Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 1)

DOI Artikel:
Jouret, Théodore: L' oeuvre de Rubens à l'Ermitage impérial de Saint-Pétersbourg
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.16908#0257
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
222

L'ART.

somnolente, étalant sans vergogne ses larges flancs aux plis graisseux, ses mamelles puissantes et
gonflées de lait, où s'accrochent, de leurs lèvres avides, deux enfants suspendus comme des bou-
quetins aux pis d'une chèvre ; et ce joli fond rustique, une vigne que grappille une bande d'aegi-
pans et où maraudent des panthères.

Ce qu'il faudrait surtout montrer, pour justifier les hardiesses de cette conception et pour en
faire triompher les témérités heureuses, c'est l'exécution serrée et magistrale de ce merveilleux
tableau. Autant la pensée s'abandonne à toute la fougue de l'imagination, autant la main a de
calme et de sûreté, autant la facture a de souplesse facile, de recherches caressantes, de gaieté
sereine et radieuse.

Le souvenir ineffaçable de la Bacchanale de l'Ermitage m'est venu à l'esprit, quand j'ai lu
l'admirable étude de Fromentin sur Rubens :

« A les bien comprendre, il y a une gloire, on entend un cri de clairon dans ses œuvres les
plus grossières. Il tient fortement à la terre, il y tient plus que personne parmi les maîtres dont
il est l'égal ; c'est le peintre qui vient au secours du dessinateur et du penseur, et qui les dégage.
Aussi beaucoup de gens ne peuvent-ils le suivre dans ses élans. On a bien le soupçon d'une
imagination qui s'enlève. On ne voit que ce qui l'attache en bas, dans le commun, le trop réel,
les muscles épais, le dessin redondant ou négligé, les types lourds, .la chair et le sang à fleur de
peau. On n'aperçoit pas qu'il a cependant des formules, un style, un idéal, et que ces formules
supérieures, ce style, cet idéal sont dans sa palette »

Et plus loin, ce jugement si vrai, si exact dans sa nette concision :

« Il est inégal et dépasse la mesure ; il manque de goût quand il dessine, jamais quand il
colore 2. »

Notre visite aux Rubens de l'Ermitage s'est attardée devant ce chef-d'œuvre, qui vous
captive et vous retient encore par sa conservation prodigieuse : nous ne pouvons cependant passer
trop rapidement devant cette grande et superbe étude d'animaux : Lionne couchée entre deux
lions. On sait avec quel plaisir Rubens peignait les animaux : les fauves surtout, qui le sédui-
saient par la gracieuse hardiesse des mouvements, par la majesté des attitudes, par le pelage
soyeux ou les crinières touffues, d'amusants prétextes de facture, de vrais régals de palette. La
palette, il est vrai, n'a pas ici tout son éclat accoutumé ; et le coloris, puissant, a plus d'intensité
profonde que de rayonnement lumineux. Nous n'avons pourtant pas affaire à une de ces chasses
fougueuses, où, à travers la part des collaborateurs de l'atelier — des disciples qui s'appellent
Snyders, entre autres — se reconnaît la main du maître : ici, le maître est seul ; et, réserve
faitè de la coloration un peu étouffée, il y est tout entier, dans le choix de l'attitude de cette
formidable lionne, à la paresse dédaigneuse; cette belle étude montre mieux qu'une observation
attentive des fauves en quelque royale ménagerie d'Espagne ou d'Angleterre; elle révèle comme
une intuition du caractère, du mouvement de leur vie sauvage en plein désert.

Nous voudrions aussi parler, si la place n'allait nous manquer, des nombreuses esquisses et
études qui complètent la part du Musée de l'Ermitage dans l'œuvre colossal de Rubens. Signalons
du moins cinq esquisses originales de la série des Médicis, cette grande œuvre décorative qui est
passée du Luxembourg au Louvre, et dont les idées ou maquettes premières ont été recueillies
dans quelques musées, à Munich surtout. Nous glisserons aussi rapidement sur les esquisses du
plafond de Whitehall (Apothéose de Jacques Ier) et sur les projets d'arcs de triomphe, de portes
monumentales, cinq panneaux brossés avec une maestria superbe pour l'entrée, à Anvers, du
cardinal-infant Ferdinand, en 163y. Une de ces esquisses, le Temple de Janus, est une merveille
de conception prime-sautière et de fougueuse improvisation 3.

L'Ermitage possède quinze portraits de Rubens ; quelques-uns ne sont que des bustes
esquissés, des études plus ou moins achevées. Parmi celles-ci nous noterons une tête de vieillard,

1. Fromentin, les Maîtres d'autrefois, i" édition, page 48.

2. Fromentin, les Maîtres d'autrefois, irc édition, page îjj.

}. Ces esquisses viennent de la galerie Walpole; elles ont été gravées sur cuivre et publiées, avec la description des fêtes, dans un ouvrage
devenu très-rare.

«
 
Annotationen