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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 4)

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Guiffrey, Jules: Lettres inédites d'Eugène Delacroix, [3]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16907#0132

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LETTRES INÉDITES D'EUGÈNE DELACROIX

(suite et fin'.)

Nous arrivons à une des vicissitudes les plus e'tranges de la
carrière de l'artiste. Quoiqu'il eût e'te' de tout temps fort mal
traité par l'Institut, peut-être à cause de ces rigueurs, Eug.
Delacroix paraît avoir vivement de'sire' entrer à l'Acade'mie des
beaux-arts. Que celui qui n'a jamais eu une pensée de vanité ou
d'orgueil lui jette la première pierre !

Cette candidature, qui se présentait avec des titres si glo-
rieux, rencontra les résistances les plus passionnées. Et longtemps
même après la mort de l'artiste la compagnie parut lui garder
rancune de la violence qu'elle avait dû s'imposer, sous la pres-
sion de l'opinion publique, pour l'admettre dans son sein. Aussi
la lutte fut-elle acharnée et Delacroix, qui tenait vivement au
succès final, du moment où il se mettait en campagne, alla frap-
per à toutes les portes. Heureusement, il avait des amis dans la
place ; heureusement aussi, un premier échec, qui n'était que
trop prévu, ne le rebuta pas.

Il se présenta de nouveau et obtint enfin la récompense de
sa persévérance.

Ce serait à l'occasion de cette candidature que notre ar-
tiste aurait écrit à Alfred de Musset une lettre jadis reproduite
en fac-similé par M. Eugène de Mirecourt dans sa biographie
de Delacroix. Certains passages de ce billet nous inspirent des
doutes sérieux sur son authenticité2. Le peintre demande au
poète de le faire recommander au musicien Paer. Or, Paer était
mort dès 1839, et A. de Musset n'entra à l'Académie française
qu'en 1852; de quelle utilité aurait-il donc pu être à notre can-
didat? Dans quelle circonstance aurait-il eu occasion d'user de
ses relations auprès du musicien? Tout cela nous rend la lettre
publiée par M. de Mirecourt singulièrement suspecte. Tandis
que nous pouvons garantir la parfaite authenticité des deux
lettres suivantes écrites à Auber, l'une avant, la seconde peu
après le vote qui fit entrer Delacroix à l'Institut. Peu impor-
tantes 'par elles-mêmes, elles reçoivent un certain intérêt des
circonstances dans lesquelles elles furent écrites :

XXI

« Monsieur et illustre maître 5,
« J'avais pris la liberté de vous informer de l'indisposition
qui me mettait dans l'impossibilité d'avoir l'honneur de vous
voir la semaine dernière. Ce devoir, dont je ne pouvais m'acquit-
ter, était un grand plaisir dont je me trouvais privé ; votre bonté
et votre amabilité ont été constantes pour moi, non-seulement
dans mes épreuves académiques, mais partout où j'ai eu le bon-
heur d'être rapproché de vous. Malheureusement je demeure
encore forcé de m'abstenir de toute sortie d'ici à quelques jours
pour ne pas compromettre pour tout l'hiver peut-être le mieux
que j'avais commencé à éprouver. Soyez donc assez bon pour me
plaindre de l'impossibilité où je me trouve de vous voir une fois
de plus.

« Agréez, monsieur et illustre maître, les expressions d'une
admiration qui n'est pas nouvelle et celles de ma respectueuse et
bien haute considération.

« Eug. Delacroix.

XXII

« Ce 11 janvier 1857.

« Monsieur et illustre maître,

« Puisque je suis encore arrêté pour quelques jours, laissez-
moi vous dire dans cette lettre toute ma reconnaissance pour la
part que vous avez à l'honneur que j'aurai dorénavant d'être le
confrère d'un homme tel que vous. Aller vous le dire sera un de
mes premiers soins aussitôt que je serai libre.

« Recevez l'expression de tous mes respects et de toute mon
admiration.

« Eue. Delacroix. »

Nous arrivons aux dernières années de l'artiste. Le voici
membre de l'Institut. Quelques amateurs intelligents commen-
cent à soupçonner que sa peinture pourrait bien un jour être re-
cherchée et la lui payent un prix qu'il n'eût jamais osé espérer.
Enfin le génie du maître, s'il donne encore lieu à des réserves et
même à certaines critiques, n'est plus en butte à ces grossières
injures des partisans fanatiques de l'école de David.

Un des auteurs les plus populaires de notre temps, un
écrivain qui a touché à la fois à toutes les branches de la litté-
rature s'était fait, dans un feuilleton de l'Indépendance belge,
l'interprète de l'admiration publique pour le grand peintre.
C'est à cette occasion que Delacroix écrivit à Alexandre Dumas
père, signataire des articles sur le Salon de 1859, la lettre sui-
vante. Bien qu'elle ait déjà été publiée par M. Arthur Stevens,
dans une notice sur Eug. Delacroix placée à la suite du Salon de
1865 (Paris, 1866, in-12, Librairie Centrale), cette lettre nous a
paru trop intéressante et trop caractéristique pour ne pas être
tirée de la brochure où elle est à peu près inconnue.

XXIII

« Ce 28 avril 1859.

« Mon cher ami,

Je n'ai eu connaissance qu'hier seulement de l'article que vous
m'avez consacré dans le feuilleton de l'Indépendance.

« La difficulté de se procurer le journal quand le jour où il a
paru est passé, m'a privé pendant quelques jours du plaisir de le
lire et de celui d'avoir à vous en remercier de tout cœur.

« Vous vous souvenez, ami, d'un vieux camarade ; vous le
traitez déjà comme s'il se trouvait installé dans sa petite immor-
talité, ou plutôt c'est vous qui me la donnez par vos éloges, tout
pleins de la chaleur que vous portez partout.

« Vous vous plaignez avec raison de la tendance des arts.
Nous visions en haut, autrefois ; heureux qui pouvait y atteindre !
Je crains que la taille des lutteurs d'aujourd'hui ne leur permette
pas même d'en avoir la pensée. Leur petite vérité étroite n'est pas
celle des maîtres. Ils la cherchent terre à terre avec un micros-
cope. Adieu la grande brosse, adieu les grands effets des passions
à la scène ! Aussi pourquoi vous en allez-vous au Kamtschatka ?
On me dit toutefois que vous en rapportez des trésors.

« Je vous embrasse bien, cher ami, et vous remercie de nou-
veau.

« Eug. Delacroix. »

1. Voir l'Art, y année, tome III, page 531, et tome IV, pages 17 et 66.

2. Ce billet ne se trouve qu'à la suite des anciennes éditions de la biographie de Delacroix par Eug. de Mirecourt. Dans les derniers tirages, qui d'ailleurs ne
contiennent plus d'autographes reproduits en fac-similé, il n'est plus question de cette lettre.

3. Ces lettres furent envoyées sous enveloppe et par conséquent l'adresse manque mais M. de Beauchesne, l'ancien secrétaire du Conservatoire de musique,
à la vente de qui nous les avons acquises, a eu soin d'indiquer positivement, en tête de la première, qu'elles étaient adressées a Auber, qui les lui avait données.

Tome XI. 15
 
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