N° 47 - AOUT 1902
MARY COSSATT
LA SORTIE DU BAIN, PASTEL
UN PEINTRE DE L'ENFANCE
MtSS MARY CASSATT
T-^uiNDRE l'adulte, c'est constater un état
1 d'àme : peindre l'enfant, c'est constater
une prescience d'âme. Peindre l'adulte, c'est
résumer; peindre l'enfant, c'est prévoir.
L'homme et la femme se dégagent, par
l'action ou la beauté, sur le fond des événe-
ments de la vie présente ; l'enfant se dégage
sur le fond des mystères de la vie antérieure,
dont ses gestes se souviennent, et les gestes
qu'il essaie dans l'existence actuelle projettent
encore lettr ombre au mur de l'inconnu qu'il
a quitté pour entrer dans la phase de la
vitalité visible.
Le mystère de l'enfant est un sourire fait
chair, et ses larmes ne sont déjà plus des
regrets, mais pas encore des refus de ce qui
lui adviendra. L'adulte pleure parfois en se
souvenant de la vie des limbes; mais l'en-
fant ne peut pas encore savoir qu'elle valait
mieux. L'enfant s'avance, l'adulte se retourne.
Nous devons la communication des photogra-
phies reproduites dans cet article à l'obligeance
de M. Durand-Ruel, dont bon nombre d'œuvres
de Miss Mary Cassatt sont la propriété.
Tout ce que fait l'enfant le prépare à ce qu'il
fera; ce que l'adulte fait l'incline vers le
regret de la préexistence, ou plutôt de la
vaste nuit limpide qui n'est ni avant ni après,
mais qui baigne la vie de toutes parts, et que
nous appelons passé et avenir, faute de mots,
pour croire à la véracité de notre fugitif
séjour sur la terre. Le geste de la méditation
chez l'adulte, c'est la contemplation des
origines; il se penche en voilant ses yeux et
son front comme pour redescendre là d'où
il s'éleva. Mais tous les gestes de l'enfant
montent, s'écartent de lui, aspirent à em-
brasser l'inconnu et le nouveau : ainsi ceux
qui, à bord, s'éloignent du rivage, s'ils sont
jeunes et hardis, tiennent lertrs yeux fixés sur
la haute mer qu'ils voudraient déjà atteindre,
et ce n'est que longtemps après qu'ils se re-
tournent vers la ligne indistincte de la côte
prête à se dérober.
L'enfant imite l'arbre nouveau par la di-
rection de ses gestes ouverts au ciel et cher-
cheurs, nourris moins de la sève terrestre
que de la lumière qui les vivifie. L'adulte
se réfère à ses racines; plus il vieillit et plus
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MARY COSSATT
LA SORTIE DU BAIN, PASTEL
UN PEINTRE DE L'ENFANCE
MtSS MARY CASSATT
T-^uiNDRE l'adulte, c'est constater un état
1 d'àme : peindre l'enfant, c'est constater
une prescience d'âme. Peindre l'adulte, c'est
résumer; peindre l'enfant, c'est prévoir.
L'homme et la femme se dégagent, par
l'action ou la beauté, sur le fond des événe-
ments de la vie présente ; l'enfant se dégage
sur le fond des mystères de la vie antérieure,
dont ses gestes se souviennent, et les gestes
qu'il essaie dans l'existence actuelle projettent
encore lettr ombre au mur de l'inconnu qu'il
a quitté pour entrer dans la phase de la
vitalité visible.
Le mystère de l'enfant est un sourire fait
chair, et ses larmes ne sont déjà plus des
regrets, mais pas encore des refus de ce qui
lui adviendra. L'adulte pleure parfois en se
souvenant de la vie des limbes; mais l'en-
fant ne peut pas encore savoir qu'elle valait
mieux. L'enfant s'avance, l'adulte se retourne.
Nous devons la communication des photogra-
phies reproduites dans cet article à l'obligeance
de M. Durand-Ruel, dont bon nombre d'œuvres
de Miss Mary Cassatt sont la propriété.
Tout ce que fait l'enfant le prépare à ce qu'il
fera; ce que l'adulte fait l'incline vers le
regret de la préexistence, ou plutôt de la
vaste nuit limpide qui n'est ni avant ni après,
mais qui baigne la vie de toutes parts, et que
nous appelons passé et avenir, faute de mots,
pour croire à la véracité de notre fugitif
séjour sur la terre. Le geste de la méditation
chez l'adulte, c'est la contemplation des
origines; il se penche en voilant ses yeux et
son front comme pour redescendre là d'où
il s'éleva. Mais tous les gestes de l'enfant
montent, s'écartent de lui, aspirent à em-
brasser l'inconnu et le nouveau : ainsi ceux
qui, à bord, s'éloignent du rivage, s'ils sont
jeunes et hardis, tiennent lertrs yeux fixés sur
la haute mer qu'ils voudraient déjà atteindre,
et ce n'est que longtemps après qu'ils se re-
tournent vers la ligne indistincte de la côte
prête à se dérober.
L'enfant imite l'arbre nouveau par la di-
rection de ses gestes ouverts au ciel et cher-
cheurs, nourris moins de la sève terrestre
que de la lumière qui les vivifie. L'adulte
se réfère à ses racines; plus il vieillit et plus
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