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Ducuing, François [Editor]
L' Exposition Universelle de ... illustrée (Band 1) — Paris, 1867

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https://doi.org/10.11588/diglit.2079#0123
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L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867 ILLUSTRÉE.

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leux aspects qu'il présente sont d'une exac-
titude incontestable. On peut donc voir le
canal et l'isthme sans faire le voyage.
MM. H i hé et Chaperon ont l'intuition du so-
leil d'Orient. Impossible de faire un tableau
plus merveilleux et plus vrai.

Paul Mekruau.

La rue de Norwége.

Ce n'était vraiment pa-i la peine de venir
déjeuner cbez un tractir (restaurateur) russe,
pour ne trouver à boire que du vin de France,
comme à Saint-Pétersbourg, nous disait der-
nièrement le général *** avec lequel nous
venions de prendre une légère collation au
restaurant moscovite. Passe encore de payer
dix fois leur valeur le caviar et le cacfi ' que
nous venons de manger, mais pas un verre
de kwass* ou de kislicln" pour apaiser notre
soif, pas un verre d'hydromel pour nous
rafraîchir! Cela manque tout à 'ait de cou-
leur locale !

— Calmez-vous, général, nous reviendrons
un autre jour, et peut-être—

— Ils n'en auront pas davantage, le mou-
jik me l'a dit en se frottant les mains, car il
préfère votre cognac au kwass. Où allons-
nous, grand Dieu !

L'aimable vieillard que j'avais eu l'heu-
reuse chance de rencontrer à l'Exposition, me
servait d'interprète dans la contrée hyperbo-
réenne que nous parcourions ensemble en ce
moment; bien qu'il ait gagné tous ses grades
sous les drapeaux français, il est Danois d'o-
rigine et parle couramment, en cette qualité,
toutes les langues qui ont une parenté avec
le slave, sans compter un nombre infini
d'autres. Je le soupçonne d'être en train d'in-
venter une langue universelle à l'usage des
exposants et de leurs visiteurs.

Le voyant sérieusement préoccupé de sa
déconvenue, et désirant le ramènera la spi-
rituelle gaieté qui lui est habituelle, je me
récriai sur la douceur de l'idiome russe, sur
le charmant visage de la paysanne avec la-
quelle il avait assez longtemps causé, et sur
l'élégance de son gracieux costume national,
sans doute parfaitement exact.

— A peu près, nous répondit le généra!,
car jamais cristianika \ quelle que puisse
être la blancheur de sa peau, ne porterait
manches si courtes et gorgeretfe si décolletée.
Non, non : la mousseline bouffante descen-
drait jusqu'à son coude, et le poignet de toile
qui retient la chemise s'agraferait sur sa

1. Sorle de soupe au gruau d'avoine.

2. Boisson aigrelette faite avec de l'eau jetée sur
le levain, qui coûte en Russie un centime la bouteille.

3. Boisson acidulée faite aven de l'épine-vinette.
"». Paysanne.

poitrine à la même hauteur que celui des
vierges de Raphaël.

Tout en devisant nous entrions dans la rue
de Norvège.

— Ah ! cette fois, du moins, voilà de véri-
tables costumes nationaux, s'écria le général
tout joyeux. Oui, ce sont bien là de braves
paysans Dalécarliens, simples, francs, nul-
lement maniérés et que n'a point gâtés un
contact trop fréquent avec notre prétendue
civilisation moderne. C'est plaisir de les voir
naïvement occupés de leurs propres affaires,
sans s'inquiéter du bruit et de l'agitation qui
régnent autour d'eux. Il faut pourtant que je
leur parle, c'est chose si rare pour moi d'en-
tendre ma langue maternelle. Et frappant sur
IVpaule du Dahcarlien :

— Eh bien ! mon brave, que vous semble
de ce grand Paris?... Comment vous y trou-
vez-vous?

L'homme du Nord gardait un silence obs-
tiné.

— Serait-il sourd, se demanda le général
en venant se placer à la portée de son regard.

Puis, poussant uhe exclamation de sur-
prise :

— Comment, s ecria-t-il, ce n'est pas là
un homme en chair et en os, ni celui-ci, ni
cet autre, ni cette femme, ni ce marmot!...

Et il allait de l'un à l'autre des groupes du
curieux salon de Curtîus qui occupe la rue
de la Norwége,

Dire de quelles matières sont formées les
figures danoises, suédoises et norvégiennes
qu'on y rencontre nous serait impossible :
ce n'est pas de la cire, ce n'est pas du plâtre,
ce n'est pas de la pierre, c'est une composi-
tion inconnue pour nous, qui se prête mer-
veilleusement à la représentation du corps
humain: La chair est vivante, la coloration
naturelle, le sang circule véritablement sous
la peau, les mains des femmes sont fines et
délicates; ce qui est admirable surtout, c'est
l'expression de tous ces visages, de tous ces
regards. Certes, ce ne sont point là des sta-
tues, ce sont des êtres vivants.

Cette étrange et mystérieuse population
nous fit éprouver une sensation d etonnement
indéfinissable qui, la nuit, se serait peut-être
changée en terreur.

L'homme auquel venait de s adresser le
géuéral, est un vieux paysan norwégien, de
la province de Tellemarken, assis la canne à
la main. Il est vêtu d'une redingote grise,
d'une culotte de même couleur et d'un ample
gilet bleu à Heurs; il a pour chaussure une
paire de grandes bottes, et sa tête est coifVée
d'un bonnet fourré, a fund de drap rouge,
dans le genre de celui que portent les Tcher-
kesses.

La paysanne avec laquelle il semble con-
verser porte un bonnet blanc gaufré; son
corsage rouge, bordé de vert et alourdi de
broderies, laisse voir sa chemisette blanche
et son collier de verroteries a plusieurs rangs.
Sur sa jupe noire, brodée de vert, s'étale un

tablier blanc, et des guêtres noires envelop-
pent ses jambes chaussées de bas blancs.

Auprès d'eux, un jeune fiancé de la même
province offre une rose à sa promise dont il
presse la main. Il a pour coiffure une calotte
rouge et noire, son gilet est rouge, sa veste
grise ; sa culotte noire est étoilée de fleurs et
tous les boutons de son costumesontd'argent,
ainsi que les boucles de ses souliers. Les
nœuds de ses jarretières noir et or retombent
sur ses bas blancs.

La jeune lille, parée de nombreux bijoux
en or, porte sur sa chemise blanche un mou-
choir de couleur comme celui de nos paysan-
nes; une ceinture rouge serre autour de sa
faille sa jupe noire, brodée d'or, d'argent et
de fleurs, ses bas sont noirs et ses touliers
ornés de bouclés d'argenteomme ceux de son
fiancé. II paraît que l'artiste de ces figures
extraordinaires a donné à celle du jeune
homme tous les traits du fameux Ouli-Eiland.
Permettez-moi de vous faire connaître en pas-
sant ce singulier personnage.

Si la froide Norwége n'a ni orangers, ni
citronniers, elle peut lutter avec l'Italie en
lait de brigandages; elle a ses Fra-Diavolo.
Le plus célèbre d'entre eux, il y a quelques an-
nées, s'appelait Ouli-Eiland. C'était un grand
garçon, aux cheveux blonds bouclés, à l'œil
mélancolique et doux. Il n'affectait pas M
poésie aventureuse de son confrère de Calabre,
il ne visait nullement aux honneurs de l'opéra-
comique; il ne pensait qu'à L'utile.

S'il eût rencontré dans ses montagnes une
lady sentimentale, il ne lui eût demandé que
ces diamants. Quand il avait devant lui quel-
ques économies, il se reposait. La faim seule
ie taisait sortir de son far niente, mais il dé-
ployait alors une incroyable audace. Il entrait
en plein jour dans les villes où l'on mettait
sa têle à prix, et comme il aimait à être au cou-
rant des nouvelles, il allait lire son signale-
ment à la porte des prisons. II passait volon-
tiers ses loisirs à se faire arrêter, enfermer et
juger. Cette occupation jetai t de la variété et de
la fantaisie dans son existence : » Le pauvre
gouverneur! disait-il en souriant, le lende-
main de son entrée en prison, comme il sera
fâché d apprendre que je l'ai encore quitté 1 »
Kl bientôt, eu effet, les verrous tombaient, les
grilles tombaient d'elles-mêmes devant ce
mauvais prisonnier.

Un jour le gouvernaurcrut avoir fait mer-
veille. Il avait inventé un fauteuil élastique
qui devait être exposé dans la rue de Norwége.
Quand un prisonnier y était assis, le dossier
flexible suivait la cambrure des reins, les
bras souples et forts du siège perfide enla-
çaient le patient dans une invincible étreinte,
se rivant au sol par des pieds de fer. C'était
un chef-d'œuvre mécanique dont le gouver-
neur était très-fier.

Ouli-Eiland entendit parler de cette inven-
tion; il s'empressa de se l'aire arrêter pour
satisfaire sa curiosité. Le gouverneur lui
montra le fauteuil d'un air goguenard ; le
 
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