L'ÉCOLE FRANÇAISE DE PEINTURE
EN 1877
NOTES ET RÉFLEXIONS1
uelle étrange façon de dresser les jeunes
gens qui se préparent à la culture des
arts ! Pour leur faire comprendre la poésie,
on commence par la leur traduire en prose;
on leur réduit l'art au procédé. Ils finis-
sent par être convaincus que, pour pro-
duire des œuvres de génie,
la condition première, c'est
non le génie, mais la règle.
Combien de jeunes gens,
après avoir consciencieuse-
ment étudié l'Art poétique
de Boileau, ou les nom-
breuses Rhétoriques qui se
sont succédé depuis Aristote,
ou l'esthétique officielle de
l'Académie, ne peuvent pas
s'imaginer qu'ils puissent
n'être que de détestables
poètes, de médiocres avocats
et des artistes sans talent ?
Cette illusion est plus
fréquente qu'on ne s'imagine.
Elle a des conséquences dé-
plorables pour ceux mêmes
qui avaient reçu de la nature
les dons nécessaires. Son
premier effet est de détruire
la sincérité, la spontanéité,
sans lesquelles il n'y a plus
d'art possible. Au lieu de s'abandonner à leurs impressions vraies et de les traduire fidèlement,
directement, comme ils les sentent, ils commencent par les soumettre à la torture des règles
inventées, imposées par les législateurs patentés, ils les font passer sous la toise du programme
académique ; ils les rognent, les fardent, les tuent, et sont ensuite tout surpris de n'en plus
trouver sur leur toile que les cadavres.
Qu'on songe à la situation du jeune homme qui nécessairement s'ignore lui-même, qui
surtout ne se doute pas que les oracles solennels prononcés par des hommes revêtus de l'estam-
pille officielle et de la garantie du gouvernement puissent être des oracles menteurs ; qui enfin
Lettre composée par Bachelier et gravée par P. P. Choflard.
1. Voir l'Art, )° année, tome IV, pages 176 et 227.
Tome XI.
?2
EN 1877
NOTES ET RÉFLEXIONS1
uelle étrange façon de dresser les jeunes
gens qui se préparent à la culture des
arts ! Pour leur faire comprendre la poésie,
on commence par la leur traduire en prose;
on leur réduit l'art au procédé. Ils finis-
sent par être convaincus que, pour pro-
duire des œuvres de génie,
la condition première, c'est
non le génie, mais la règle.
Combien de jeunes gens,
après avoir consciencieuse-
ment étudié l'Art poétique
de Boileau, ou les nom-
breuses Rhétoriques qui se
sont succédé depuis Aristote,
ou l'esthétique officielle de
l'Académie, ne peuvent pas
s'imaginer qu'ils puissent
n'être que de détestables
poètes, de médiocres avocats
et des artistes sans talent ?
Cette illusion est plus
fréquente qu'on ne s'imagine.
Elle a des conséquences dé-
plorables pour ceux mêmes
qui avaient reçu de la nature
les dons nécessaires. Son
premier effet est de détruire
la sincérité, la spontanéité,
sans lesquelles il n'y a plus
d'art possible. Au lieu de s'abandonner à leurs impressions vraies et de les traduire fidèlement,
directement, comme ils les sentent, ils commencent par les soumettre à la torture des règles
inventées, imposées par les législateurs patentés, ils les font passer sous la toise du programme
académique ; ils les rognent, les fardent, les tuent, et sont ensuite tout surpris de n'en plus
trouver sur leur toile que les cadavres.
Qu'on songe à la situation du jeune homme qui nécessairement s'ignore lui-même, qui
surtout ne se doute pas que les oracles solennels prononcés par des hommes revêtus de l'estam-
pille officielle et de la garantie du gouvernement puissent être des oracles menteurs ; qui enfin
Lettre composée par Bachelier et gravée par P. P. Choflard.
1. Voir l'Art, )° année, tome IV, pages 176 et 227.
Tome XI.
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