NOTRE BIBLIOTHÈQUE.
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sitions trop multipliées et trop tranchées d'o.Tibre et de lumière.
Mais cet excès, je l'avoue, me choque moins que le défaut con-
traire.
Le Banc des dormeurs à la salle d'asile d'Arbois, par
M. Felizat, est une très-jolie chose, vivement enlevée et pleine
d'esprit. Les dessins de M. Felizat valent certainement mieux
que sa peinture. M. Billot expose aussi deux dessins remarqua-
bles; l'un, au crayon noir, nous montre une petite fille qui rit ;
l'autre, au fusain, forme antithèse et reproduit la tète hérissée
d'un gamin bien vivant. Les portraits au crayon de M. Michel
Henri sont trop soignés, trop finis ; je préfère ceux de M. Michel
Édouard, plus simples et plus expressifs. M. Donzel a aussi deux
fusains auxquels je ne ferai qu'un reproche, d'être trop jolis,
comme sa peinture.
M. Van de Velde a un véritable talent d'aquarelliste. Sa
Promenade de Barbicaja est vraiment charmante.
Nous voici arrivés aux confins de la peinture et de la sculp-
ture, et nous y trouvons M. le vicomte Ghiflet, avec deux œuvres
vraiment étranges et d'une originalité saisissante, qui rappellent
certaines sculptures de nos vieilles cathédrales. Ce sont deux
terres cuites peintes. L'une représente Saint Michel précipitant
le Démon. L'archange, les pieds dans la lumière, la tète en bas,
précipite d'un coup de lance et pousse devant lui Satan sous les
pieds duquel s'ouvre l'Enfer. Le bouclier qu'il tient au-dessus de
sa tète est brisé, et son attitude respire la rage et le déses-
poir. Dans l'autre, nous voyons les flammes qui s'élancent de
terre aux pieds du Docteur Faust, assis devant sa table de travail.
Effrayé, il se jette de côté, avec une expression de terreur
suprême, pour échapper à cette menace soudaine. On peut dis-
cuter à un point de vue général cette association de la peinture
et de la terre cuite, mais ce qu'on ne saurait nier, c'est que
M. Chiflet en a su tirer un parti considérable et lui a fait pro-
duire des effets auxquels il n'aurait peut-être pu atteindre par
d'autres moyens.
Fa sculpture proprement dite ne compte que les quatre
bustes de M. Cadé. Sur les quatre, il y en a un qui est franche-
ment et absolument mauvais. Fantaisie est une tète imaginaire,
sans doute l'idéal de l'auteur, d'un travail sans largeur, et d'une
beauté de journal de mode, sans style et sans ligne, sans accent
ni caractère. Les bustes-portraits valent mieux, celui de MUe M. F.
et surtout celui de la mère de l'auteur, qui est sérieusement
étudié et véritablement individuel. Quant à celui de Mme ***, il est
manqué par cela seul que le buste prête au modèle un sourire
qui n'est pas dans sa nature, qui jure avec le reste de sa physio-
nomie et qui par suite se transforme en grimace.
Nous arrêtons ici cette étude déjà trop longue, mais il était
difficile de faire moins pour une exposition qui réunit un si
grand nombre d'œuvres appartenant à des artistes de la localité.
En comparant sous ce rapport cette exposition à celles que nous
venons de visiter, nous devons dire que la Franche-Comté a le
droit d'être fière du contingent qu'elle fournit à l'art français.
Eugène Véron.
NOTRE BIBLIOTHEQUE
LXXXVI
HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE, par E. et J. De
Goncourt. Édition illustrée, 1 vol. in-40. G. Charpentier,
éditeur. *
On sait avec quelle passion MM. de Goncourt ont étudié,
fouillé, ressuscité le xvme siècle et surtout la femme du xvmc siè-
cle. Nul mieux qu'eux n'a connu cette société factice et char-
mante de l'aristocratie française à son déclin, société pleine de
préjugés, d'ignorances, de vices, mais aussi rayonnante d'esprit,
de légèreté et de grâce, et qui semblait vouloir, avant de dispa-
raître pour toujours, laisser dans l'histoire une sorte d'éblouisse-
ment.
'Elle doit être jugée sévèrement par le philosophe et le poli-
tique, qui demandent aux hommes le souci et l'intelligence des
choses sérieuses, de celles qui dominent et qui font les destinées
des peuples, mais nulle n'est mieux faite pour séduire des artistes
amoureux de l'éclat, du brio, de l'élégance, de la beauté, de la
couleur.
A ce titre, il était impossible que MM. de Goncourt ne
fussent pas frappés de la figure de Marie-Antoinette, qu'ils ne se
sentissent pas attirés vers elle par une sympathie des plus vives.
On peut dire que entre elle et eux il y a « harmonie préétablie ».
Aussi se sont-ils attachés à la réhabilitation de cette malheureuse
femme avec une ardeur, avec une passion admirables, pleines
d'emportement et de sincérité, qui communiquent à ce livre un
intérêt sans intermittence et l'imprègnent d'une vie dont l'inten-
sité touche parfois à la violence.
Il est vrai que, comme toute passion, celle-ci est un peu
exclusive et que, à force d'éliminer ou d'atténuer tout ce qui
pourrait porter atteinte au culte de l'idole, elle arrive parfois à
inquiéter la logique et à rendre bien difficile l'intelligence de
certaines conséquences dont les causes restent dans l'ombre ou
hors de proportion avec les effets produits.
Mais nous ne voulons pas entrer ici dans une discussion
historique, qui toucherait à des passions encore vivantes. Nous
tenons seulement à appeler l'attention sur un fait qui paraît
avoir échappé aux auteurs.
Ce livre est d'une extrême sévérité pour les hommes de la
Révolution, et il flétrit en termes indignés les colères du peuple
contre Marie-Antoinette. Nous concevons ces sentiments, de la
part d'écrivains qui n'admettent comme fondé aucun des repro-
ches adressés à la reine. Mais, en se plaçant même à leur point
de vue, est-ce bien le peuple de Paris qu'il faut accuser de ces
injustices? Est-ce que le reproche ne doit pas être reporté tout
entier à la cour même, d'où partaient les accusations et les
calomnies? La population de Paris ne pouvait rien savoir de ce
qui se passait à Trianon et à Versailles que par les gens qui
vivaient dans l'entourage de la famille royale. Or, il ne faut pas
l'oublier, c'est cet entourage, c'est cette famille même qui met
tout en œuvre pour perdre Marie-Antoinette dans l'opinion
publique. C'est la noblesse, ce sont les ministres, ce sont les
tantes du roi, ce sont ses belles-sœurs, c'est son frère même, le
comte de Provence, son cousin, le duc d'Orléans, qui inventent,
qui colportent, qui commentent et grossissent toutes les calom-
nies, et en forment ce crescendo formidable qui ira jusqu'à
demander la tète de la reine, qui tiendra lieu pour le tribunal de
pièces écrites et insultera la malheureuse jusque sur la charrette
fatale. Tout, jusqu'à ce funeste surnom de Y Autrichienne, toutes
les calomnies partent de la cour ; Paris n'est qu'un écho de Ver-
sailles. Comment les hommes de la Révolution pouvaient-ils
douter de la réalité des faits dénoncés, affirmés par les gens aux-
quels la solidarité seule des intérêts aurait dû imposer silence,
même sur des fautes réelles ?
Comment exiger d'un peuple excité, affolé par la colère, par
la famine, par les menaces des émigrés, par les armements des
puissances étrangères, et d'ailleurs privé de tout moyen de con-
trôle, qu'il nie et repousse des accusations apportées, répétées
par les gens mêmes qui vivaient dans la familiarité de Trianon
et de Versailles ?
Les vrais coupables, ceux qu'il aurait fallu condamner et flé-
trir, ce sont les ambitieux, les courtisans, les faux amis qui se
glissaient dans la confiance de la*reine pour la trahir et qui, pour
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sitions trop multipliées et trop tranchées d'o.Tibre et de lumière.
Mais cet excès, je l'avoue, me choque moins que le défaut con-
traire.
Le Banc des dormeurs à la salle d'asile d'Arbois, par
M. Felizat, est une très-jolie chose, vivement enlevée et pleine
d'esprit. Les dessins de M. Felizat valent certainement mieux
que sa peinture. M. Billot expose aussi deux dessins remarqua-
bles; l'un, au crayon noir, nous montre une petite fille qui rit ;
l'autre, au fusain, forme antithèse et reproduit la tète hérissée
d'un gamin bien vivant. Les portraits au crayon de M. Michel
Henri sont trop soignés, trop finis ; je préfère ceux de M. Michel
Édouard, plus simples et plus expressifs. M. Donzel a aussi deux
fusains auxquels je ne ferai qu'un reproche, d'être trop jolis,
comme sa peinture.
M. Van de Velde a un véritable talent d'aquarelliste. Sa
Promenade de Barbicaja est vraiment charmante.
Nous voici arrivés aux confins de la peinture et de la sculp-
ture, et nous y trouvons M. le vicomte Ghiflet, avec deux œuvres
vraiment étranges et d'une originalité saisissante, qui rappellent
certaines sculptures de nos vieilles cathédrales. Ce sont deux
terres cuites peintes. L'une représente Saint Michel précipitant
le Démon. L'archange, les pieds dans la lumière, la tète en bas,
précipite d'un coup de lance et pousse devant lui Satan sous les
pieds duquel s'ouvre l'Enfer. Le bouclier qu'il tient au-dessus de
sa tète est brisé, et son attitude respire la rage et le déses-
poir. Dans l'autre, nous voyons les flammes qui s'élancent de
terre aux pieds du Docteur Faust, assis devant sa table de travail.
Effrayé, il se jette de côté, avec une expression de terreur
suprême, pour échapper à cette menace soudaine. On peut dis-
cuter à un point de vue général cette association de la peinture
et de la terre cuite, mais ce qu'on ne saurait nier, c'est que
M. Chiflet en a su tirer un parti considérable et lui a fait pro-
duire des effets auxquels il n'aurait peut-être pu atteindre par
d'autres moyens.
Fa sculpture proprement dite ne compte que les quatre
bustes de M. Cadé. Sur les quatre, il y en a un qui est franche-
ment et absolument mauvais. Fantaisie est une tète imaginaire,
sans doute l'idéal de l'auteur, d'un travail sans largeur, et d'une
beauté de journal de mode, sans style et sans ligne, sans accent
ni caractère. Les bustes-portraits valent mieux, celui de MUe M. F.
et surtout celui de la mère de l'auteur, qui est sérieusement
étudié et véritablement individuel. Quant à celui de Mme ***, il est
manqué par cela seul que le buste prête au modèle un sourire
qui n'est pas dans sa nature, qui jure avec le reste de sa physio-
nomie et qui par suite se transforme en grimace.
Nous arrêtons ici cette étude déjà trop longue, mais il était
difficile de faire moins pour une exposition qui réunit un si
grand nombre d'œuvres appartenant à des artistes de la localité.
En comparant sous ce rapport cette exposition à celles que nous
venons de visiter, nous devons dire que la Franche-Comté a le
droit d'être fière du contingent qu'elle fournit à l'art français.
Eugène Véron.
NOTRE BIBLIOTHEQUE
LXXXVI
HISTOIRE DE MARIE-ANTOINETTE, par E. et J. De
Goncourt. Édition illustrée, 1 vol. in-40. G. Charpentier,
éditeur. *
On sait avec quelle passion MM. de Goncourt ont étudié,
fouillé, ressuscité le xvme siècle et surtout la femme du xvmc siè-
cle. Nul mieux qu'eux n'a connu cette société factice et char-
mante de l'aristocratie française à son déclin, société pleine de
préjugés, d'ignorances, de vices, mais aussi rayonnante d'esprit,
de légèreté et de grâce, et qui semblait vouloir, avant de dispa-
raître pour toujours, laisser dans l'histoire une sorte d'éblouisse-
ment.
'Elle doit être jugée sévèrement par le philosophe et le poli-
tique, qui demandent aux hommes le souci et l'intelligence des
choses sérieuses, de celles qui dominent et qui font les destinées
des peuples, mais nulle n'est mieux faite pour séduire des artistes
amoureux de l'éclat, du brio, de l'élégance, de la beauté, de la
couleur.
A ce titre, il était impossible que MM. de Goncourt ne
fussent pas frappés de la figure de Marie-Antoinette, qu'ils ne se
sentissent pas attirés vers elle par une sympathie des plus vives.
On peut dire que entre elle et eux il y a « harmonie préétablie ».
Aussi se sont-ils attachés à la réhabilitation de cette malheureuse
femme avec une ardeur, avec une passion admirables, pleines
d'emportement et de sincérité, qui communiquent à ce livre un
intérêt sans intermittence et l'imprègnent d'une vie dont l'inten-
sité touche parfois à la violence.
Il est vrai que, comme toute passion, celle-ci est un peu
exclusive et que, à force d'éliminer ou d'atténuer tout ce qui
pourrait porter atteinte au culte de l'idole, elle arrive parfois à
inquiéter la logique et à rendre bien difficile l'intelligence de
certaines conséquences dont les causes restent dans l'ombre ou
hors de proportion avec les effets produits.
Mais nous ne voulons pas entrer ici dans une discussion
historique, qui toucherait à des passions encore vivantes. Nous
tenons seulement à appeler l'attention sur un fait qui paraît
avoir échappé aux auteurs.
Ce livre est d'une extrême sévérité pour les hommes de la
Révolution, et il flétrit en termes indignés les colères du peuple
contre Marie-Antoinette. Nous concevons ces sentiments, de la
part d'écrivains qui n'admettent comme fondé aucun des repro-
ches adressés à la reine. Mais, en se plaçant même à leur point
de vue, est-ce bien le peuple de Paris qu'il faut accuser de ces
injustices? Est-ce que le reproche ne doit pas être reporté tout
entier à la cour même, d'où partaient les accusations et les
calomnies? La population de Paris ne pouvait rien savoir de ce
qui se passait à Trianon et à Versailles que par les gens qui
vivaient dans l'entourage de la famille royale. Or, il ne faut pas
l'oublier, c'est cet entourage, c'est cette famille même qui met
tout en œuvre pour perdre Marie-Antoinette dans l'opinion
publique. C'est la noblesse, ce sont les ministres, ce sont les
tantes du roi, ce sont ses belles-sœurs, c'est son frère même, le
comte de Provence, son cousin, le duc d'Orléans, qui inventent,
qui colportent, qui commentent et grossissent toutes les calom-
nies, et en forment ce crescendo formidable qui ira jusqu'à
demander la tète de la reine, qui tiendra lieu pour le tribunal de
pièces écrites et insultera la malheureuse jusque sur la charrette
fatale. Tout, jusqu'à ce funeste surnom de Y Autrichienne, toutes
les calomnies partent de la cour ; Paris n'est qu'un écho de Ver-
sailles. Comment les hommes de la Révolution pouvaient-ils
douter de la réalité des faits dénoncés, affirmés par les gens aux-
quels la solidarité seule des intérêts aurait dû imposer silence,
même sur des fautes réelles ?
Comment exiger d'un peuple excité, affolé par la colère, par
la famine, par les menaces des émigrés, par les armements des
puissances étrangères, et d'ailleurs privé de tout moyen de con-
trôle, qu'il nie et repousse des accusations apportées, répétées
par les gens mêmes qui vivaient dans la familiarité de Trianon
et de Versailles ?
Les vrais coupables, ceux qu'il aurait fallu condamner et flé-
trir, ce sont les ambitieux, les courtisans, les faux amis qui se
glissaient dans la confiance de la*reine pour la trahir et qui, pour