L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1867 ILLUSTRÉE.
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la règle, puis quand on a été bien sage, vient
un enchanteur qu'on appelle un mari et il
vous donne toutes ces belles choses qu'ont les
poupées.
— Toutes?
— Toutes et d'autres encore. »
L'enfant me sauta au cou; j'avais ma ré-
compense. Mais ma curiosité étant excitée par
ce grand désespoir qui faisait pleuvoir tant
de larmes sur une toilette toute neuve, je
dirigeai ma promenade du côté des pou-
pées.
Leur royaume n'est pas difficile à trouver.
Au besoin la foule vous servirait de guide.
Tout autour des vitrines qui renferment ces
jolies personnes, il y a toujours des curieux
par centaines. Les petits grimpent sur les
épaules des grands, les mères tiennent leurs
filles dans les bras et cela fait un rempart
vivant de têtes brunes et blondes, de cheveux
bouclés etde bouches roses d'où sortent mille
exclamations.
J'ai eu un moment d'hallucination, et il
m'a semblé que j'entrais dans le royaume
des fées.
En y réfléchissant bien il ne m'est même
pas démontré qu'un magicien fameux n'a pas
réduit un certain nombre de grandes Pari-
siennes à l'état de poupées et les a renfermées
sous verre, comme autrefois Asmodée dans
sa bouteille, en punition de quelques menus
péchés dont le souvenir s'est perdu dans le
caquetage des salons.
Seulement pour ne donner l'éveil à per-
sonne, ce magicien qui jadis s'appelait Para-
faragaramus ou Merlin, se nomme aujourd'hui
Huret ou Théronde.
Regardez bien!
Ne vous semble-t-il pas que hier encore
vous avez salué ces belles poupées aux Champs-
Elysées, et valsé avec quelques-unes d'entre
elles au dernier bal de M* le ministre d'État?
Bonjour, belle marquise, j'ai eu l'honneur
de passer quatre minutes dans votre loge à
l'Opéra, vendredi dernier. On donnait l'Afri-
caine. Faure a merveilleusement chanté.
Madame la comtesse, si vous le permettez,
nous achèverons demain soir chez M me deR....
la conversation que nous avons commencée
l'autre jour chez Mme de C...? Mon Dieu!
quelle belle robe de dentelles vous avez là!
Si on insistait un peu, ces charmantes pou-
pées finiraient par vous saluer et répondre à
vos questions. Mais la foule qui vous presse
ne vous en laisse pas le temps.
Peut-être aussi l'enchanteur que vous savez
et qui les a métamorphosées ne le permet pas.
Mme Bireux, et vous aimables maîtresses
du Bengali, vous avez donc des rigueurs à
nulle autre pareilles!
Par exemple, si ces petites Parisiennes
gardées sous cloche, n'ont plus le don de la
parole, — et j'imagine que cela doit les gê-
ner horriblement, — elles ont la joie d'être
habillées par les meilleures faiseuses. Que-
ues-unes, même, et cela se voit du premier
coup d'oeil, ont été chaussées, coiffées et at-
tifées par les tailleurs les plus experts.
Quelles robes et quelles attitudes! qu'elles
portent bien le chapeau qu'on ne voit pas, et
qu'elles manient l'évantail avec élégance!
aucune n'a perdu les habitudes de la plus
brillante compagnie, et on leur a prodigué
les costumes les plus à la mode.
Madame arrive du bois de Boulogne.
Voyez, elle n'a pas encore eu le temps d'en-
lever son burnous.
Il est clair que mademoiselle part pour les
eaux de Bade ou les eaux de Trouville. Elle
a le tudor en tête et la bottine jaune à hauts
talons aux pieds.
Quant à Mme la duchesse, elle se rend au
bal avec entraînement. Les diamants étincel-
lent à son cou et sa jupe aux longs plis louche
a l'extrémité du salon. Et tenez ! sa voiture
attelée de deux alezans brûlés est là qui
l'attend. Déjà le groom vient d'abattre «le
marche-pied. Il y a dans ce joli royaume
qu'une baguette protectrice protège contre
toutes les révolutions, un salon dont les in-
vités sont tous pour le moins ambassadeurs,
ministres ou chambellans. Les plus humbles
sont députés!
Ah! le beau salon!
Je ne crois pas qu'aux Tuileries même,
on aperçoive plus de broderiesetde crachats.
Les belles dames sont à l'avenant des beaux
messieurs. On se croirait chez MmedeMetter-
nich. Les laquais eux-mêmes, qui offrent
des rafraîchissements, ont une façon de pré-
senter le plateau qui n'appartitnt qu'aux
gens de bonne maison. On n'en connaît pas
de mieux poudrés.
N'entre pas qui veut dans un pareil salon !
Et cet autre, tout à côté, un salon de fa-
mille cette fois, qu'il fait plaisir à voir! La
grand'mère vient d'entrer portant un beau
cachemire sur ses épaules; une jeune femme
donne un coup d'oeil à sa toilette devant
une glace, et son regard inquiet sollicite le
suffrage d'un jeune homme qui l'examine.
Cependant une jeune ûllejouedu piano, tan-
dis qu'un eufant, un bébé, qui a une cein-
ture plus large que lui, grimpe sur un fau-
teuil. Un monsieur grave, le père, sans
doute, lit un journal auprès d'une charmante
personne en robe du matin qui ouvre une
boîte à bijoux.
Rien ne me surprendrait moins que d'en-
tendre le son du piano.
Par exemple, une chose me ravit et m'en-
lève toute inquiétude surl'avenir de toutes ces
poupées. Il suffit de les regarder pour com-
prendre qu'elles sont millionnaires de mère
en tille. La plus modeste a épousé un agent
de change l'an dernier. Les plus belles
étoffes et les plus riches écrins, voilà simple-
ment ce qu'elles daignent accepter.
Maintenant je comprends un peu le grand
désespoir de cetle petite fille dont je vous
racontais les sanglots tout à l'heure. Mes-
dames et mesdemoiselles les poupées ont
tout et le reste. Elles n'ont vraiment rien
à envier à Mme de Rothschild.
Une prévoyance généreuse leur avait tout
donné. La plupart même pourraient entrer
en ménage dès ce soir. Le mobilier est là ; les
armoires regorgent de linge et les coffrets de
bijoux, la corbeille de mariage est pleine de
cachemires etde dentelles; personne, dans la
Chaussée-d'Antin, n'a de plus confortable :
cabinet de toilette, caisses et sacs de voyage
sont tout prêts, la voiture est sous la remise,
les chevaux piaffent dans l'écurie, voici le
valet de pied et le cocher, point d'objets à l'u-
sage des grandes coquettes qu'on ait oublié,
et si ces dames veulent se déguiser pour aller
au bal de M. le ministre de la marine, voici
le masque et le domino.
Les enchanteurs ont le privilège de ces
prodigalités!
Il a paru que ce n'était poinl assez.
Voici maintenant que les poupées ont leurs
poupées.
Et ces poupées des poupées ont leurs ber-
ceaux, leurs hochets, leurs nourrices, et leurs
polichinelles!
C'est tout un monde.
Quand je vous disais qu'il y a eu des coups
de baguette dans le passé!
Je vous assure, mesdames, que si vous
voulez prendre des leçons de coquetterie et
de belles manières, vous n'avez qu'à rendre
visite à ces belles personnes qui n'ont pas
quinze pouces de haut. Elles vous diront
comment on porte le mantelet et comment on
sourit.
Vous me répondrez sans doute que vous
n'en avez pas besoin.
C'est vrai l
Mais voilà qu'une i< flexion philosophique
me traverse l'esprit. Au courant delà plume,
et quand il est question de poupées, ces pué-
rilités sont permises.
Si les aimables petites personnes à qui
leurs mamans et leurs marraines offrent, au
jour de l'an, ces poupées et leur trousseau,
s'imaginent qu'il suffit de venir tout simple-
ment au monde pour avoir des calèches et
des rubis, des robes de satin et des casaques
brodées d'or, des volants de point d'Aleneon
et des manchons de zibeline, elles nous pré-
parent pour l'avenir une singulière généra-
tion de mères de famille!
« Mais, me disait une Parisienne à laquelle
je faisais part de ce scrupule, tout dépend
du gendre ! il ne s'agit que de bien choisir.
— Vous avez raison, madame. »
Et voyez quelle précaution! pas une pau-
vresse parmi ces poupées, pas même une ou-
vrière, personne qui travaille: mais par ha-
sard, et encore est-ce une concession, par-ci
par-là une belle Cauchoise attifée de dentelles
ou quelque soubrette en bonnet à fleurs!
« Monsieur, me disait un économiste, si
le pays des poupées existait, ce serait le Pa-
radis. »
AhÈDÉE ACHMID.
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la règle, puis quand on a été bien sage, vient
un enchanteur qu'on appelle un mari et il
vous donne toutes ces belles choses qu'ont les
poupées.
— Toutes?
— Toutes et d'autres encore. »
L'enfant me sauta au cou; j'avais ma ré-
compense. Mais ma curiosité étant excitée par
ce grand désespoir qui faisait pleuvoir tant
de larmes sur une toilette toute neuve, je
dirigeai ma promenade du côté des pou-
pées.
Leur royaume n'est pas difficile à trouver.
Au besoin la foule vous servirait de guide.
Tout autour des vitrines qui renferment ces
jolies personnes, il y a toujours des curieux
par centaines. Les petits grimpent sur les
épaules des grands, les mères tiennent leurs
filles dans les bras et cela fait un rempart
vivant de têtes brunes et blondes, de cheveux
bouclés etde bouches roses d'où sortent mille
exclamations.
J'ai eu un moment d'hallucination, et il
m'a semblé que j'entrais dans le royaume
des fées.
En y réfléchissant bien il ne m'est même
pas démontré qu'un magicien fameux n'a pas
réduit un certain nombre de grandes Pari-
siennes à l'état de poupées et les a renfermées
sous verre, comme autrefois Asmodée dans
sa bouteille, en punition de quelques menus
péchés dont le souvenir s'est perdu dans le
caquetage des salons.
Seulement pour ne donner l'éveil à per-
sonne, ce magicien qui jadis s'appelait Para-
faragaramus ou Merlin, se nomme aujourd'hui
Huret ou Théronde.
Regardez bien!
Ne vous semble-t-il pas que hier encore
vous avez salué ces belles poupées aux Champs-
Elysées, et valsé avec quelques-unes d'entre
elles au dernier bal de M* le ministre d'État?
Bonjour, belle marquise, j'ai eu l'honneur
de passer quatre minutes dans votre loge à
l'Opéra, vendredi dernier. On donnait l'Afri-
caine. Faure a merveilleusement chanté.
Madame la comtesse, si vous le permettez,
nous achèverons demain soir chez M me deR....
la conversation que nous avons commencée
l'autre jour chez Mme de C...? Mon Dieu!
quelle belle robe de dentelles vous avez là!
Si on insistait un peu, ces charmantes pou-
pées finiraient par vous saluer et répondre à
vos questions. Mais la foule qui vous presse
ne vous en laisse pas le temps.
Peut-être aussi l'enchanteur que vous savez
et qui les a métamorphosées ne le permet pas.
Mme Bireux, et vous aimables maîtresses
du Bengali, vous avez donc des rigueurs à
nulle autre pareilles!
Par exemple, si ces petites Parisiennes
gardées sous cloche, n'ont plus le don de la
parole, — et j'imagine que cela doit les gê-
ner horriblement, — elles ont la joie d'être
habillées par les meilleures faiseuses. Que-
ues-unes, même, et cela se voit du premier
coup d'oeil, ont été chaussées, coiffées et at-
tifées par les tailleurs les plus experts.
Quelles robes et quelles attitudes! qu'elles
portent bien le chapeau qu'on ne voit pas, et
qu'elles manient l'évantail avec élégance!
aucune n'a perdu les habitudes de la plus
brillante compagnie, et on leur a prodigué
les costumes les plus à la mode.
Madame arrive du bois de Boulogne.
Voyez, elle n'a pas encore eu le temps d'en-
lever son burnous.
Il est clair que mademoiselle part pour les
eaux de Bade ou les eaux de Trouville. Elle
a le tudor en tête et la bottine jaune à hauts
talons aux pieds.
Quant à Mme la duchesse, elle se rend au
bal avec entraînement. Les diamants étincel-
lent à son cou et sa jupe aux longs plis louche
a l'extrémité du salon. Et tenez ! sa voiture
attelée de deux alezans brûlés est là qui
l'attend. Déjà le groom vient d'abattre «le
marche-pied. Il y a dans ce joli royaume
qu'une baguette protectrice protège contre
toutes les révolutions, un salon dont les in-
vités sont tous pour le moins ambassadeurs,
ministres ou chambellans. Les plus humbles
sont députés!
Ah! le beau salon!
Je ne crois pas qu'aux Tuileries même,
on aperçoive plus de broderiesetde crachats.
Les belles dames sont à l'avenant des beaux
messieurs. On se croirait chez MmedeMetter-
nich. Les laquais eux-mêmes, qui offrent
des rafraîchissements, ont une façon de pré-
senter le plateau qui n'appartitnt qu'aux
gens de bonne maison. On n'en connaît pas
de mieux poudrés.
N'entre pas qui veut dans un pareil salon !
Et cet autre, tout à côté, un salon de fa-
mille cette fois, qu'il fait plaisir à voir! La
grand'mère vient d'entrer portant un beau
cachemire sur ses épaules; une jeune femme
donne un coup d'oeil à sa toilette devant
une glace, et son regard inquiet sollicite le
suffrage d'un jeune homme qui l'examine.
Cependant une jeune ûllejouedu piano, tan-
dis qu'un eufant, un bébé, qui a une cein-
ture plus large que lui, grimpe sur un fau-
teuil. Un monsieur grave, le père, sans
doute, lit un journal auprès d'une charmante
personne en robe du matin qui ouvre une
boîte à bijoux.
Rien ne me surprendrait moins que d'en-
tendre le son du piano.
Par exemple, une chose me ravit et m'en-
lève toute inquiétude surl'avenir de toutes ces
poupées. Il suffit de les regarder pour com-
prendre qu'elles sont millionnaires de mère
en tille. La plus modeste a épousé un agent
de change l'an dernier. Les plus belles
étoffes et les plus riches écrins, voilà simple-
ment ce qu'elles daignent accepter.
Maintenant je comprends un peu le grand
désespoir de cetle petite fille dont je vous
racontais les sanglots tout à l'heure. Mes-
dames et mesdemoiselles les poupées ont
tout et le reste. Elles n'ont vraiment rien
à envier à Mme de Rothschild.
Une prévoyance généreuse leur avait tout
donné. La plupart même pourraient entrer
en ménage dès ce soir. Le mobilier est là ; les
armoires regorgent de linge et les coffrets de
bijoux, la corbeille de mariage est pleine de
cachemires etde dentelles; personne, dans la
Chaussée-d'Antin, n'a de plus confortable :
cabinet de toilette, caisses et sacs de voyage
sont tout prêts, la voiture est sous la remise,
les chevaux piaffent dans l'écurie, voici le
valet de pied et le cocher, point d'objets à l'u-
sage des grandes coquettes qu'on ait oublié,
et si ces dames veulent se déguiser pour aller
au bal de M. le ministre de la marine, voici
le masque et le domino.
Les enchanteurs ont le privilège de ces
prodigalités!
Il a paru que ce n'était poinl assez.
Voici maintenant que les poupées ont leurs
poupées.
Et ces poupées des poupées ont leurs ber-
ceaux, leurs hochets, leurs nourrices, et leurs
polichinelles!
C'est tout un monde.
Quand je vous disais qu'il y a eu des coups
de baguette dans le passé!
Je vous assure, mesdames, que si vous
voulez prendre des leçons de coquetterie et
de belles manières, vous n'avez qu'à rendre
visite à ces belles personnes qui n'ont pas
quinze pouces de haut. Elles vous diront
comment on porte le mantelet et comment on
sourit.
Vous me répondrez sans doute que vous
n'en avez pas besoin.
C'est vrai l
Mais voilà qu'une i< flexion philosophique
me traverse l'esprit. Au courant delà plume,
et quand il est question de poupées, ces pué-
rilités sont permises.
Si les aimables petites personnes à qui
leurs mamans et leurs marraines offrent, au
jour de l'an, ces poupées et leur trousseau,
s'imaginent qu'il suffit de venir tout simple-
ment au monde pour avoir des calèches et
des rubis, des robes de satin et des casaques
brodées d'or, des volants de point d'Aleneon
et des manchons de zibeline, elles nous pré-
parent pour l'avenir une singulière généra-
tion de mères de famille!
« Mais, me disait une Parisienne à laquelle
je faisais part de ce scrupule, tout dépend
du gendre ! il ne s'agit que de bien choisir.
— Vous avez raison, madame. »
Et voyez quelle précaution! pas une pau-
vresse parmi ces poupées, pas même une ou-
vrière, personne qui travaille: mais par ha-
sard, et encore est-ce une concession, par-ci
par-là une belle Cauchoise attifée de dentelles
ou quelque soubrette en bonnet à fleurs!
« Monsieur, me disait un économiste, si
le pays des poupées existait, ce serait le Pa-
radis. »
AhÈDÉE ACHMID.