MAHOMET LE GRAND,
SEPTIEME EMPEREUR DES TURCS.
1451-1481.
T i a mort d’Amurat procura a Mahomet la possession de tous les objets de ses voeux. II avoit
maintenant vingt un ans; 1’accroissement considerable de territoire dont il herita, loin de satisfaire a
son ambition ne fit que lui inspirer le soifde nouvellesconquetes. II commenga son regne, cependant,
par des mesures de police interieure; car ayant remarque les abus qui s’etoient glisses peu-a-peu
dans tous les departemens du gouvernement, il fit faire des recherches qui avoient l’effet, non seule-
ment de decouvrir les coupables mais aussi d’empecher dans la suite la commission d’enormites
pareilles. La bonte et la generosite d’Amurat l’avoient souvent porte a prodiguer des liberalites et
des promotions a ses soldats et a ses amis; de maniere qu’une reformation etoit en partie necessaire;
mais comme ni sentiment, ni reconnoissance, ni respect pour la memoire de son pere n’entroit dans
le caractere de Mahomet, il ne lui coutoit pas de faire executer a la rigueur ses plans d’economie et
de reforme.
Apres qu’il eut mis le gouvernement sur le pied qui lui convint, il exigea de ses sujets des con-
tributions si enormes, qu’on voyoit bien qu’il avoit en vue quelque grande entreprise, et la destruc-
tion de l’empire Byzantin fut bientot l’objet declare de ses preparatifs. Il commenga le siege
memorable de Constantinople avec une armee nombreuse et un train immense d’artillerie: mais ses
batteries, quoique monteesde cannon d’une grandeur extraordinaire, ne faisoient que pen d’impression
sur les remparts: et les assieges, avec une Industrie et une perseverance incroyables, reparoient
pendant la nuit le dommage qui avoit ete fait pendant le jour. L’entree du port etant telJement
protegee par de grosses chaines et des estacades que toutes les efforts des Turcs demeuroient sans
effet, Mahomet congut le projet hardi de couper un passage par terre; ce projet etant accompli avec
un travail incroyable, le canal fut double de planches, et avec les secours de machines, on transporta
dans une seule nuit, quatre vingt galeres et soixante et dix autres vaisseaux, une distance de dix
milles, et les langa dans le port de Constantinople. L’etonnement et l’effroi des Grecs se laissent a
peine concevoir, lorsqu’ils se virent entoures le matin, par la flotte ennemie ; et apres un siege de
quarante jours, on ne pouvoit plus detourner le sort de Constantinople. En vain on proposa au
Sultan une capitulation; la perspective de la possession des tresors de Byzance ne faisoit qu’irriter
la ferocite des assiegeans; le combat fut opiniatre et meurtrier, et les Turcs montoient a la breche
sur les cadavres amonceles de leurs camerades. Au milieu de cette scene de carnage, Justinian,
general des Chretiens, fut blesse: il falloit l’emporter du champ de battaille,ce qui repandit la con-
sternation parmi ses troupes, et 1’Empereur grec, voyant que tous ses efforts pour ranimer leur
courage etoient sans fruit, s’elanga dans les rangs des assiegeans, oil il fut tue. La ville fut livree au
pillage pendant troisjours: les tresors qui yfurent trouves surpassoient l’attente memedes vainqueurs,
qui s’en retournoient a leur camp, charges des depouilles de la Grece. Cette grande conquete, qui
acheva la dissolution de 1 empire romain, eut lieu le vingt neuf Mai, l’an mil quatre cent cinquante
trois de here chretienne.
Constantinople ainsi saccage et devaste, auroit pu rester un amas de decombres, si sa position in-
comparable ne l’avoit pas designe pour le siege d’un grand empire. En peu de terns, la ville reprit
l’apparence de son opulence et sa grandeur anciennes ; des habitans y venoient en foule de toutes
les parties de la Grece, et la memoire de Byzance, jadis le siege de la science et de la civilisation,
renaquit, a un haut degre, dans leclat de la magnificence ottomane.
Parmi les prisonniers qu’on avoit pris a Constantinople, se trouvoit Irene, une Greque d’une
beaute incomparable, dont l’Empereur devint si amoureux qu’il lepousa, et dans la vigueur de la
SEPTIEME EMPEREUR DES TURCS.
1451-1481.
T i a mort d’Amurat procura a Mahomet la possession de tous les objets de ses voeux. II avoit
maintenant vingt un ans; 1’accroissement considerable de territoire dont il herita, loin de satisfaire a
son ambition ne fit que lui inspirer le soifde nouvellesconquetes. II commenga son regne, cependant,
par des mesures de police interieure; car ayant remarque les abus qui s’etoient glisses peu-a-peu
dans tous les departemens du gouvernement, il fit faire des recherches qui avoient l’effet, non seule-
ment de decouvrir les coupables mais aussi d’empecher dans la suite la commission d’enormites
pareilles. La bonte et la generosite d’Amurat l’avoient souvent porte a prodiguer des liberalites et
des promotions a ses soldats et a ses amis; de maniere qu’une reformation etoit en partie necessaire;
mais comme ni sentiment, ni reconnoissance, ni respect pour la memoire de son pere n’entroit dans
le caractere de Mahomet, il ne lui coutoit pas de faire executer a la rigueur ses plans d’economie et
de reforme.
Apres qu’il eut mis le gouvernement sur le pied qui lui convint, il exigea de ses sujets des con-
tributions si enormes, qu’on voyoit bien qu’il avoit en vue quelque grande entreprise, et la destruc-
tion de l’empire Byzantin fut bientot l’objet declare de ses preparatifs. Il commenga le siege
memorable de Constantinople avec une armee nombreuse et un train immense d’artillerie: mais ses
batteries, quoique monteesde cannon d’une grandeur extraordinaire, ne faisoient que pen d’impression
sur les remparts: et les assieges, avec une Industrie et une perseverance incroyables, reparoient
pendant la nuit le dommage qui avoit ete fait pendant le jour. L’entree du port etant telJement
protegee par de grosses chaines et des estacades que toutes les efforts des Turcs demeuroient sans
effet, Mahomet congut le projet hardi de couper un passage par terre; ce projet etant accompli avec
un travail incroyable, le canal fut double de planches, et avec les secours de machines, on transporta
dans une seule nuit, quatre vingt galeres et soixante et dix autres vaisseaux, une distance de dix
milles, et les langa dans le port de Constantinople. L’etonnement et l’effroi des Grecs se laissent a
peine concevoir, lorsqu’ils se virent entoures le matin, par la flotte ennemie ; et apres un siege de
quarante jours, on ne pouvoit plus detourner le sort de Constantinople. En vain on proposa au
Sultan une capitulation; la perspective de la possession des tresors de Byzance ne faisoit qu’irriter
la ferocite des assiegeans; le combat fut opiniatre et meurtrier, et les Turcs montoient a la breche
sur les cadavres amonceles de leurs camerades. Au milieu de cette scene de carnage, Justinian,
general des Chretiens, fut blesse: il falloit l’emporter du champ de battaille,ce qui repandit la con-
sternation parmi ses troupes, et 1’Empereur grec, voyant que tous ses efforts pour ranimer leur
courage etoient sans fruit, s’elanga dans les rangs des assiegeans, oil il fut tue. La ville fut livree au
pillage pendant troisjours: les tresors qui yfurent trouves surpassoient l’attente memedes vainqueurs,
qui s’en retournoient a leur camp, charges des depouilles de la Grece. Cette grande conquete, qui
acheva la dissolution de 1 empire romain, eut lieu le vingt neuf Mai, l’an mil quatre cent cinquante
trois de here chretienne.
Constantinople ainsi saccage et devaste, auroit pu rester un amas de decombres, si sa position in-
comparable ne l’avoit pas designe pour le siege d’un grand empire. En peu de terns, la ville reprit
l’apparence de son opulence et sa grandeur anciennes ; des habitans y venoient en foule de toutes
les parties de la Grece, et la memoire de Byzance, jadis le siege de la science et de la civilisation,
renaquit, a un haut degre, dans leclat de la magnificence ottomane.
Parmi les prisonniers qu’on avoit pris a Constantinople, se trouvoit Irene, une Greque d’une
beaute incomparable, dont l’Empereur devint si amoureux qu’il lepousa, et dans la vigueur de la