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VOYAGE A TRAVERS
pour leur fubfiftance, Se ils font de bon vin rouge. Nous achetâmes quel-
ques manufeipts de leur prêtre : après diner nous continuâmes notre voyage à
travers la même forte de pays, entre Eft-quart-Sud-Eil- & Eft-Sud-Eft; «Se
nous arrivâmes à un village Turc apellé Howareen, à trois heures de Sudud,
où nous couchâmes.
Howareen a la même aparence de pauvreté que Sudud : mais nous y trouvâ-
mes quelques ruines qui font voir que cet endroit a été autrefois plus confidérable.
Une tour quarrée, revêtue de créneaux faillans pour la rendre capable de dé-
fenfe, relfemble à un ouvrage bâti il y a trois ou quatre cens ans; & deux églifes
en ruines peuvent être du même fiecle, quoiqu'il y ait dans ces bâtimens des
matériaux beaucoup plus anciens, Se employés fans jugement. On voit dans les
murs quelques chapiteaux corinthiens, &plufieurs grandes bâfes Attiques de mar-
bre blanc: cesfragmens de l'antiquité, Se quelques autres qu'on trouve répandus
çà & là, ont apartenu à des ouvrages de plus de dépenfe que de goût. Nous
avons remarqué un village voifm entièrement abandonné de fes nabi tans, ce qui
arrive fréquemment dans ces pays-là: quand le produit des terres ne répond
pas à la culture, les habitans les quittent fouvent pour n'être pas op rimes.
Nous partimes d Howareen le r 2, Se nous arrivâmes trois heures après à
Carietein, tenant toujours la même direction. Ce village ne diffère des précé-
dens qu'en ce qu'il efl un peu plus grand. Il y a aufli quelques fragmens de marbre
qui viennent d'anciens édifices, comme des fûts de colonnes, quelques chapi-
teaux Corinthiens, une bâfe Dorique, & deux inferiptions Greques imparfaites.
On jugea à propos de nous faire refier ici ce jour-là, tant pour raffembler le
relie de notre efeorte, à qui l'Aga avoit ordonné de nous accompagner, que
pour préparer notre monde Se nos befliaux à la fatigue du relie de notre voy-
age: car, quoique nous ne pufîions pas l'achever en moins de vingt-quatre heures,
il falloit faire ce trajet tout d une traite, n'y ayant point d'eau dans cette par-
tie-là du defert.
Nous laiffames Carietein le 13 fur les dix heures ou environ: c'étoit trop
tard de beaucoup; mais notre corps devenoit plus difficile à gouvernera mefu-
re qu'il devenoit plus nombreux. Cette mauvaife conduite fut caufe que nous
fumes expôfés à la chaleur de deux jours, avant que nos befliaux puffent s'abreu-
ver ni fe repôfer: Se quoique tout-à-fait au commencement de la fiifon, le fable
réfléchiiïbit très fortement l'ardeur du foleil, Se nous n'eûmes ni vent ni ombre
pour nous foulager durant tout le voyage.
Notre caravanne étoit alors fort augmentée, confiflant en environ deux cens
perfonnes, & à peu près le même nombre de bêtes de charge, qui fefoient un
mélange grotefque de chevaux, de chameaux, de mulets Se d'ânes. Notre
guide nous dit que nous en étions à la partie la plus dangereufe de notre
voyage, Se nous pria de nous foumettre entièrement à fes ordres, qui furent
que les domeftiques fe tinfent avec le bagage immédiatement derrière notre garde
Arabe, de la quelle on détachoit fréquemment un ou deux cavaliers, ou davan-
tage, pour les envoyer à la découverte à toutes les éminences qu'on voyoit,
Se où ils reiloient jufqu'à ce que nous les euffions joints. Ces cavaliers
quittoient toujours la caravane à bride abatue, à la manière des Tartares & des
Houflars. Nous ne favions li toute cette précaution étoit réellement l'effet du
danger qu'ils apréhendoient, ou li ce n'étoit pas plutôt une affeélâtion pour
nous faire concevoir une haute idée de leur utilité Se de leur vigilance. Notre
rouet
VOYAGE A TRAVERS
pour leur fubfiftance, Se ils font de bon vin rouge. Nous achetâmes quel-
ques manufeipts de leur prêtre : après diner nous continuâmes notre voyage à
travers la même forte de pays, entre Eft-quart-Sud-Eil- & Eft-Sud-Eft; «Se
nous arrivâmes à un village Turc apellé Howareen, à trois heures de Sudud,
où nous couchâmes.
Howareen a la même aparence de pauvreté que Sudud : mais nous y trouvâ-
mes quelques ruines qui font voir que cet endroit a été autrefois plus confidérable.
Une tour quarrée, revêtue de créneaux faillans pour la rendre capable de dé-
fenfe, relfemble à un ouvrage bâti il y a trois ou quatre cens ans; & deux églifes
en ruines peuvent être du même fiecle, quoiqu'il y ait dans ces bâtimens des
matériaux beaucoup plus anciens, Se employés fans jugement. On voit dans les
murs quelques chapiteaux corinthiens, &plufieurs grandes bâfes Attiques de mar-
bre blanc: cesfragmens de l'antiquité, Se quelques autres qu'on trouve répandus
çà & là, ont apartenu à des ouvrages de plus de dépenfe que de goût. Nous
avons remarqué un village voifm entièrement abandonné de fes nabi tans, ce qui
arrive fréquemment dans ces pays-là: quand le produit des terres ne répond
pas à la culture, les habitans les quittent fouvent pour n'être pas op rimes.
Nous partimes d Howareen le r 2, Se nous arrivâmes trois heures après à
Carietein, tenant toujours la même direction. Ce village ne diffère des précé-
dens qu'en ce qu'il efl un peu plus grand. Il y a aufli quelques fragmens de marbre
qui viennent d'anciens édifices, comme des fûts de colonnes, quelques chapi-
teaux Corinthiens, une bâfe Dorique, & deux inferiptions Greques imparfaites.
On jugea à propos de nous faire refier ici ce jour-là, tant pour raffembler le
relie de notre efeorte, à qui l'Aga avoit ordonné de nous accompagner, que
pour préparer notre monde Se nos befliaux à la fatigue du relie de notre voy-
age: car, quoique nous ne pufîions pas l'achever en moins de vingt-quatre heures,
il falloit faire ce trajet tout d une traite, n'y ayant point d'eau dans cette par-
tie-là du defert.
Nous laiffames Carietein le 13 fur les dix heures ou environ: c'étoit trop
tard de beaucoup; mais notre corps devenoit plus difficile à gouvernera mefu-
re qu'il devenoit plus nombreux. Cette mauvaife conduite fut caufe que nous
fumes expôfés à la chaleur de deux jours, avant que nos befliaux puffent s'abreu-
ver ni fe repôfer: Se quoique tout-à-fait au commencement de la fiifon, le fable
réfléchiiïbit très fortement l'ardeur du foleil, Se nous n'eûmes ni vent ni ombre
pour nous foulager durant tout le voyage.
Notre caravanne étoit alors fort augmentée, confiflant en environ deux cens
perfonnes, & à peu près le même nombre de bêtes de charge, qui fefoient un
mélange grotefque de chevaux, de chameaux, de mulets Se d'ânes. Notre
guide nous dit que nous en étions à la partie la plus dangereufe de notre
voyage, Se nous pria de nous foumettre entièrement à fes ordres, qui furent
que les domeftiques fe tinfent avec le bagage immédiatement derrière notre garde
Arabe, de la quelle on détachoit fréquemment un ou deux cavaliers, ou davan-
tage, pour les envoyer à la découverte à toutes les éminences qu'on voyoit,
Se où ils reiloient jufqu'à ce que nous les euffions joints. Ces cavaliers
quittoient toujours la caravane à bride abatue, à la manière des Tartares & des
Houflars. Nous ne favions li toute cette précaution étoit réellement l'effet du
danger qu'ils apréhendoient, ou li ce n'étoit pas plutôt une affeélâtion pour
nous faire concevoir une haute idée de leur utilité Se de leur vigilance. Notre
rouet