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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 4,2.1902

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No. 44 (Mai 1902)
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Mauclair, Camille: L' ame d'Eugène Carrière: (à propos d'un livre sur lui)
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https://doi.org/10.11588/diglit.34269#0084

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L'ART DÉCORATIF

donc peut-être, si l'on dépasse le vulgaire
point de vue de la reproduction linéaire de
ce que chacun voit d'abord, la science ex-
pressive des rapports de ces formes inter-
changeables. Récemment, Carrière, s'impro-
visant conférencier, conduisait au Muséum,
dans les salles d'ostéologie préhistorique, ses
auditeurs : je pense que c'était avant tout
avec la préoccupation de leur faire constater
cette genèse et cette parité des formes que
l'étude vétilleuse de l'anatomie, à l'Ecole, ne
laisse pas plus soupçonner à l'artiste qu'elle
n'enseigne à l'étudiant en médecine les se-
crets de la vie.
Le cas d'Eugène Carrière est, dans notre
temps, absolument spécial. On voit bien
qu'il est issu de Velasquez et de Rembrandt,
qu'ü s'apparente un peu à Prudhon et da-
vantage à Ricard : mais ces remarques fa-
ciles ne signifient pas grand'chose. Voici un
homme qui, dans une époque d'impression-
nisme, de primesaut, de brillante improvisa-
tion, s'est voulu grave, assourdi, patient,
fermé, condensant une silencieuse et intense

énergie psychologique. Il avait tout pour
être ignoré à jamais, comme Ricard, et de
ces deux hommes la force mystérieuse a
attiré vers eux quelques fidèles, peu à peu
devenus foule, comme la montagne d'aimant
dont parle la légende, qui attirait les clous
des vaisseaux la côtoyant. On a d'abord
rendu justice à la science picturale de Car-
rière, magistralement sûr de ses valeurs, de
ses plans; puis on a rendu justice à son
sentiment attendri des maternités, à la dis-
tinction mystérieusement intellectuelle de
ses effigies modernes ; puis on l'a loué d'ai-
mer et d'exprimer l'âme de la femme du
peuple et de donner l'exemple d'un grand
artiste réputé ne dédaignant pas le socia-
lisme, préférant les faubourgs ouvriers aux
salons ; mais après le portraitiste divinateur
qui a signé des œuvres comme le Devillez,
le Séailles, la Famille Ernest Chausson,
l'évocation de Daudet malade, le Geffroy, le
Verlaine, ou cette exquise silhouette d'après
F..., c'est-à-dire des merveilles, après
le père et le peintre émus qui ont su créer
des «scènes d'enfantsM non pré-
vues par Schumann, après le
pensif libertaire qui, dans cette
affiche troublante de l'Aurore où
une femme se passe la main sur
les yeux, peignit à la fois l'allé-
gorie de son rêve social et de
son rêve artistique, après tous
ces Carrière définissables et con-
nus, un autre Carrière se lève,
et celui-là est un halluciné, un
voyant, un inclassable; celui-là,
comme son ami Rodin — et
eux deux seuls dans tout l'art
actuel — ose oublier ce qu'il
a appris, aller plus loin, deviner,
pressentir, frémir, et emmener
avec lui tout le vraisemblable
des notions esthétiques dans un
inconnu périlleux. L'interchan-
geable se manifeste en ces deux
hommes par une alliance étran-
gement faite pour nous éclairer
à leur suite : tandis que Rodin
cherche à faire glisser sur les
surfaces de ses grands plans
adoucis une spiritualité de lu-
mière diffuse jusqu'ici refusée
aux sèches arêtes du minéral,
Carrière cherche à préciser dans


EUG. CARRIÈRE L'ADDITION

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