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LA PEINTURE D’AUTELS ET DE RETABLES EN POLOGNE
tendances et des recherches les plus neuves. Mieux que toute autre forme de l’art, les xylo-
graphes facilitaient la connaissance des courants contemporains sans demander de voyages
à l’étranger ; plus d’une personnalité artistique s’est enrichie ou redressée grâce à l’émotion
ressentie devant les découvertes d’un maître des Jardins d’Amour, d’un maître E. S. ou d’un
Schongauer.
6. — Le polyptyque des Augustins de Cracovie.
Du grand polyptyque des Augustins (aujourd’hui dans l’église Sainte-Catherine), on a
conservé onze panneaux appartenant presque tous au cycle de la Passion1. Le polyptyque
peut être daté des années 1470 ou suivantes2 ; c’est une œuvre collective où l’on distingue
encore deux mains. A un aide du maître sont très probable dues les trois compositions les
plus médiocres : les Marchands chassés du Temple, le Lavement des Pieds et les Noces de Cana.
On a cru parfois pouvoir l’identifier avec le maître des chœurs de la Trinité3. On soulignera,
d’autre part, la parenté étroite qui existe entre le vrai maître des Augustins et le premier
maître du retable de la Trinité.
Dans l’histoire de la peinture à Cracovie au xve siècle, le retable des Augustins apparaît
comme une œuvre des plus réussies et des plus originales. Cependant, des relations avec l’art
européen peuvent être découvertes dans plusieurs directions. Par exemple, dans la scène de
Y Entrée à Jérusalem, la conception de la forme appelle le rapprochement avec une composi-
tion analogue du Meister des Schottenstifftes4. L’analogie est d’autant plus intéressante que
cet atelier viennois est un terrain d’exploration fécond pour les études sur la genèse de la
forme chez Jean Polak5. D’autre part, certaines versions comme celle de Y Adoration des Mages
(en particulier le Roi agenouillé) et de nombreux détails d’ornementation — tapis orientaux,
dorures et broderies — nous conduisent jusqu’en Italie.
Les empreintes italiennes et danubiennes ne sont pas les seules qui marquent les rapports
du polyptyque de Cracovie avec l’art contemporain. Rapproché du réalisme un peu conven-
tionnel du paysagiste de la Sainte-Croix, celui du maître des Augustins est plus personnel,
attaché à l’expression des modes et des traits d’expression individuels. Cet art sensuel se plaît
aux types physiques fortement caractérisés, souvent même déformés dans le sens de la cari-
cature, comme ceux du maître des Weibermacht. L’attitude de l’artiste vis-à-vis du monde
surnaturel est d’ailleurs aussi empreinte d’une nuance d’ironie. A côté de traits de réalisme
brutal — les arbres morts, les crapauds, le visage du Christ — on voit dans la Prière au Jardin
une petite figure d’ange toute conventionnelle et mécanique. Au surplus, l’influence de la gra-
1. On a conservé les scènes suivantes : 1° Y Adoration
des Rois; 2° la Circoncision ; 3° les Noces de Cana;
4° Y Entrée à Jérusalem; 5° les Marchands chassés du
Temple; 6° le Lavement de pieds ; 7° la Prière au Jar-
din; 8° le Baiser de Judas ; 9° le Christ devant Caiffe;
10° le Christ devant Pi.lata ; 11° la Flagellation ; 12° le
Couronnement d’épines. Cf. T. Dobrowolski, Obrazy z
zycia i mçki pahskiej w kosciele Sw. Katarzyny w Krako-
wie. Rocznik Krakowski, 1929.
2. Walicki, Stilstufen der gotischen Tafelmalerei...
Varsovie, 1933, 33.
3. Estreicher, Tryptyk Sw. Trôjcy. Cracovie, 1936.
4. T. Dobrowolski, Obrazy z zycia i mçki panskiej...
Rocznik Krakowski, 1929, 39.
5. O. Benesch, Der Meister des Krainburger Altars.
Wiener Jh. f. Kunstgeschichte, VI, 1930, 166, et Zur
altôsterreichisclien Tafelmalerei. Jhb. d. Kunst. Samml.
in Wien. N. F., II, 105-107. Vienne, 1928.
LA PEINTURE D’AUTELS ET DE RETABLES EN POLOGNE
tendances et des recherches les plus neuves. Mieux que toute autre forme de l’art, les xylo-
graphes facilitaient la connaissance des courants contemporains sans demander de voyages
à l’étranger ; plus d’une personnalité artistique s’est enrichie ou redressée grâce à l’émotion
ressentie devant les découvertes d’un maître des Jardins d’Amour, d’un maître E. S. ou d’un
Schongauer.
6. — Le polyptyque des Augustins de Cracovie.
Du grand polyptyque des Augustins (aujourd’hui dans l’église Sainte-Catherine), on a
conservé onze panneaux appartenant presque tous au cycle de la Passion1. Le polyptyque
peut être daté des années 1470 ou suivantes2 ; c’est une œuvre collective où l’on distingue
encore deux mains. A un aide du maître sont très probable dues les trois compositions les
plus médiocres : les Marchands chassés du Temple, le Lavement des Pieds et les Noces de Cana.
On a cru parfois pouvoir l’identifier avec le maître des chœurs de la Trinité3. On soulignera,
d’autre part, la parenté étroite qui existe entre le vrai maître des Augustins et le premier
maître du retable de la Trinité.
Dans l’histoire de la peinture à Cracovie au xve siècle, le retable des Augustins apparaît
comme une œuvre des plus réussies et des plus originales. Cependant, des relations avec l’art
européen peuvent être découvertes dans plusieurs directions. Par exemple, dans la scène de
Y Entrée à Jérusalem, la conception de la forme appelle le rapprochement avec une composi-
tion analogue du Meister des Schottenstifftes4. L’analogie est d’autant plus intéressante que
cet atelier viennois est un terrain d’exploration fécond pour les études sur la genèse de la
forme chez Jean Polak5. D’autre part, certaines versions comme celle de Y Adoration des Mages
(en particulier le Roi agenouillé) et de nombreux détails d’ornementation — tapis orientaux,
dorures et broderies — nous conduisent jusqu’en Italie.
Les empreintes italiennes et danubiennes ne sont pas les seules qui marquent les rapports
du polyptyque de Cracovie avec l’art contemporain. Rapproché du réalisme un peu conven-
tionnel du paysagiste de la Sainte-Croix, celui du maître des Augustins est plus personnel,
attaché à l’expression des modes et des traits d’expression individuels. Cet art sensuel se plaît
aux types physiques fortement caractérisés, souvent même déformés dans le sens de la cari-
cature, comme ceux du maître des Weibermacht. L’attitude de l’artiste vis-à-vis du monde
surnaturel est d’ailleurs aussi empreinte d’une nuance d’ironie. A côté de traits de réalisme
brutal — les arbres morts, les crapauds, le visage du Christ — on voit dans la Prière au Jardin
une petite figure d’ange toute conventionnelle et mécanique. Au surplus, l’influence de la gra-
1. On a conservé les scènes suivantes : 1° Y Adoration
des Rois; 2° la Circoncision ; 3° les Noces de Cana;
4° Y Entrée à Jérusalem; 5° les Marchands chassés du
Temple; 6° le Lavement de pieds ; 7° la Prière au Jar-
din; 8° le Baiser de Judas ; 9° le Christ devant Caiffe;
10° le Christ devant Pi.lata ; 11° la Flagellation ; 12° le
Couronnement d’épines. Cf. T. Dobrowolski, Obrazy z
zycia i mçki pahskiej w kosciele Sw. Katarzyny w Krako-
wie. Rocznik Krakowski, 1929.
2. Walicki, Stilstufen der gotischen Tafelmalerei...
Varsovie, 1933, 33.
3. Estreicher, Tryptyk Sw. Trôjcy. Cracovie, 1936.
4. T. Dobrowolski, Obrazy z zycia i mçki panskiej...
Rocznik Krakowski, 1929, 39.
5. O. Benesch, Der Meister des Krainburger Altars.
Wiener Jh. f. Kunstgeschichte, VI, 1930, 166, et Zur
altôsterreichisclien Tafelmalerei. Jhb. d. Kunst. Samml.
in Wien. N. F., II, 105-107. Vienne, 1928.