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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 1)

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Michel, André: Le Salon de 1884, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0214
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i84 ■ L'ART.

figures aériennes dont le mouvement est si gracieux sont engoncées clans un sac de plomb ;
l'architecture du portique central est étriquée. Mais l'impression totale est si forte et si doucement
persuasive, que l'envie de critiquer diminue à mesure qu'on regarde davantage et qu'on en vient
à se demander si l'on ne romprait pas le charme en changeant un seul détail de cet ensemble,
systématiquement ordonné, et dont toutes les parties se commandent, dont toutes les notes
s'appellent et se répondent clans une pénétrante harmonie.

M. Puvis de Chavannes, comme tous les artistes personnels, ne saurait être imité. Lui seul
peut imposer au public les procédés dont il se sert pour exprimer ses rêves ; et le devoir de la
critique, même la plus touchée de son charme subtil et de sa poésie profonde, serait de s'élever
avec la dernière énergie contre des plagiaires qui ne sauraient lui emprunter que ses formes
extérieures sans l'âme qui les anime et les remplit. Il est dans notre école une singulière et
attachante exception. Sans s'être jamais attaqué à la vie contemporaine, il a cependant exprimé
un idéal très moderne, et la nuance de sa rêverie est si bien en harmonie avec nos sentiments
que notre génération Ta acclamé comme un de ses poètes et Ta défendu quand même contre
ses détracteurs.

UÉté de M. R. Collin est d'une inspiration fort différente mais d'une grâce très délicate et
d'un sentiment bien moderne. Ces baigneuses debout ou paresseusement étendues sur le pâle
gazon d'un parc, plongeant dans les buées grises du matin leurs corps souples et blonds, fine-
ment modelés sous les caresses de la lumière diffuse, nonchalamment drapées dans des étoffes
à la dernière mode, n'aspirent pas au rang de Déesses ou de Muses. Il leur suffit d'être jolies et
d'offrir aux regards, dans un concert de verts cendrés, de roses pâles, de bleus fondus et
d'orangés discrets qui chantent en sourdine, le sourire de leur beauté. Ce n'est pas l'Olympe, ni
le Parnasse, mais le rêve délicatement voluptueux d'un épicurien aimable, flânant, un cigare aux
lèvres, sur la terrasse du bord de l'eau, par un beau soir d'été. M. R. Collin n'en est certes plus
à ses débuts, mais nous ne croyons pas qu'il ait encore rien exposé d'aussi réussi que ce gracieux
panneau.

Il y a aussi une belle entente de la décoration et comme une gaieté voluptueuse partout
épanclue dans la Bonne Aventure de M. Escalier, architecte et peintre. Sur les degrés en marbre
d'un palais Louis XIII, dont les briques d'un rouge légèrement atténué soutiennent les fonds
sans les écraser, un brillant cortège de mousquetaires, de dames et de seigneurs, où l'on regrette
cependant la présence d'un homme en deuil, descend à la rencontre d'une troupe de Bohémiens,
fièrement campés sous un péristyle à colonnade et attendant le signal de la représentation. Un
valet étend le tapis qui servira à cet effet et dont les riches colorations maintiennent au premier
plan l'équilibre de l'ensemble. Les marbres blancs, les colonnes de porphyre, les verts, les
roses, les blancs satinés des costumes, les verdures des arbres du parc et les fleurs des plantes
grimpantes sont fraternellement enveloppés clans la lumière vibrante qui tombe d'un ciel joyeux,
où l'azur brille dans des effluves d'argent en fusion. Les panneaux de droite et de gauche sont
très habilement reliés à la scène centrale qu'ils continuent, et l'œil mis en belle humeur par
cette fête de tons clairs passe condamnation sur les à peu près d'un dessin non exempt
d'aimables négligences.

Mais hélas, ce n'est point toujours fête. Ces beaux seigneurs et les dames qui leur donnent
la main ne doivent pas être unis par les liens légitimes du mariage. Ils ne seraient plus si gais,
s'il faut en croire M. Perrault, auteur d'un Mariage devant la loi, pour l'hôtel de ville de
Poitiers. Le futur conjoint tend la main avec un visible effort et comme pour une opération
chirurgicale. Ce tableau sec, quoique fade, réjouira l'ombre de Picot, mais il mêlera une note
funèbre à tous les cortèges de noce qui défileront devant M. le maire de Poitiers.

S'il est toujours pénible de constater à quel point sont rares les peintres qui ont l'air de
peindre pour leur plaisir, il est surtout navrant de lire, dans la touche molle et comme ennuyée
d'une peinture décorative, le témoignage d'une morne indifférence. L'influence de l'État est à ce
point de vue déplorable et il découvre immanquablement, quand il a quelque commande à distri-
buer, l'atelier le plus gris, le sous-sol académique le plus froid.
 
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