LE COMMERCE DES OBJETS D'ART
et
LES VENTES PUBLIQUES
VIII
n connaît 2,15:8 catalogues de ventes imprimés au xvme siècle2;
la moitié environ sort des presses d'Amsterdam, de La Haye, de
Harlem, d'Utrecht, etc ; l'autre moitié (1,049) appartient à la
curiosité parisienne. A coup sûr le chiffre est respectable ; cal-
culée sur la période entière, la moyenne dépasserait 10 catalo-
gues par an, c'est-à-dire 10 ventes d'une certaine importance, car
les encans secondaires faisaient l'économie de l'imprimeur et se
contentaient de notices manuscrites. Mais, en y regardant de
plus près, on arrive à des résultats tout différents. De 1700
à 175:0, sur 215 catalogues imprimés, 185 sont hollandais et
Lettre du xvi-' siècle, collection Bonnafle. __ , •• , . \ i • , . ,
30 seulement parisiens, c est-a-dire que, pour ce demi-siecle,
notre contingent ne dépasse pas une vente tous les deux ans. La curiosité veut prendre son
temps; elle a bien débuté, elle a mis la main sur deux experts incomparables, Gersaint et
Mariette ; ses premières affaires, les ventes de Verrue, Crozat, Carignan, de Lorangère, ont fait
du bruit; elle est prête, sous les armes et, quand viendra l'heure, on peut compter sur elle.
De 1751 à 1760, la moyenne des catalogues parisiens s'élève à 4 par an, il y a progrès. —
De 1761 à 1770, la moyenne monte rapidement à 13 ; — de 1771 à 177), à 28 ; — de 1776
à 1785, elle atteint le chiffre de 42 par an. C'est l'apogée des ventes ; la curiosité a la fièvre,
elle va, vient, passe de mains en mains, de la cour à la ville, de la ville au théâtre, du théâtre
au palais; Blondel de Gagny, La Vrillière, la comtesse du Barry, Randon de Boisset, le prince de
Conti, Laborde, Vaudreuil défilent tour à tour devant l'huissier-priseur, avec Blondel d'Azincourt,
le duc d'Aumont, la duchesse de Mazarin, le marquis de Menars, et les débris de leurs cabinets
vont former de nouvelles collections qui disparaîtront à leur tour. « C'est une partie de volant
dans laquelle la bourgeoisie et la noblesse se renvoient si vite les chefs-d'œuvre de l'art, qu'on
ne sait vraiment à qui ils appartiennent 3. »
Les vignettes imaginées par Baudouin, Cochin et Saint-Aubin pour illustrer les catalogues,
représentent par certains côtés la physionomie de ces ventes ; mais la ressemblance est bien
incomplète. Joullain est plus réaliste, c'est l'homme du métier qui parle :
Il ne fout pas s'étonner, dit-il *, si les ventes attirent une grande afrluence de monde; elles font spectacle par la varie'te' et le
mérite des objets qui les composent ; elles excitent l'attention en ce qu'elles offrent le tableau le plus piquant de la rivalité des
amateurs entre eux., des amateurs contre les marchands, des marchands avec les artistes, des marchands avec leurs confrères. L'homme
que la simple curiosité attire à une vente est toujours surpris de voir succéder en un instant sur un même objet, la chaleur à l'indif-
férence, la lenteur des enchères sol à sol à la marche rapide des pistoles, des centaines de livres. Il se plaît à contempler sur le visage
de l'amateur cette indécision qui accompagne visiblement son goût le plus décidé, le désir qu'il aurait que l'on prolongeât l'intervalle
des enchères. Il sourit de la figure composée du marchand qui feint à chaque instant d'abandonner un objet qu'il brûle d'avoir en sa
possession, et qui n'agit ainsi que pour presser de plus en plus l'amateur à se déterminer ; conduite d'autant plus adroite, qu'il
sait que, par un pareil moyen, ou il lui fera sauter le fossé, ou il l'en empêchera entièrement. Le zèle de l'huissier-priseur n'échappe
1. Voir l'Art, j° année, tome III, pages 75, 14;, 19;, joj, 5 O, et tome IV, page 97 et 128.
2. Les Ventes de tableaux, dessins, etc., par G. Duplessis. 1874.
;. Thibaudeau. Préface du Trésor de la Curiosité.
4. Réflexions sur la peinture et la gravure. Metz, 1786.
Tome XI. 20
et
LES VENTES PUBLIQUES
VIII
n connaît 2,15:8 catalogues de ventes imprimés au xvme siècle2;
la moitié environ sort des presses d'Amsterdam, de La Haye, de
Harlem, d'Utrecht, etc ; l'autre moitié (1,049) appartient à la
curiosité parisienne. A coup sûr le chiffre est respectable ; cal-
culée sur la période entière, la moyenne dépasserait 10 catalo-
gues par an, c'est-à-dire 10 ventes d'une certaine importance, car
les encans secondaires faisaient l'économie de l'imprimeur et se
contentaient de notices manuscrites. Mais, en y regardant de
plus près, on arrive à des résultats tout différents. De 1700
à 175:0, sur 215 catalogues imprimés, 185 sont hollandais et
Lettre du xvi-' siècle, collection Bonnafle. __ , •• , . \ i • , . ,
30 seulement parisiens, c est-a-dire que, pour ce demi-siecle,
notre contingent ne dépasse pas une vente tous les deux ans. La curiosité veut prendre son
temps; elle a bien débuté, elle a mis la main sur deux experts incomparables, Gersaint et
Mariette ; ses premières affaires, les ventes de Verrue, Crozat, Carignan, de Lorangère, ont fait
du bruit; elle est prête, sous les armes et, quand viendra l'heure, on peut compter sur elle.
De 1751 à 1760, la moyenne des catalogues parisiens s'élève à 4 par an, il y a progrès. —
De 1761 à 1770, la moyenne monte rapidement à 13 ; — de 1771 à 177), à 28 ; — de 1776
à 1785, elle atteint le chiffre de 42 par an. C'est l'apogée des ventes ; la curiosité a la fièvre,
elle va, vient, passe de mains en mains, de la cour à la ville, de la ville au théâtre, du théâtre
au palais; Blondel de Gagny, La Vrillière, la comtesse du Barry, Randon de Boisset, le prince de
Conti, Laborde, Vaudreuil défilent tour à tour devant l'huissier-priseur, avec Blondel d'Azincourt,
le duc d'Aumont, la duchesse de Mazarin, le marquis de Menars, et les débris de leurs cabinets
vont former de nouvelles collections qui disparaîtront à leur tour. « C'est une partie de volant
dans laquelle la bourgeoisie et la noblesse se renvoient si vite les chefs-d'œuvre de l'art, qu'on
ne sait vraiment à qui ils appartiennent 3. »
Les vignettes imaginées par Baudouin, Cochin et Saint-Aubin pour illustrer les catalogues,
représentent par certains côtés la physionomie de ces ventes ; mais la ressemblance est bien
incomplète. Joullain est plus réaliste, c'est l'homme du métier qui parle :
Il ne fout pas s'étonner, dit-il *, si les ventes attirent une grande afrluence de monde; elles font spectacle par la varie'te' et le
mérite des objets qui les composent ; elles excitent l'attention en ce qu'elles offrent le tableau le plus piquant de la rivalité des
amateurs entre eux., des amateurs contre les marchands, des marchands avec les artistes, des marchands avec leurs confrères. L'homme
que la simple curiosité attire à une vente est toujours surpris de voir succéder en un instant sur un même objet, la chaleur à l'indif-
férence, la lenteur des enchères sol à sol à la marche rapide des pistoles, des centaines de livres. Il se plaît à contempler sur le visage
de l'amateur cette indécision qui accompagne visiblement son goût le plus décidé, le désir qu'il aurait que l'on prolongeât l'intervalle
des enchères. Il sourit de la figure composée du marchand qui feint à chaque instant d'abandonner un objet qu'il brûle d'avoir en sa
possession, et qui n'agit ainsi que pour presser de plus en plus l'amateur à se déterminer ; conduite d'autant plus adroite, qu'il
sait que, par un pareil moyen, ou il lui fera sauter le fossé, ou il l'en empêchera entièrement. Le zèle de l'huissier-priseur n'échappe
1. Voir l'Art, j° année, tome III, pages 75, 14;, 19;, joj, 5 O, et tome IV, page 97 et 128.
2. Les Ventes de tableaux, dessins, etc., par G. Duplessis. 1874.
;. Thibaudeau. Préface du Trésor de la Curiosité.
4. Réflexions sur la peinture et la gravure. Metz, 1786.
Tome XI. 20