1)4 L'ART.
point à son œil observateur; car celui-ci le redoublant à proportion de la somme attachée a l'article, a grand soin de réveiller
l'engourdissement de l'amateur par la répe'tition continuelle de ces mots : Dites-vous : dit-on ? Monsieur, dit-il ? Personne ne dit mot ?
Je vais adjuger ; vous ne dites mot, monsieur, je vais adjuger, etc., sans cependant aller aussi vite qu'il paraît le promettre, espérant
toujours que la valeur augmentera, ainsi que son bénéfice, et par contre-coup celui de la bourse commune. Enfin, dans une vente
publique, tout est également susceptible d'intéresser ; depuis l'officier en exercice qui adjuge, jusqu'à celui qui ne vient que pour se
chauffer ou dormir, tout sert de leçon aussi utile qu'agréable.
Le tableau n'est-il pas pris sur le vif? On le dirait écrit d'hier.
Gersaint avait eu l'occasion, dans ses voyages, d'étudier le système de vente hollandais; il
l'introduisit en France, du moins clans ses dispositions essentielles. Au xvmc siècle, l'expert pré-
pare la vente, dresse le catalogue, fait faire les affiches, loue la salle quand il ne la fournit pas
lui-même, paye l'huissier-priseur à raison de six livres par vacation, plus le droit de trois deniers
par livre sur le montant de la vente C'est encore lui qui fait la prisée et annonce au public
le chiffre de la demande. L'huissier-priseur, officier ministériel, préside, prononce l'adjudication
et consacre officiellement la vente.
Gersaint fit école ; après lui nous pouvons citer Basan, le maréchal de Saxe de la curiosité,
comme l'appelait le duc de Choiseul; Glomy et son confrère Pierre Rém'y, « peintre et négociant
en tableaux et autres curiosités», l'expert le plus affairé de son temps; Joullain père et fils;
Helle, qui a laissé tant de catalogues annotés de sa main et "pleins de documents précieux2;
Julliot, Langlier, Paillet l'ancien, Regnault-Delalande ; Pierre Lebrun et son fils J. B. Lebrun qui
épousa M"" Vigée; «M. Le Brun, garde des tableaux de S. A. R. Mgr le comte d'Artois, logé sut-
la gauche de la rue de Cléry, à l'ancien hôtel Lubert, est de tous les marchands celui qui a le
plus voyagé dans les pays étrangers..... il fait aussi les catalogues raisonnes des ventes les plus
belles, dont on lui fait souvent l'honneur de le charger », dit élégamment le Guide de l'Amateur3.
La salle Lebrun a longtemps servi aux ventes publiques ; c'est là que Me Pillet fit ses
premières armes en 18)), avant de mener les grandes batailles avec l'éclat, l'entrain et l'autorité
que l'on sait. Gersaint vendait chez lui, au pont Notre-Dame ; Pierre Remy, rue Poupée ; Paillet
à l'hôtel d'Aligre. En 1780, Paillet acheta l'hôtel du surintendant Bullion, rue Plâtrière,
aujourd'hui rue Jean-Jacques-Rousseau, pour « y former une espèce d'établissement consacré aux
ventes publiques de tableaux et autres effets curieux 4 ». L'hôtel Bullion n'a disparu que de nos
jours. Du reste on vendait un peu partout, chez l'expert, au domicile du vendeur, chez le sieur
Dumarest, rue du Bouloi ; à la salle Silvestre, chère encore aux bibliophiles ; au couvent des
Grands-Augustins, à la maison de Saint-Louis, chez MM. de Sainte-Croix de la Bretonnerie ; à
défaut de salle, on s'accommodait d'une porte cochère 5.
Vers la fin du siècle, le commerce de la curiosité tend de plus en plus à se grouper autour
du Palais-Royal, quartier favori des grands amateurs, des belles ventes et des brocanteurs à la
mode ; ces honnêtes industriels prenaient grand soin de se loger autant que possible au cœur de
la place. Leur nombre et, je l'avoue, leur savoir-faire augmentaient dans des proportions inquié-
tantes ; Joullain, qui connaissait bien ses confrères, se plaint amèrement « de l'immensité des
marchands sans considération qui pullulent dans Paris », surtout des marchands de tableaux « dont
la plupart, pour ne pas les englober tous, ne sont pas fort en réputation de probité 0 ». Réunis en
société secrète, sous le nom de Grqfinade 7, ils pratiquaient sur une grande échelle la coalition, la
révision, le maquignonnage sous toutes les formes ; la science moderne n'a rien trouvé de
mieux.
De 1786 à 1800, la moyenne annuelle des catalogues descend tout à coup de 42 à 19. La
curiosité du xvinc siècle agonise, étranglée par la Révolution ; on enterre les derniers cabinets, et
Lebrun conduit le deuil avec Regnault-Delalande. Voici l'Empire et la Restauration : adieu les
1. Eue Piot. Cabinet de l'amateur. 1S61-62.
2. La plupart de ces catalogues sont au Cabinet des estampes.
Tiiiery. Guide de l'amateur. 1786.
4. Id., id.
5. Eue Piot. Cabinet de l'amateur. 1861-62.
6. Réjlexions sur la peinture, etc.
7. Mercier. Tableau de Paris, Ventes par arrêt de la Cour.
point à son œil observateur; car celui-ci le redoublant à proportion de la somme attachée a l'article, a grand soin de réveiller
l'engourdissement de l'amateur par la répe'tition continuelle de ces mots : Dites-vous : dit-on ? Monsieur, dit-il ? Personne ne dit mot ?
Je vais adjuger ; vous ne dites mot, monsieur, je vais adjuger, etc., sans cependant aller aussi vite qu'il paraît le promettre, espérant
toujours que la valeur augmentera, ainsi que son bénéfice, et par contre-coup celui de la bourse commune. Enfin, dans une vente
publique, tout est également susceptible d'intéresser ; depuis l'officier en exercice qui adjuge, jusqu'à celui qui ne vient que pour se
chauffer ou dormir, tout sert de leçon aussi utile qu'agréable.
Le tableau n'est-il pas pris sur le vif? On le dirait écrit d'hier.
Gersaint avait eu l'occasion, dans ses voyages, d'étudier le système de vente hollandais; il
l'introduisit en France, du moins clans ses dispositions essentielles. Au xvmc siècle, l'expert pré-
pare la vente, dresse le catalogue, fait faire les affiches, loue la salle quand il ne la fournit pas
lui-même, paye l'huissier-priseur à raison de six livres par vacation, plus le droit de trois deniers
par livre sur le montant de la vente C'est encore lui qui fait la prisée et annonce au public
le chiffre de la demande. L'huissier-priseur, officier ministériel, préside, prononce l'adjudication
et consacre officiellement la vente.
Gersaint fit école ; après lui nous pouvons citer Basan, le maréchal de Saxe de la curiosité,
comme l'appelait le duc de Choiseul; Glomy et son confrère Pierre Rém'y, « peintre et négociant
en tableaux et autres curiosités», l'expert le plus affairé de son temps; Joullain père et fils;
Helle, qui a laissé tant de catalogues annotés de sa main et "pleins de documents précieux2;
Julliot, Langlier, Paillet l'ancien, Regnault-Delalande ; Pierre Lebrun et son fils J. B. Lebrun qui
épousa M"" Vigée; «M. Le Brun, garde des tableaux de S. A. R. Mgr le comte d'Artois, logé sut-
la gauche de la rue de Cléry, à l'ancien hôtel Lubert, est de tous les marchands celui qui a le
plus voyagé dans les pays étrangers..... il fait aussi les catalogues raisonnes des ventes les plus
belles, dont on lui fait souvent l'honneur de le charger », dit élégamment le Guide de l'Amateur3.
La salle Lebrun a longtemps servi aux ventes publiques ; c'est là que Me Pillet fit ses
premières armes en 18)), avant de mener les grandes batailles avec l'éclat, l'entrain et l'autorité
que l'on sait. Gersaint vendait chez lui, au pont Notre-Dame ; Pierre Remy, rue Poupée ; Paillet
à l'hôtel d'Aligre. En 1780, Paillet acheta l'hôtel du surintendant Bullion, rue Plâtrière,
aujourd'hui rue Jean-Jacques-Rousseau, pour « y former une espèce d'établissement consacré aux
ventes publiques de tableaux et autres effets curieux 4 ». L'hôtel Bullion n'a disparu que de nos
jours. Du reste on vendait un peu partout, chez l'expert, au domicile du vendeur, chez le sieur
Dumarest, rue du Bouloi ; à la salle Silvestre, chère encore aux bibliophiles ; au couvent des
Grands-Augustins, à la maison de Saint-Louis, chez MM. de Sainte-Croix de la Bretonnerie ; à
défaut de salle, on s'accommodait d'une porte cochère 5.
Vers la fin du siècle, le commerce de la curiosité tend de plus en plus à se grouper autour
du Palais-Royal, quartier favori des grands amateurs, des belles ventes et des brocanteurs à la
mode ; ces honnêtes industriels prenaient grand soin de se loger autant que possible au cœur de
la place. Leur nombre et, je l'avoue, leur savoir-faire augmentaient dans des proportions inquié-
tantes ; Joullain, qui connaissait bien ses confrères, se plaint amèrement « de l'immensité des
marchands sans considération qui pullulent dans Paris », surtout des marchands de tableaux « dont
la plupart, pour ne pas les englober tous, ne sont pas fort en réputation de probité 0 ». Réunis en
société secrète, sous le nom de Grqfinade 7, ils pratiquaient sur une grande échelle la coalition, la
révision, le maquignonnage sous toutes les formes ; la science moderne n'a rien trouvé de
mieux.
De 1786 à 1800, la moyenne annuelle des catalogues descend tout à coup de 42 à 19. La
curiosité du xvinc siècle agonise, étranglée par la Révolution ; on enterre les derniers cabinets, et
Lebrun conduit le deuil avec Regnault-Delalande. Voici l'Empire et la Restauration : adieu les
1. Eue Piot. Cabinet de l'amateur. 1S61-62.
2. La plupart de ces catalogues sont au Cabinet des estampes.
Tiiiery. Guide de l'amateur. 1786.
4. Id., id.
5. Eue Piot. Cabinet de l'amateur. 1861-62.
6. Réjlexions sur la peinture, etc.
7. Mercier. Tableau de Paris, Ventes par arrêt de la Cour.