PIERRE GRINGORE
et les
COMÉDIENS ITALIENS SOUS FRANÇOIS Ier
>
Parmi les poètes dramatiques du commencement du
xvic siècle, il n'en est pas de plus connu que Pierre Gringore.
Ce n'est pas que ses ouvrages, dont une partie seulement a été
réimprimée aient trouvé beaucoup de lecteurs dans le grand
public ; c'est à des circonstances extérieures qu'il doit presque
toute sa renommée actuelle. L'auteur de Notre-Dame de Paris
lui a donné, après plus de trois siècles, un regain de popu-
larité, en lui assignant une place dans son livre ; plus récem-
ment Théodore de Banville l'a mis en scène dans une agréable
comédie, qui est restée au répertoire du Théâtre-Français. Il y
a loin, il est vrai, du Gringore de la réalité à celui que nous ont
représenté Hugo et Banville ; l'un et l'autre ont usé des privi-
lèges accordés aux poètes, pour transporter leur héros dans un
temps assez éloigné de celui où il a vécu et pour lui prêter
des aventures romanesques.
Deux gravures extraites d'un des ouvrages de Gringore, gra-
vures que la direction de ïArt a bien voulu faire reproduire,
nous fournissent l'occasion de dire quelques mots de la carrière
dramatique de ce curieux auteur. Il importe de fixer tout d'abord
l'époque à laquelle il a vécu.
I
Nous ignorons la date exacte de la naissance de Gringore ;
nous savons seulement qu'il était Normand2. Le plus ancien de
ses ouvrages, portant une date certaine, le Chasteau de Labour,
parut en 1499, mais il est probable que, depuis plusieurs années,
il composait avec succès des pièces de théâtre. On verra en
effet plus loin, que, dès 1501, il fut chargé par les magistrats
parisiens de composer un mystère pour une entrée solen-
nelle ; il fallait qu'il fût dès lors chef de troupe et qu'il se fût
fait un nom comme « compositeur ». Il est permis de croire
qu'il avait bien trente ans à cette époque ; il avait dû naître, par
conséquent, vers 1470.
Le seul renseignement biographique précis que nous possé-
dions sur Gringore a été extrait par M. Jal des registres de
l'église Saint-Jean-en-Grève, à Paris. Notre poète y contracta
mariage avec Catherine Roger le 30 mai 151S3; il devait alors
approcher de la cinquantaine. En 1527, Gringore publia ses
Notables, Enseignemens, Adages et Proverbes, ainsi que la
seconde édition de ses Heures. Nous ne savons plus rien de sa
vie à partir de cette année.
Gringore prend sur le titre, ou à la fin de plusieurs de ses
ouvrages, le surnom de « Mére Sotte ». Il suffit de renvoyer aux
Folles entreprises (éd. de Pierre le Dru, à Paris, 1505 4), aux
Abus du Monde (éd. de Rouen, s. d., mais vers 1509), aux Fan-
taisies de Mére Sotte (1516) et aux Menus Propos de Mére Sotte
(1521). Notre poète appartenait donc à la confrérie des « Sotz »
parisiens.
Cette confrérie, fort mal connue, paraît avoir succédé à
l'association des En/ans ou Galans sans soucy, dont nous per-
dons la trace à la fin du xv° siècle 5. Les « Sotz » avaient à leur
tète un « prince », qui était un des suppôts du « Roy de la
Bazoche » et qui avait séance au parquet de la justice lorsqu'il
s'y trouvait. Ce détail, qui nous est révélé par Miraulmont6, est
confirmé par les pièces du célèbre procès qui eut lieu, au com-
mencement du xvnc siècle, entre Angoulevent et les Confrères de
la Passion. Une pièce imprimée en 1607 porte le titre suivant :
Arrest du Royaume de la Basoche donné au profit du sieur d'An-
goulevent, valet de chambre du Roy, prince des Sots et premier
chef de la sottie de l'Hostel de Bourgongne et Isle de France, etc.
Les Sots, comme le montre le titre que nous venons de rap-
porter, étaient dans la dépendance de la Bazoche, tandis qu'ils
traitaient avec les Confrères de la Passion sur le pied de l'égalité.
C'étaient eux qui représentaient les sotties et les farces qui
accompagnaient les mystères, joués par les Confrères. Les Sots
possédaient, à ce que nous apprend un acte de 1543 7, une
maison dite des « Sotz attendans », sise rue Darnétal. C'était là,
ainsi que le nom l'indique, qu'ils se réunissaient quand ils
devaient prêter leur concours aux Confrères, dont le théâtre était
à proximité. Ceux-ci jouèrent en effet, jusqu'en 1559, à l'hô-
pital de la Trinité, situé à l'angle de la rue Saint-Denis et de
la rue Darnétal8.
Les Sots donnaient également des représentations compo-
sées tout entières de pièces de leur répertoire, ainsi qu'on le
voit par les mystères et autres productions de Gringore, dont
nous donnons plus loin la liste, et notamment par le Jeu du
Prince des So/f donné aux Halles de Paris en 1512. Parfois
aussi, ils parcouraient la province, comme nous l'apprend une
requête inédite de Jean du Pont-Alais, adressée en 1529 ou
1. MM. Charles d'Héricault et Anatole de Montaiglon ont publié, en 1858, le tome des Œuvras complètes de Gringore. Cette publication, interrompue
pendant vingt ans, est reprise en ce moment par les soins de MM. de Montaiglon et de Rothschild.
2. Il devait être de Caen, comme semblent le prouver les documents réunis par l'abbé de la Rue, Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les
trouvères normands et anglo-normands, III, 344-5,18.
3. Jal, Dictionnaire critique, 2° édit., 1317.
4. Le même titre nous apprend que Gringore demeurait alors « près du bout du pont Nostre Dame •>.
5. La manière dont Marot parle des « Enfans sans soucy » dans la célèbre ballade qu'il leur a consacrée (édit. Jannct, II, 6i) pCrnlét de penser que, au
commencement du xvi» siècle, ce nom ne désignait plus une association particulière, mais s'appliquait à tous ceux qui aimaient à « saulter, danser, chanter al'advan-
tage » et que leur goût entraînait vers le théâtre.
6. Recueil des statuts, ordonnances, etc., du Royaume de la Basoche (Paris, 1654, in-S), ap. Fabro, Études historiques sur les clercs de la Basoche
(Paris, 1856, in-8), 148.
7. Yoy. Recueil des principaux Tiltres concernant l'acquisition de la propriété des masure et place où a esté bastic la maison appelée vulgairement l'Hostel
de Bourgongne... (Paris, 1632, in-4), 9-23 ; — Félibicn, Histoire de Paris, Preuves, III, 781-78?. Cf Histoire du Théâtre François, I, 55 ; — Douhet, Dictionnaire
des Mystères, 640.
8. En 1539, les Confrères furent forcés de quitter l'hôpital de la Trinité; ils s'établirent alors à l'hôtel de Flandres, près de h rue Coquillièrc actuelle, mais
leur nouveau théâtre fut démoli en »"543. Leur installation à l'hôtel de Bourgogne, rue Mauconseil, date de l'année 1548.
Tome XI. 2 1
et les
COMÉDIENS ITALIENS SOUS FRANÇOIS Ier
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Parmi les poètes dramatiques du commencement du
xvic siècle, il n'en est pas de plus connu que Pierre Gringore.
Ce n'est pas que ses ouvrages, dont une partie seulement a été
réimprimée aient trouvé beaucoup de lecteurs dans le grand
public ; c'est à des circonstances extérieures qu'il doit presque
toute sa renommée actuelle. L'auteur de Notre-Dame de Paris
lui a donné, après plus de trois siècles, un regain de popu-
larité, en lui assignant une place dans son livre ; plus récem-
ment Théodore de Banville l'a mis en scène dans une agréable
comédie, qui est restée au répertoire du Théâtre-Français. Il y
a loin, il est vrai, du Gringore de la réalité à celui que nous ont
représenté Hugo et Banville ; l'un et l'autre ont usé des privi-
lèges accordés aux poètes, pour transporter leur héros dans un
temps assez éloigné de celui où il a vécu et pour lui prêter
des aventures romanesques.
Deux gravures extraites d'un des ouvrages de Gringore, gra-
vures que la direction de ïArt a bien voulu faire reproduire,
nous fournissent l'occasion de dire quelques mots de la carrière
dramatique de ce curieux auteur. Il importe de fixer tout d'abord
l'époque à laquelle il a vécu.
I
Nous ignorons la date exacte de la naissance de Gringore ;
nous savons seulement qu'il était Normand2. Le plus ancien de
ses ouvrages, portant une date certaine, le Chasteau de Labour,
parut en 1499, mais il est probable que, depuis plusieurs années,
il composait avec succès des pièces de théâtre. On verra en
effet plus loin, que, dès 1501, il fut chargé par les magistrats
parisiens de composer un mystère pour une entrée solen-
nelle ; il fallait qu'il fût dès lors chef de troupe et qu'il se fût
fait un nom comme « compositeur ». Il est permis de croire
qu'il avait bien trente ans à cette époque ; il avait dû naître, par
conséquent, vers 1470.
Le seul renseignement biographique précis que nous possé-
dions sur Gringore a été extrait par M. Jal des registres de
l'église Saint-Jean-en-Grève, à Paris. Notre poète y contracta
mariage avec Catherine Roger le 30 mai 151S3; il devait alors
approcher de la cinquantaine. En 1527, Gringore publia ses
Notables, Enseignemens, Adages et Proverbes, ainsi que la
seconde édition de ses Heures. Nous ne savons plus rien de sa
vie à partir de cette année.
Gringore prend sur le titre, ou à la fin de plusieurs de ses
ouvrages, le surnom de « Mére Sotte ». Il suffit de renvoyer aux
Folles entreprises (éd. de Pierre le Dru, à Paris, 1505 4), aux
Abus du Monde (éd. de Rouen, s. d., mais vers 1509), aux Fan-
taisies de Mére Sotte (1516) et aux Menus Propos de Mére Sotte
(1521). Notre poète appartenait donc à la confrérie des « Sotz »
parisiens.
Cette confrérie, fort mal connue, paraît avoir succédé à
l'association des En/ans ou Galans sans soucy, dont nous per-
dons la trace à la fin du xv° siècle 5. Les « Sotz » avaient à leur
tète un « prince », qui était un des suppôts du « Roy de la
Bazoche » et qui avait séance au parquet de la justice lorsqu'il
s'y trouvait. Ce détail, qui nous est révélé par Miraulmont6, est
confirmé par les pièces du célèbre procès qui eut lieu, au com-
mencement du xvnc siècle, entre Angoulevent et les Confrères de
la Passion. Une pièce imprimée en 1607 porte le titre suivant :
Arrest du Royaume de la Basoche donné au profit du sieur d'An-
goulevent, valet de chambre du Roy, prince des Sots et premier
chef de la sottie de l'Hostel de Bourgongne et Isle de France, etc.
Les Sots, comme le montre le titre que nous venons de rap-
porter, étaient dans la dépendance de la Bazoche, tandis qu'ils
traitaient avec les Confrères de la Passion sur le pied de l'égalité.
C'étaient eux qui représentaient les sotties et les farces qui
accompagnaient les mystères, joués par les Confrères. Les Sots
possédaient, à ce que nous apprend un acte de 1543 7, une
maison dite des « Sotz attendans », sise rue Darnétal. C'était là,
ainsi que le nom l'indique, qu'ils se réunissaient quand ils
devaient prêter leur concours aux Confrères, dont le théâtre était
à proximité. Ceux-ci jouèrent en effet, jusqu'en 1559, à l'hô-
pital de la Trinité, situé à l'angle de la rue Saint-Denis et de
la rue Darnétal8.
Les Sots donnaient également des représentations compo-
sées tout entières de pièces de leur répertoire, ainsi qu'on le
voit par les mystères et autres productions de Gringore, dont
nous donnons plus loin la liste, et notamment par le Jeu du
Prince des So/f donné aux Halles de Paris en 1512. Parfois
aussi, ils parcouraient la province, comme nous l'apprend une
requête inédite de Jean du Pont-Alais, adressée en 1529 ou
1. MM. Charles d'Héricault et Anatole de Montaiglon ont publié, en 1858, le tome des Œuvras complètes de Gringore. Cette publication, interrompue
pendant vingt ans, est reprise en ce moment par les soins de MM. de Montaiglon et de Rothschild.
2. Il devait être de Caen, comme semblent le prouver les documents réunis par l'abbé de la Rue, Essais historiques sur les bardes, les jongleurs et les
trouvères normands et anglo-normands, III, 344-5,18.
3. Jal, Dictionnaire critique, 2° édit., 1317.
4. Le même titre nous apprend que Gringore demeurait alors « près du bout du pont Nostre Dame •>.
5. La manière dont Marot parle des « Enfans sans soucy » dans la célèbre ballade qu'il leur a consacrée (édit. Jannct, II, 6i) pCrnlét de penser que, au
commencement du xvi» siècle, ce nom ne désignait plus une association particulière, mais s'appliquait à tous ceux qui aimaient à « saulter, danser, chanter al'advan-
tage » et que leur goût entraînait vers le théâtre.
6. Recueil des statuts, ordonnances, etc., du Royaume de la Basoche (Paris, 1654, in-S), ap. Fabro, Études historiques sur les clercs de la Basoche
(Paris, 1856, in-8), 148.
7. Yoy. Recueil des principaux Tiltres concernant l'acquisition de la propriété des masure et place où a esté bastic la maison appelée vulgairement l'Hostel
de Bourgongne... (Paris, 1632, in-4), 9-23 ; — Félibicn, Histoire de Paris, Preuves, III, 781-78?. Cf Histoire du Théâtre François, I, 55 ; — Douhet, Dictionnaire
des Mystères, 640.
8. En 1539, les Confrères furent forcés de quitter l'hôpital de la Trinité; ils s'établirent alors à l'hôtel de Flandres, près de h rue Coquillièrc actuelle, mais
leur nouveau théâtre fut démoli en »"543. Leur installation à l'hôtel de Bourgogne, rue Mauconseil, date de l'année 1548.
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