em-
ploierait-on pas cette aimable ficelle dans toutes les situa-
tions tendues de 1 existence ?
Ainsi on pourrait, par coquille :
Voyager en première classe avec un billet de troisième;
se tromper de chapeau quand on en a un vieux; lire
la Patrie.
Je suis même tenté de croire que c’est de la sorte qu’Al-
phonse Karr vient d’envoyer au Charivari un article des
Guêpes par le canal d’un huissier.
Je ne serais donc pas étonné de lire très prochainement
dans le Journal des gens bien élevés :
« Une coquille (lisez erreur) m’a fait envoyer sur papier
timbré à M. Pierre Véron une tartine des Guêpes au lieu
d’une assignation à comparaître_etc. »
Signé : Alp. Karr.
Vous voyez d’ici la douce gaieté qui charmerait le far
niente de Pierre Véron si la nouvelle de cette rectification
le surprenait dans les délices de la flême.
C’est dans cette situation extraordinairement agréable
que j’ai moi-même été surpris par la coquille de la Liberté