CoMF-OilTIOX de NlCOLAS POUSSIN, GRAVEE par J. PeSNE.
LE POUSSIN
(fin '}
n vérité, je ne sais quelle méthode adopter pour décrire les
dernières œuvres du Poussin. Sa vie, limpide comme celle d'un
sage, ne livre plus aucun fait caractéristique qui se rattache au
souvenir de tel ou tel tableau ; l'ordre chronologique n'aurait
donc pas sa raison d'être ; d'autant plus que jusqu'à sa mort,
pour ainsi dire, les qualités de la composition et de l'exécution
changent peu. Je rejette aussi le classement d'après la nature
des sujets ; qu'ils soient tirés de la fiction mythologique ou de
l'histoire sacrée, aucun n'a été le point de départ ou l'origine
du développement d'une pensée soit philosophique, soit poétique;
chacun est plutôt l'exemple sensible qui résume l'esprit d'une
thèse ; le choix en a été fait indistinctement dans le répertoire de la Fable, de la Bible, ou des
Evangiles, à la seule condition que la donnée matérielle se trouve en corrélation avec l'idée à
exprimer.
Ainsi : Le Poussin vient d'apprendre plus que jamais, par l'expérience qu'il a faite à la cour
de France, combien le bonheur est instable ; son âge l'aide à rattacher ce sentiment à celui de
la brièveté de la vie ; il veut que son pinceau exprime cette double idée philosophique et il la
formule sous ce titre : le Souvenir de la mort au milieu des prospérités de la vie. Quel sujet
va-t-il prendre pour composer ce tableau, qui n'existe encore que par une pensée ? Son imagi-
nation se met en travail ; montrera-t-il Alexandre le Grand mourant à la fleur de l'âge et à
l'apogée de la gloire ? fera-t-il comparaître Job sur son fumier ? ou bien aura-t-il recours à des
allégories compliquées d'emblèmes et de figures inventées ? Certainement non ; le lieu commun
lui est inconnu ; si l'histoire ou la fable ne peuvent lui fournir le fait qui convient précisément à
sa visée, il ne leur emprunte que des indices, il trouve en lui-même ce qu'elles lui refusent et il
compose l'idylle séduisante et touchante que le Louvre possède sous le n" 445. C'est le tableau
nommé les Bergers d'Arcadie. Tous les poètes de l'antiquité ont chanté l'Arcadie comme le pays
de la vie délicieuse et de la félicité parfaite; c'est au sein de ce paradis que le Poussin a placé
la scène ; voilà tout ce que la mythologie a fourni à sa peinture. Trois pâtres et une jeune
bergère découvrent un tombeau isolé au milieu d'un paysage tranquille, à l'ombre d'un bosquet
1. Voir l'Art, y année, tome IV, pages yj, 107 et 151.
Tome XL
28
LE POUSSIN
(fin '}
n vérité, je ne sais quelle méthode adopter pour décrire les
dernières œuvres du Poussin. Sa vie, limpide comme celle d'un
sage, ne livre plus aucun fait caractéristique qui se rattache au
souvenir de tel ou tel tableau ; l'ordre chronologique n'aurait
donc pas sa raison d'être ; d'autant plus que jusqu'à sa mort,
pour ainsi dire, les qualités de la composition et de l'exécution
changent peu. Je rejette aussi le classement d'après la nature
des sujets ; qu'ils soient tirés de la fiction mythologique ou de
l'histoire sacrée, aucun n'a été le point de départ ou l'origine
du développement d'une pensée soit philosophique, soit poétique;
chacun est plutôt l'exemple sensible qui résume l'esprit d'une
thèse ; le choix en a été fait indistinctement dans le répertoire de la Fable, de la Bible, ou des
Evangiles, à la seule condition que la donnée matérielle se trouve en corrélation avec l'idée à
exprimer.
Ainsi : Le Poussin vient d'apprendre plus que jamais, par l'expérience qu'il a faite à la cour
de France, combien le bonheur est instable ; son âge l'aide à rattacher ce sentiment à celui de
la brièveté de la vie ; il veut que son pinceau exprime cette double idée philosophique et il la
formule sous ce titre : le Souvenir de la mort au milieu des prospérités de la vie. Quel sujet
va-t-il prendre pour composer ce tableau, qui n'existe encore que par une pensée ? Son imagi-
nation se met en travail ; montrera-t-il Alexandre le Grand mourant à la fleur de l'âge et à
l'apogée de la gloire ? fera-t-il comparaître Job sur son fumier ? ou bien aura-t-il recours à des
allégories compliquées d'emblèmes et de figures inventées ? Certainement non ; le lieu commun
lui est inconnu ; si l'histoire ou la fable ne peuvent lui fournir le fait qui convient précisément à
sa visée, il ne leur emprunte que des indices, il trouve en lui-même ce qu'elles lui refusent et il
compose l'idylle séduisante et touchante que le Louvre possède sous le n" 445. C'est le tableau
nommé les Bergers d'Arcadie. Tous les poètes de l'antiquité ont chanté l'Arcadie comme le pays
de la vie délicieuse et de la félicité parfaite; c'est au sein de ce paradis que le Poussin a placé
la scène ; voilà tout ce que la mythologie a fourni à sa peinture. Trois pâtres et une jeune
bergère découvrent un tombeau isolé au milieu d'un paysage tranquille, à l'ombre d'un bosquet
1. Voir l'Art, y année, tome IV, pages yj, 107 et 151.
Tome XL
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