2
LA LUNE
LE BOUTON
FANTAISIE PHILOSOPHIQUE ET MORTUAIRE
11 y avait six jours que j'étais mort....
« Mourir, dit Hamlet, mourir : dormir.... dormir, rêvjr,
peut-être! » Je ne dormais point; je ne rêvais pas ; j'étais
bien éveillé.
J'étais éveillé. Je me sentais maître de ma volonté et de
mon intelligence. La sensibilité physique était éteinte, voilà
tout, et mon âme n'avait plus d'action sur mon corps; seu-
lement elle demeurait attachée par des liens mystérieux à
cette enveloppe matérielle qui allait se décomposant, sans
que j'en eusse conscience, sans que je m'en rendisse compte
en aucune façon.
D'après un tas de vieux bouquins que j'avais feuilletés —
Dieu sait combien de fois — durant ma vie, et dont je n'avais
pas oublié les présomptueuses révélations, Hermès Psycho-
pompe devait m'apparaitre aussitôt après mon Irépas et
rompre les dernières attaches qui retenaient l'esprit à la
matière. Je l'attendais depuis cent quarante-quatre heures, et
je commençais à m'impatienter. Si je n'avais pas été morl,
comme l'aurais juré* !
En attendant le divin conducteur des âme?, je me misa
rêvasser; mon imagination me retraçait, les uns après les
autres, les principaux épisodes de mon existence terrestre,
et j'éprouvais quelque plaisir à assister *à ce défilé, à cette
séance de lanterne magique rétrospective dont mu mémoire
fournissait les bizarres tableaux.
Une violente commotion me tira tout à coup de ma rêverie ;
Hermès venait de me toucher de son caducée.
Soudain mon âme s'échappa hors de mon corps, libre et
légère, et, non sans surprise, je m'aperçus que, bien qu'elle
n'eût plus rien de matériel, cette âme voyait, entendait, res-
sentait la douleur ou la joie, comme au temps où mon corps
vivait uni à elle.
Pour la première fois, je vis le lieu funèbre où j'étais cap-
tif depuis six jours.
Horreur! horreur!
Chose bizarre, le premier mouvement d'instinctif effroi
passé, un détail minime, insignifiant, absurde de mon cos-
tume attira mon attention.
Avant de me déposer sur ma dernière couche , on m'avail
complètement habillé. On s'était servi, pour cette funèbre
toilette, des vêtements que j'avais quittés le jour où je m'é-
tais étendu sur le lit de douleur qui devait être bientôt mon
lit d'agonie.
Un des boutons de mon pantalon manquait.
C'étail là ce qui venait d'attirer les regards de mon âme,
se qui, en présence de ce spectacle horrible, avait, chose
étrange, absorbé mon attention.
Comment ce bouton avait-il été arraché?..........
Cette interrogation mentale ramena ma pensée vers Tifine.
Titine était une bonne fille, un peu paresseuse, un peu
bavarde, un peu dépensière, aimant un peu trop la toilette,
la danse, les fleurs et les oiseaux , parfaite d'ailleurs, excel-
lent coeur, charmant caractère, aimable et dévouée compagne
avec laquelle, depuis trois ans, j'essayais de tuer la tristesse
et de mettre en fuite les mauvais 'rêves.
A mes derniers moments, .alors que mes yeux obscurcis
n'apercevaient plus que les vagues silhouettes des objets qui.
m'entouraient, j'avais vu la paUvre fille se pencher sur moi,
et sur ma lèvre glacée j'avais senti un long baiser, comme un
effort de son âme qui eût voulu me communiquer ses forces
vitales ou s'unir à la mienne pour s'envoler avec elle dans un
monde moins lamentable. Un instant après, alors que la nuit
s'était déjà faite autour de moi, de petits doigts effilés, fris-
sonnants et convulsifs, avaient pressé ma main presque in-
sensible, et sur elle étaient tombées des larmes, de ces larmes
chaudes qui viennent du cœur et ne mentent pas.
Tout en regardant la boutonnière qui bâillait en l'air,
veuve de son bouton, je fus pris d'un grand désir de revoir
Titine.
.['('•fais un pur esprit; les planches et les dalles n'étaient
pas laites pour m'arrêter. Je bondis hors de 1 a prison ou rson
corps allait suivre fa commune loi et tomber en poussière;
je dis adieu à cette vieille hôtellerie dans laquelle j'avais
passé' de si mauvais jours, mais où j'avais vu aussi bien des
heures joyeuses, et je m'éloignai.
Moins de temps qu'il n'en faut pour vider une flûte de
Champagne, et j'étais dans sa rue, devant sa porte, dans sa
chambre — la chère petite chambre où j'avais passé de si
bonnes soirées.
Elle n'y était pas. Je regardai partout; je furetai dans
tous les coins ; rien n'avait été changé. Mon portrait était
toujours vis-à vis du sien. Les mêmes oiseaux chantaient
dans la même cage. Il n'y avait pas de nouvelles robes dans
la grande armoire de noyer, pas de nouveaux meubles dans
la chambre. Sur la cheminée, deux vases que je lui avais
donnés flanquaient une modeste pendule achetée sur nos
économies communes ; les fleurs seul ement avaient été re-
nouvelées — luxe innocent, contre lequel j' avais cependant,
durant les mauvais jours, fait bien des réquisitions inutiles.
Puis deux mignons baguiers où des aiguilles, des épingles,
des agrafes et des boutons de tout calibre reposaient dans
un pêle-mêle fraternel et harmonieux. Parmi ces boutons
j'en aperçus un qui était semblable à ceux du pantalon dans
lequel j'avais laissé mes jambes, et je me souvins en effet
que.....
J'allais dire une sottise.
Mon désir de voir Titine augmentait. J'errai .jusqu'au soir
comme une âme en peine, et sans que le ciel me fit rencon-
trer celle que je cherchais...
A sept heures, je revins chez elle.
A ce moment, une chanson résonnait dans l'escalier;
c'était Paul, mon meilleur ami, qui montait allègrement les
marches en fredonnant son refrain favori.
Paul est bien joyeux, pensai-je. Il n'y a pourtant que six
jours qu'il suivait môn cerceuil au bras de son frère.
Bah ! pensai-je, on chante, mais cela ne prouve rien. Je me
rappelle que moi, quand j'étais bien en colère, je me mettais
à chanter de toute ma force. On peut avoir un couplet sur les
lèvres et le deuil au fond du cœur. D'ailleurs Paul vient con-
soler Titine; il veut se donner l'air gai. Brave cœur! véri-
table ami.
Paul était arrivé à la porte de Titine. Il la poussa sans
façon ; j'entrai avec lui.
Un bel éclat de rire, un éclat de rire argentin retentit.
Cette voix-là m'était bien connue; et à ce joyeux accueil
j'éprouvai quelle immense douleur pouvait ressentir une
âme.
— Bonjour Paul ; et elle lui fendit le front.
Paul s'assit, alluma sa pipe sans mot dire, et se mit à fu-
mer avec volupté en regardant Titine.
Titine, qui travaillait, posa son ouvrage, et, se plaçant en
face de Paul, d'un coup d'œil elle le parcourut des pieds à la
tête. Puis elle se remit à rire, alla prendre son aiguille,
chercha un moment dans un des baguiers et revint vers
mon ami. . #
— Venez, monsieur, qu'on répare les dé sordres de votre
toilette. Où avez-vous perdu ce bouton, mauvais sujet?
Et son doigt mignon montrait le pantalon du jeune
homme, qui bâillait plus que ne l'eût permis la décence.
Elie se mit à gencux devant Paul, qui la regardait avec
ravissement. Elle tenait à la main son aiguille enfilée dans
un bouton.
Horreur! c'était ce même bouton que mon pantaloa re-
grettait.
Une comète
qui a perdu sa queue.
LA CLEF
{Suite)
IV
A la suite de ce début que j'appellerais « excitant» si j'écrivais
ici un roman à sensations, et non une histoire vécue, mon voisin
parut se recueillir quelques instants ; puis avec le plus grand
calme, avec un sang-t'roid, un sérieux qui rendaient plus fantas-
tiques encore les événements qu'il racontait, me fit le récit que
l'on va lire.
Ce récit, je lésais et je dois le déclarer d'avance, est une chose
véritablement mont rueuse. Il sera considéré, sans aucun doute,
comme l'œuvre d'un cerveau malade, bien que je me contente de
de le transcrire fidèlement, mot pour mot, en sténographe, tant
a été profonde l'impression qu'il a faite sur mon esprit.
On dira que je suis fou, que de telles imaginations sont mal-
saines et dangereuses ; c'est pourquoi je tiens essentiellement à
ce que le lecteur n'ignore pas que je n'invente rien ; qu'il s'arrête
donc pendant qu'il en est temps s'il craint de voir des spectres
dans ses rêves.
Maintenant je laisse la parole à mon héros :
— A la fin de l'année 1863, me dit-il, je quittai Paris où j'exer-
çais la profession de médecin-aliéniste, et j'allai habiter momen-
tanément une ville de la province, dont, pour des motifs que vous
comprendrez tout à l'heure, vous me permettrez de taire le nom;
j'étais appelé à recueillir la succession d'un parent éloigné et à
suivre sur les lieux, en ma qualité d'héritier, certains procès assez
embrouillés qui nécessitaient ma présence, et du gain desquels
dépondait ma fortune à venir.
Vous savez avec queile lenteur désespérante s'accomplissent
habituellement les formalités judiciaires; ne connaissant dans la
ville que mon avocat et mon avoué, je trouvais difficilement à
occuper les loisirs forcés que me laissaient mes juges ; aussi de-
vins-je peu à peu l'un des habitués les plus assidus de la cour
d'assises et de la police correctionnelle.
Chaque fois que mes interminables procès subissaient une nou-
velle remise, je me réfugiais dans l'une des salles d'audiences
criminelles, au milieu des désœuvrés, amateurs d'émotions violen-
tes. D'accord avec un grand nombre de mes confrères, j'avais
toujours pensé qu'en fait de crimes, la raison humaine n'est pas
aussi responsable que l'ont cru les législateurs, et je m'intéres-
sais malgré moi au sort des misérables que leur destinée faisait
passer sous mes yeux.
Sur ces entrefaites, il advint qu1 la cour d'assises eut à juger
un de ces procès qui ont le triste privilège de passionner l'opi-
nion publique.
Il s'agissait d'un pauvre diable accusé d'assassinat avec les cir-
constances les plus aggravantes, et dont 'a culpabilité, une fois
reconnue, devait emporter fatalement l'appiication de la peine de
mort.
Cette affaire était devenue la grande préoccupation de tous les
habitants de la ville, et longtemps à l'avance j'en entendis un
un grand nombre affirmer, sans autre forme de procès, avec une
satisfaction non déguisée, que la condamnation était inévitable.
Les honnêtes gens !
Oue signifiait pour eux, je vous le demande, une tête de plus
ou de moins, surtout quand cette tête ne leur appartenait pas?
Et d'ailleurs ils n'y regardaient pas de si près et ne voyaient en
cela qu'un événement de quelque importance qui les arracheraient
durant l'espace d'une matinée à leur morne apathie de tous les
jours, et serait une occasion de commerce en attirant les curieux
des pays environnants.
Je suivis assidûment les débats de cette affaire, et j'avoue que,
dès le premier jour, je dus me ranger à l'avis de la foule tant
les charges étaient accablantes.
L'accusé, jeune homme de vingt-cinq ans, doué d'une physio-
nomie honnête, et je dirai même sympathique, qui démentait les
instincts sanguinaires révélés par l'horreur des circonstances dans
lesquelles le crime avait été commis, n'opposait à l'accusation
qu'un démenti inébranlable. A mesure que les preuves s'accumu-
laient contre lui, sa contenance devenait plus calme et ses déné-
gations plus énergiques, soit qu'il puisât des forces dans le calme
de sa conscience, soit que voyant sa perte assurée, par un reste
d'orgueil, il appelât à son aide toute son audace.
Cette attitude même, interprétée défavorablement par le jurv
pesa peut-être dans la balance. Quoi qu'il en soit, après le réqui-
sitoire éloquent du procureur impérial, un avocat inexpérimenté
nommé d'office, et dont le rôle était d'ailleurs extrêmement dif-
ficile, bégaya une plaidoirie timide; puis le président ayant ré-
sumé les débats, le jury se retira dans la salle de ses délibéra-
tions, d'où il revint au bout 'd'un quart d'heure rapportant un
verdict affirmatif sans circonstances atténuantes :
Au milieu d'un silence terrible, l'accusé fut condamné à la
peine de mort.
Le sang lui monta violemment au visage au moment où furent
prononcés les paroles qui le retranchaient du reste des vivants.
Ce ne fut qu'un éclair. Immédiatement le sang réagit de la tète
au cœur ; le malheureux devint aussi pâle que si la mort, devan-
çant l'heure et plus douce que la justice humaine, l'avait frappé
déjà; mais un gendarme ayant mis la main sur lui pour le sou-
tenir, il le repoussa sans dureté et releva fièrement la tète avec
un triste sourire.
Pendant qu'on l'emmenait, une dernière fois il protesta de son
innocence.
V
Il ne m'était jamais arrivé jusqu'alors d'assister à une ail'aire
capitale; je sortis bouleversé de celle-ci.
Toutes les épreuves par lesquelles était passé le condamné, je
les avais éprouvées en même temps que. lui. Les yeux incessam-
ment fixés sur les siens, j'avais vu sa pensée se débattre, et l'om-
bre qui s'épaississait en son âme avait envahi la mienne.
A différentes reprises, attiré lui-même par l'obstination de mon
regard, il s'était tourné vers moi : de tous ceux qui se pres-
saient, avides au spectacle de cette agonie anticipée, seul, assuré-
ment, je m'intéressais à lui- -l'aurais payé d'une part de ma vie
LA LUNE
LE BOUTON
FANTAISIE PHILOSOPHIQUE ET MORTUAIRE
11 y avait six jours que j'étais mort....
« Mourir, dit Hamlet, mourir : dormir.... dormir, rêvjr,
peut-être! » Je ne dormais point; je ne rêvais pas ; j'étais
bien éveillé.
J'étais éveillé. Je me sentais maître de ma volonté et de
mon intelligence. La sensibilité physique était éteinte, voilà
tout, et mon âme n'avait plus d'action sur mon corps; seu-
lement elle demeurait attachée par des liens mystérieux à
cette enveloppe matérielle qui allait se décomposant, sans
que j'en eusse conscience, sans que je m'en rendisse compte
en aucune façon.
D'après un tas de vieux bouquins que j'avais feuilletés —
Dieu sait combien de fois — durant ma vie, et dont je n'avais
pas oublié les présomptueuses révélations, Hermès Psycho-
pompe devait m'apparaitre aussitôt après mon Irépas et
rompre les dernières attaches qui retenaient l'esprit à la
matière. Je l'attendais depuis cent quarante-quatre heures, et
je commençais à m'impatienter. Si je n'avais pas été morl,
comme l'aurais juré* !
En attendant le divin conducteur des âme?, je me misa
rêvasser; mon imagination me retraçait, les uns après les
autres, les principaux épisodes de mon existence terrestre,
et j'éprouvais quelque plaisir à assister *à ce défilé, à cette
séance de lanterne magique rétrospective dont mu mémoire
fournissait les bizarres tableaux.
Une violente commotion me tira tout à coup de ma rêverie ;
Hermès venait de me toucher de son caducée.
Soudain mon âme s'échappa hors de mon corps, libre et
légère, et, non sans surprise, je m'aperçus que, bien qu'elle
n'eût plus rien de matériel, cette âme voyait, entendait, res-
sentait la douleur ou la joie, comme au temps où mon corps
vivait uni à elle.
Pour la première fois, je vis le lieu funèbre où j'étais cap-
tif depuis six jours.
Horreur! horreur!
Chose bizarre, le premier mouvement d'instinctif effroi
passé, un détail minime, insignifiant, absurde de mon cos-
tume attira mon attention.
Avant de me déposer sur ma dernière couche , on m'avail
complètement habillé. On s'était servi, pour cette funèbre
toilette, des vêtements que j'avais quittés le jour où je m'é-
tais étendu sur le lit de douleur qui devait être bientôt mon
lit d'agonie.
Un des boutons de mon pantalon manquait.
C'étail là ce qui venait d'attirer les regards de mon âme,
se qui, en présence de ce spectacle horrible, avait, chose
étrange, absorbé mon attention.
Comment ce bouton avait-il été arraché?..........
Cette interrogation mentale ramena ma pensée vers Tifine.
Titine était une bonne fille, un peu paresseuse, un peu
bavarde, un peu dépensière, aimant un peu trop la toilette,
la danse, les fleurs et les oiseaux , parfaite d'ailleurs, excel-
lent coeur, charmant caractère, aimable et dévouée compagne
avec laquelle, depuis trois ans, j'essayais de tuer la tristesse
et de mettre en fuite les mauvais 'rêves.
A mes derniers moments, .alors que mes yeux obscurcis
n'apercevaient plus que les vagues silhouettes des objets qui.
m'entouraient, j'avais vu la paUvre fille se pencher sur moi,
et sur ma lèvre glacée j'avais senti un long baiser, comme un
effort de son âme qui eût voulu me communiquer ses forces
vitales ou s'unir à la mienne pour s'envoler avec elle dans un
monde moins lamentable. Un instant après, alors que la nuit
s'était déjà faite autour de moi, de petits doigts effilés, fris-
sonnants et convulsifs, avaient pressé ma main presque in-
sensible, et sur elle étaient tombées des larmes, de ces larmes
chaudes qui viennent du cœur et ne mentent pas.
Tout en regardant la boutonnière qui bâillait en l'air,
veuve de son bouton, je fus pris d'un grand désir de revoir
Titine.
.['('•fais un pur esprit; les planches et les dalles n'étaient
pas laites pour m'arrêter. Je bondis hors de 1 a prison ou rson
corps allait suivre fa commune loi et tomber en poussière;
je dis adieu à cette vieille hôtellerie dans laquelle j'avais
passé' de si mauvais jours, mais où j'avais vu aussi bien des
heures joyeuses, et je m'éloignai.
Moins de temps qu'il n'en faut pour vider une flûte de
Champagne, et j'étais dans sa rue, devant sa porte, dans sa
chambre — la chère petite chambre où j'avais passé de si
bonnes soirées.
Elle n'y était pas. Je regardai partout; je furetai dans
tous les coins ; rien n'avait été changé. Mon portrait était
toujours vis-à vis du sien. Les mêmes oiseaux chantaient
dans la même cage. Il n'y avait pas de nouvelles robes dans
la grande armoire de noyer, pas de nouveaux meubles dans
la chambre. Sur la cheminée, deux vases que je lui avais
donnés flanquaient une modeste pendule achetée sur nos
économies communes ; les fleurs seul ement avaient été re-
nouvelées — luxe innocent, contre lequel j' avais cependant,
durant les mauvais jours, fait bien des réquisitions inutiles.
Puis deux mignons baguiers où des aiguilles, des épingles,
des agrafes et des boutons de tout calibre reposaient dans
un pêle-mêle fraternel et harmonieux. Parmi ces boutons
j'en aperçus un qui était semblable à ceux du pantalon dans
lequel j'avais laissé mes jambes, et je me souvins en effet
que.....
J'allais dire une sottise.
Mon désir de voir Titine augmentait. J'errai .jusqu'au soir
comme une âme en peine, et sans que le ciel me fit rencon-
trer celle que je cherchais...
A sept heures, je revins chez elle.
A ce moment, une chanson résonnait dans l'escalier;
c'était Paul, mon meilleur ami, qui montait allègrement les
marches en fredonnant son refrain favori.
Paul est bien joyeux, pensai-je. Il n'y a pourtant que six
jours qu'il suivait môn cerceuil au bras de son frère.
Bah ! pensai-je, on chante, mais cela ne prouve rien. Je me
rappelle que moi, quand j'étais bien en colère, je me mettais
à chanter de toute ma force. On peut avoir un couplet sur les
lèvres et le deuil au fond du cœur. D'ailleurs Paul vient con-
soler Titine; il veut se donner l'air gai. Brave cœur! véri-
table ami.
Paul était arrivé à la porte de Titine. Il la poussa sans
façon ; j'entrai avec lui.
Un bel éclat de rire, un éclat de rire argentin retentit.
Cette voix-là m'était bien connue; et à ce joyeux accueil
j'éprouvai quelle immense douleur pouvait ressentir une
âme.
— Bonjour Paul ; et elle lui fendit le front.
Paul s'assit, alluma sa pipe sans mot dire, et se mit à fu-
mer avec volupté en regardant Titine.
Titine, qui travaillait, posa son ouvrage, et, se plaçant en
face de Paul, d'un coup d'œil elle le parcourut des pieds à la
tête. Puis elle se remit à rire, alla prendre son aiguille,
chercha un moment dans un des baguiers et revint vers
mon ami. . #
— Venez, monsieur, qu'on répare les dé sordres de votre
toilette. Où avez-vous perdu ce bouton, mauvais sujet?
Et son doigt mignon montrait le pantalon du jeune
homme, qui bâillait plus que ne l'eût permis la décence.
Elie se mit à gencux devant Paul, qui la regardait avec
ravissement. Elle tenait à la main son aiguille enfilée dans
un bouton.
Horreur! c'était ce même bouton que mon pantaloa re-
grettait.
Une comète
qui a perdu sa queue.
LA CLEF
{Suite)
IV
A la suite de ce début que j'appellerais « excitant» si j'écrivais
ici un roman à sensations, et non une histoire vécue, mon voisin
parut se recueillir quelques instants ; puis avec le plus grand
calme, avec un sang-t'roid, un sérieux qui rendaient plus fantas-
tiques encore les événements qu'il racontait, me fit le récit que
l'on va lire.
Ce récit, je lésais et je dois le déclarer d'avance, est une chose
véritablement mont rueuse. Il sera considéré, sans aucun doute,
comme l'œuvre d'un cerveau malade, bien que je me contente de
de le transcrire fidèlement, mot pour mot, en sténographe, tant
a été profonde l'impression qu'il a faite sur mon esprit.
On dira que je suis fou, que de telles imaginations sont mal-
saines et dangereuses ; c'est pourquoi je tiens essentiellement à
ce que le lecteur n'ignore pas que je n'invente rien ; qu'il s'arrête
donc pendant qu'il en est temps s'il craint de voir des spectres
dans ses rêves.
Maintenant je laisse la parole à mon héros :
— A la fin de l'année 1863, me dit-il, je quittai Paris où j'exer-
çais la profession de médecin-aliéniste, et j'allai habiter momen-
tanément une ville de la province, dont, pour des motifs que vous
comprendrez tout à l'heure, vous me permettrez de taire le nom;
j'étais appelé à recueillir la succession d'un parent éloigné et à
suivre sur les lieux, en ma qualité d'héritier, certains procès assez
embrouillés qui nécessitaient ma présence, et du gain desquels
dépondait ma fortune à venir.
Vous savez avec queile lenteur désespérante s'accomplissent
habituellement les formalités judiciaires; ne connaissant dans la
ville que mon avocat et mon avoué, je trouvais difficilement à
occuper les loisirs forcés que me laissaient mes juges ; aussi de-
vins-je peu à peu l'un des habitués les plus assidus de la cour
d'assises et de la police correctionnelle.
Chaque fois que mes interminables procès subissaient une nou-
velle remise, je me réfugiais dans l'une des salles d'audiences
criminelles, au milieu des désœuvrés, amateurs d'émotions violen-
tes. D'accord avec un grand nombre de mes confrères, j'avais
toujours pensé qu'en fait de crimes, la raison humaine n'est pas
aussi responsable que l'ont cru les législateurs, et je m'intéres-
sais malgré moi au sort des misérables que leur destinée faisait
passer sous mes yeux.
Sur ces entrefaites, il advint qu1 la cour d'assises eut à juger
un de ces procès qui ont le triste privilège de passionner l'opi-
nion publique.
Il s'agissait d'un pauvre diable accusé d'assassinat avec les cir-
constances les plus aggravantes, et dont 'a culpabilité, une fois
reconnue, devait emporter fatalement l'appiication de la peine de
mort.
Cette affaire était devenue la grande préoccupation de tous les
habitants de la ville, et longtemps à l'avance j'en entendis un
un grand nombre affirmer, sans autre forme de procès, avec une
satisfaction non déguisée, que la condamnation était inévitable.
Les honnêtes gens !
Oue signifiait pour eux, je vous le demande, une tête de plus
ou de moins, surtout quand cette tête ne leur appartenait pas?
Et d'ailleurs ils n'y regardaient pas de si près et ne voyaient en
cela qu'un événement de quelque importance qui les arracheraient
durant l'espace d'une matinée à leur morne apathie de tous les
jours, et serait une occasion de commerce en attirant les curieux
des pays environnants.
Je suivis assidûment les débats de cette affaire, et j'avoue que,
dès le premier jour, je dus me ranger à l'avis de la foule tant
les charges étaient accablantes.
L'accusé, jeune homme de vingt-cinq ans, doué d'une physio-
nomie honnête, et je dirai même sympathique, qui démentait les
instincts sanguinaires révélés par l'horreur des circonstances dans
lesquelles le crime avait été commis, n'opposait à l'accusation
qu'un démenti inébranlable. A mesure que les preuves s'accumu-
laient contre lui, sa contenance devenait plus calme et ses déné-
gations plus énergiques, soit qu'il puisât des forces dans le calme
de sa conscience, soit que voyant sa perte assurée, par un reste
d'orgueil, il appelât à son aide toute son audace.
Cette attitude même, interprétée défavorablement par le jurv
pesa peut-être dans la balance. Quoi qu'il en soit, après le réqui-
sitoire éloquent du procureur impérial, un avocat inexpérimenté
nommé d'office, et dont le rôle était d'ailleurs extrêmement dif-
ficile, bégaya une plaidoirie timide; puis le président ayant ré-
sumé les débats, le jury se retira dans la salle de ses délibéra-
tions, d'où il revint au bout 'd'un quart d'heure rapportant un
verdict affirmatif sans circonstances atténuantes :
Au milieu d'un silence terrible, l'accusé fut condamné à la
peine de mort.
Le sang lui monta violemment au visage au moment où furent
prononcés les paroles qui le retranchaient du reste des vivants.
Ce ne fut qu'un éclair. Immédiatement le sang réagit de la tète
au cœur ; le malheureux devint aussi pâle que si la mort, devan-
çant l'heure et plus douce que la justice humaine, l'avait frappé
déjà; mais un gendarme ayant mis la main sur lui pour le sou-
tenir, il le repoussa sans dureté et releva fièrement la tète avec
un triste sourire.
Pendant qu'on l'emmenait, une dernière fois il protesta de son
innocence.
V
Il ne m'était jamais arrivé jusqu'alors d'assister à une ail'aire
capitale; je sortis bouleversé de celle-ci.
Toutes les épreuves par lesquelles était passé le condamné, je
les avais éprouvées en même temps que. lui. Les yeux incessam-
ment fixés sur les siens, j'avais vu sa pensée se débattre, et l'om-
bre qui s'épaississait en son âme avait envahi la mienne.
A différentes reprises, attiré lui-même par l'obstination de mon
regard, il s'était tourné vers moi : de tous ceux qui se pres-
saient, avides au spectacle de cette agonie anticipée, seul, assuré-
ment, je m'intéressais à lui- -l'aurais payé d'une part de ma vie
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le Bouton La Clef
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
La Lune
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25/T 14
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Signatur: "A.D."
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Entstehungsdatum
um 1866
Entstehungsdatum (normiert)
1861 - 1871
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
La Lune, 2.1866, Nr. 5, S. 5_2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg