n exerceraient pas sur nous une telle fascination. L atmosphère sentimentale des
gravures y est déjà, plus fraîche, il est vrai, moins complexe, moins profonde,
mais si puissante, qu elle suffit à faire de ces quelque vingt petits ouvrages une
chose tout à fait unique, non seulement dans 1 art allemand, mais dans Part de
I Europe entière. Je ne sais guère que certaines oeuvres japonaises, ou plus encore
chinoises qui nous donnent, par des moyens très différents, une impression ana-
logue, à la fois de volonté organisatrice très lucide et de pouvoir d'évocation poé-
tique tout—à—fait exceptionnel. Je crois qu on a déjà dénoncé cette parenté de
structure entre 1 esprit germanique et 1 esprit de l'Extrême-Orient. Il ne faut
pas oublier, en ce qui concerne Durer, qu une forte dose de sang hongrois coulait
dans ses veines. Or, les hordes hongroises, au moment de leur irruption en Europe,
traînaient certainement après elles des débris de tribus mongoliques. Et combien
de Mongols, parmi tous les envahisseurs venus d'Asie qui avaient contribué à
peupler les plaines du continent européen, de l'Adriatique à la Baltique et du
Rhin à l'Oural!
Quatre ou cinq de ces aquarelles font de Durer le plus grand, peut-être le seul
peintre de montagnes que nous connaissions. Les montagnes, du moins les mon-
tagnes du Nord, désordonnées, déchiquetés, couverts de forêts et de brumes, ne
sont pas plastiques. Ces pays, Forêt-Noire, Suisse, Tyrol, n’ont pas donné un
seul grand peintre, et cela est très normal. Nulle forme harmonieuse et nette,
nulle continuité de charpente entre leurs apparences chaotiques et les réalités lo-
giques de l'esprit. Mais, là encore, Durer triomphe, parce que cette contradiction
fondamentale s'accorde avec les propriétés singulières de l'âme allemande, et de la
sienne, qui résume et exprime l’âme allemande avec un bonheur exceptionnel.
II y a, dans les montagnes du Nord, une sorte de majesté intime, faite sans doute
du contraste de leur désolation sauvage avec la présence de l'homme, et Durer
est le seul qui s’en soit aperçu. Le seul, dans tous les cas, qui l'ait su rendre, par
des moyens aussi directs et aussi simples que possible, mais qui ne semblent pas
plus appartenir à la peinture qu' à la musique et constituent une sorte de com-
promis entre la forme qu'il exprime avec exactitude et minutie par le jeu par-
fait des valeurs, et un flottement imprécis d'harmonie sentimentale et poétique
échappant à toute espèce de langage et ayant sa source dans le coeur. Il est
possible que 1 aquarelle, par son peu de consistance et d épaisseur, sa fluidité
fuyante, la nécessité qu elle exige, par sa résistance aux repentirs, d un choix
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gravures y est déjà, plus fraîche, il est vrai, moins complexe, moins profonde,
mais si puissante, qu elle suffit à faire de ces quelque vingt petits ouvrages une
chose tout à fait unique, non seulement dans 1 art allemand, mais dans Part de
I Europe entière. Je ne sais guère que certaines oeuvres japonaises, ou plus encore
chinoises qui nous donnent, par des moyens très différents, une impression ana-
logue, à la fois de volonté organisatrice très lucide et de pouvoir d'évocation poé-
tique tout—à—fait exceptionnel. Je crois qu on a déjà dénoncé cette parenté de
structure entre 1 esprit germanique et 1 esprit de l'Extrême-Orient. Il ne faut
pas oublier, en ce qui concerne Durer, qu une forte dose de sang hongrois coulait
dans ses veines. Or, les hordes hongroises, au moment de leur irruption en Europe,
traînaient certainement après elles des débris de tribus mongoliques. Et combien
de Mongols, parmi tous les envahisseurs venus d'Asie qui avaient contribué à
peupler les plaines du continent européen, de l'Adriatique à la Baltique et du
Rhin à l'Oural!
Quatre ou cinq de ces aquarelles font de Durer le plus grand, peut-être le seul
peintre de montagnes que nous connaissions. Les montagnes, du moins les mon-
tagnes du Nord, désordonnées, déchiquetés, couverts de forêts et de brumes, ne
sont pas plastiques. Ces pays, Forêt-Noire, Suisse, Tyrol, n’ont pas donné un
seul grand peintre, et cela est très normal. Nulle forme harmonieuse et nette,
nulle continuité de charpente entre leurs apparences chaotiques et les réalités lo-
giques de l'esprit. Mais, là encore, Durer triomphe, parce que cette contradiction
fondamentale s'accorde avec les propriétés singulières de l'âme allemande, et de la
sienne, qui résume et exprime l’âme allemande avec un bonheur exceptionnel.
II y a, dans les montagnes du Nord, une sorte de majesté intime, faite sans doute
du contraste de leur désolation sauvage avec la présence de l'homme, et Durer
est le seul qui s’en soit aperçu. Le seul, dans tous les cas, qui l'ait su rendre, par
des moyens aussi directs et aussi simples que possible, mais qui ne semblent pas
plus appartenir à la peinture qu' à la musique et constituent une sorte de com-
promis entre la forme qu'il exprime avec exactitude et minutie par le jeu par-
fait des valeurs, et un flottement imprécis d'harmonie sentimentale et poétique
échappant à toute espèce de langage et ayant sa source dans le coeur. Il est
possible que 1 aquarelle, par son peu de consistance et d épaisseur, sa fluidité
fuyante, la nécessité qu elle exige, par sa résistance aux repentirs, d un choix
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