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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 3.1877 (Teil 4)

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https://doi.org/10.11588/diglit.16907#0323

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288

RT.

mériter les faveurs de coteries puissantes, s'appliquaient à la
perdre dans l'opinion publique et jusque dans l'esprit de son
mari.

C'est cette distinction que MM. de Concourt n'ont pas suffi-
samment établie ; et cela seul constitue une injustice regret-
table.

Sauf ces réserves, qu'il était impossible de ne pas faire, ce
livre est une œuvre des plus distinguées, même parmi celles de
MM. de Goncourt. Le style a. déjà la vie, l'imprévu, le mouve-
ment qui sont leurs qualités fondamentales, sans arriver aux
exagérations de forme et de détail qui, parfois, dans leurs der-
niers ouvrages, frisent la manière et sentent le système. La spon-
tanéité, la sincérité restent dominantes ; le relief de la phrase et
de l'expression reproduit presque naturellement celui du senti-
ment et de l'idée; si l'on sent le travail et un peu d'effort, ce
travail et cet effort ajoutent plus qu'ils n'ôtent à la puissance du
rendu et à l'effet du coloris.

Il faudrait, si la place le permettait, pouvoir citer un certain
nombre de morceaux vraiment remarquables, particulièrement
des portraits, car c'est là surtout qu'ils triomphent. Ils ont un
talent tout spécial pour s'introduire dans la peau des personna-
ges, et en faire saillir les côtés qu'ils veulent faire connaître.

Voici un portrait qui fera juger des autres :

« La femme n'était rien, l'esprit était toute la femme chez
Diane de Polignac. Elle n'avait qu'à parler pour faire oublier sa
taille, sa figure, sa toilette, le peu qu'elle avait reçu et le peu
qu'elle faisait pour être jolie. Cette malice, cette manière de sai-
sir les objets, qui la vengeait de ses ennemis vingt fois en un
jour, ce tour piquant de la pensée, ce sel délicat de l'épigramme,
la faisaient aimable, séduisante presque, en dépit de la nature.
Diane de Polignac plaisait encore par cette lutte de sa tète et de son
cœur, par ces passages soudains de la gaieté à l'émotion, par ce
perpétuel changement de ton de l'âme, par ce mélange et cette
succession de tendresse et de comédie, d'ironie et de sensibilité.
C'était un amusant caractère, audacieux et toujours en avant,
que rien n'intimidait, une humeur folle et sans arrêt, une insou-
ciance insolente et contagieuse ; une femme précieuse dans une
cour pour en être le boute-en-train, l'étourdissement et la con-
fiance, pour mettre le feu aux causeries, défier les alarmes, dissi-
per les pensées noires, promettre le beau temps et railler l'ave-
nir. »

Encore faut-il dire que j'ai choisi celui-là, parce qu'il est un
des plus courts. Il y en a nombre d'autres où les bonheurs d'ex-
pressions, les trouvailles de style sont infiniment plus frappants.
Voyez par exemple cette phrase du portrait du duc de La Vau-
guyon, le gouverneur du Dauphin :

« Son pauvre esprit s'était abîmé dans l'étiquette ; et ne
saisissant de la grandeur que l'importance, de la hauteur que la
brusquerie, n'attrapant les choses que par le grossier et le désa-
gréable, il avait élevé le jeune prince à son école, aux leçons de
sa dignité brutale et de sa maussaderic bourrue. »

Le trait commun, général de tous ces portraits, on peut dire
de tout ce style, c'est la vie. Les auteurs ont une faculté merveil-
leuse, celle que Michelet prisait le plus et qu'il considérait
comme la plus indispensable à quiconque se mêle d'histoire, la
faculté de résurrection. Leurs récits sont à proprement dire des
peintures ; leur psychologie est de la photographie vivante et
intelligente, qui choisit et résume, sans tuer, sans refroidir ; au
contraire. Leur réalisme est un réalisme doublé d'une imagina-
tion débordante, qui donne à toute chose son accent et son
relief merveilleux, parfois même excessif, comme un stéréoscope
mal réglé.

La nouvelle édition illustrée qu'offre aujourd'hui au public
M. Charpentier, est d'avance assurée du succès. Le public a
longtemps hésité avant de s'abandonner au charme de ce talent
un peu tourmenté et si vivant. Mais depuis quelques années la
glace est rompue et les livres signés de ces deux noms s'enlèvent
avec une rapidité qui prouve que la sympathie est définitivement
conquise. Les illustrations ajoutées constituent un attrait des
plus puissants. Toutes les pages sont ornées d'encadrements
variés, d'un goût charmant. Ils ont été spécialement composés
pour cet ouvrage par M. Giacomelli, dont on connaît le talent
en ce genre, et gravés sur bois avec un soin et une délicatesse
merveilleux par M. Méaulle.

Le volume contient en outre douze planches hors texte,
reproduisant en fac-similé des originaux du xviu0 siècle, et un
autographe de la reine.

Parmi ces gravures les plus remarquables sont les sii-
vantes :

Marie-Antoinette, reine de France et de Navarre, reproduc-
tion en fac-similé d'un dessin de Touzé ; — la Reine à la Con-
ciergerie, fac-similé du portrait gravé de Prieur; — Portrait de
la Reine dans une lanterne, reproduction d'une gravure révolu-
tionnaire à l'aqua-tinte. Les deux plus belles sont deux admira-
bles eaux-fortes de notre collaborateur, M. Th. Chauvel, repré-
sentant deux Vues de Trianon, d'après des tailles-douces du
chevalier de Lespinasse. Il faut y ajouter un Bol-sein de la lai-
terie de Trianon, vase fabriqué à Sèvres et reproduit en couleur.
Cette planche, du plus grand intérêt, véritable chef-d'œuvre de
reproduction, n'a pas été comprise dans le volume, pour ménager
certaines susceptibilités, mais elle est faite pour y être intercalée
et se vend séparément.

En même temps que l'édition illustrée, l'éditeur met en
vente une édition in-12.

Quoique M. Edm. de Goncourt veuille bien nous honorer
de sa collaboration, nous n'avons pas cru que ce fût une raison
suffisante pour refuser à cette œuvre les éloges qu'elle mérite.
Mais nous sommes assuré que ceux qui la connaissent compren-
dront que nous y avons apporté une discrétion que nous n'au-
rions certainement pas cru devoir nous imposer, si M. de Gon-
court avait été étranger à l'Art.

E. VÉRON.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VÉRON.
 
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