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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 1)

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Michel, André: Le Salon de 1884, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0213

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I

LE SALON DE 1884. . 183

sévères pour M. Puvis de Chavannes me paraissent s'être arrêtés aux aspérités extérieures de sa
manière très volontaire, et n'avoir pas rendu justice à l'inspiration qui soutient ses nobles travaux.
Je suis de ceux qui ont subi le charme de ses grandes pages décoratives au point de passer
très aisément condamnation sur les fautes d'orthographe qu'on se plaît à y relever; et si jamais le
doute entrait clans mon esprit, une promenade au Panthéon suffirait à rassurer ma conscience.

M. Puvis de Chavannes voit la nature en fresque, sans ombres, à travers le brouillard léger
et dans l'éloignement d'un rêve. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas le détail de la forme, les souplesses
du modelé, les accidents anecdotiques de la vie; toutes ses pensées vont à la synthèse, toutes
ses prédilections aux grands spectacles, graves et tranquilles. Il n'emprunte à la nature que ses
lignes essentielles; il ne cherche pas à lutter avec elle, de relief, de couleur ou de mouvement;
il ne voit, dans une attitude, que les contours décisifs; il ramène à l'unité de quelques tons
simples et très doux les jeux infinis de la lumière. Dans le répertoire des formes et des couleurs,
il choisit, par une opération naturelle de son esprit porté à la simplification extrême, celles-là
seulement dont il a besoin pour traduire le rêve intérieur; rêve de littérateur ou de poète encore
plus que de peintre.

Il s'est formé lui-même; la langue qu'il parle, personne ne la lui a apprise; elle est sortie
des besoins les plus intimes de son âme d'artiste, elle en est l'expression nécessaire, et c"est de
cette nécessité qu'elle tire sa persuasive éloquence, faite d'austérité et de douceur, mélange
singulier et attachant de la volonté et du rêve. Il est assurément permis de regretter que
M. Puvis de Chavannes n'ait pas été placé plus longtemps, à l'âge où l'on peut être encore un
écolier docile, en face de la nature vivante, qu'il ne se soit pas rendu plus familier au jeu
compliqué de ces formes, qu'il n'ait pas assoupli sa main à la notation aisée de leurs éléments
constitutifs et de leurs combinaisons changeantes. 11 recueillerait aujourd'hui le bénéfice de cet
apprentissage dans une justesse plus infaillible de l'œil, dans une perception plus nette du trait
essentiel, indispensable surtout dans ces résumés synthétiques. A ceux pourtant qui lui refusent
toute science du dessin, je rappellerai les études à la sanguine, exposées il y a quelques mois à
l'École des Beaux-Arts ; et je demanderai s'il ne serait pas équitable de chercher ailleurs que
dans son « ignorance » la cause de ces simplifications hasardées qu'on lui reproche si souvent.
Chez combien d'artistes — j'entends parmi les plus grands — l'idéal ne s'est-il pas exprimé par
certaines déformations inconscientes ou systématiques de la réalité, toujours reconnaissable et
présente cependant dans ces interprétations volontaires?

Le Bois Sacré, où M. Puvis de Chavannes nous introduit cette année, n'est marqué sûr
aucune carte, et les naturalistes protestent qu'il ne figure pas dans leur géographie. Un grand
lac y reflète un ciel d'or, dont une mince bande paraît seule au-dessus d'une ligne de montagnes
d'un bleu violacé, qui ferme l'horizon. Entre ces deux notes, largement vibrantes, du bleu des
montagnes et des eaux dorées du lac, des prairies s'étendent en pentes douces constellées de
fleurs rares, narcisses jaunes et blancs, d'arbres aux troncs droits et grêles, pins, chênes et
lauriers-roses. Au fond de la vallée, s'enfoncent et moutonnent les frondaisons plus sombres d'un
bois épais. Placez-vous au fond de la salle et laissez opérer le charme. Une harmonie douce,
enveloppante, vous pénètre lentement, et les figures qui peuplent ces régions de rêve apparaissent
alors comme des hôtes attendus. Elles sont groupées au pied d'un double portique d"ordre
ionique, étendues au bord du lac, assises ou debout sur le pâle gazon qu'elles foulent à peine.
Elles sont nées pour la contemplation et pour le rêve; l'une montre de son bras levé les hauteurs;
l'autre, le menton clans la main, dans une attitude de rêverie exquise, écoute et médite; une
troisième, assise, montre sur un rouleau étendu ces mots écrits comme un appel : Arma
virumque cano. Des éphèbes apportent des fleurs ou tressent des couronnes de laurier. Rien de
vulgaire ou de bas ne saurait approcher de cette retraite heureuse où les pensées nobles, viriles
et sereines semblent flotter dans l'air. Une impression indicible se dégage; un mystérieux
apaisement remplit ce paysage d'une solennité douce. Un poète seul a pu le rêver et le peindre.

La première impression, cependant, ne va pas sans protestations : le dessin de quelques
figures est par trop insuffisant : l'attache du bras levé de la Muse est impossible ; les deux
 
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