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Arty, ...: Psyché et l'Amour par Paul Baudry
DOI Seite / Zitierlink: https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0221
PSYCHÉ ET L'AMOUR
PAR PAUL BAUDRY
k qui fait la modernité, le charme pénétrant
d'une œuvre d'art, c'est beaucoup moins le sujet
et le modèle choisis par le peintre que les
sentiments et les nuances de sensibilité avec
lesquels il les a vus, sentis, exprimés. C'est ce
qu'il a mis de son âme et de sa personnalité
dans son œuvre qui en fait la saveur et la
valeur à la fois documentaire et artistique.
Tout le reste n'est qu'extérieur, artificiel et
négligeable. »
Voilà ce qu'écrivait ici même M. André
Michel il y a quinze jours, pour défendre
les vraies libertés de l'art en un temps où
un réalisme exclusif veut proscrire l'imagi-
nation et la poésie, et emprisonner l'artiste
dans le cercle étroit des sujets actuels. Il y
a en effet deux sortes de modernités, l'une,
qui se réduit à la copie servile de la réalité
du jour et qui dans son mode d'expression
Lettre composée pour l'Art par François Ehrmann, gravée par Dumont.
n'est pas moins conventionnelle que la tra-
dition surannée; l'autre, qui accepte tous les temps et tous les motifs, mais en les pénétrant d'un
sentiment personnel qui répond aux aspirations et aux besoins esthétiques de l'époque. Cette
seconde manière est celle de M. Baudry. Sa dernière œuvre, Psyché et l'Amour, n'a certes rien
de contemporain quant au sujet ; aucune fiction mythologique ne semble plus usée et plus banale
que cette liaison du dieu Éros avec une simple mortelle. Et cependant le maître a rajeuni,
renouvelé cette vieille légende; il en a fait un délicieux hymne d'amour que les Grecs de Périclès
et les néo-grecs de Médicis auraient accueilli sans dédain et qui pourtant porte l'empreinte vive
et nette du xixe siècle. D'une part, en effet, Baudry est le servant respectueux et convaincu de
la beauté vivante telle qu'on la comprenait dans la grande époque de l'art antique, au temps du
naturalisme sincère et vrai, avant que la recherche du style pompeux eût altéré la naïveté
primitive du génie grec ; il se rattache aussi à la Renaissance par ce même amour de la forme
animée et de la sincérité plastique, qui le préserve du maniérisme et de la formule académique.
D'autre part, il est moderne entre les plus modernes par un sens exquis de la grâce contempo-
raine, par un dessin nerveux et distingué, plein de fine sensibilité, par l'envolement des
draperies ballonnantes et aériennes, par une coloration claire et lumineuse, dont les fresques
des chambres vaticanes nous révèlent l'origine lointaine, poussées, sans le contraste facile des
ombres, dans la liberté du plein air, jusqu'à sa plus haute puissance d'intensité.
Tout cela éclate dans Psyché et l'Amour. Sur la terrasse d'un temple magique, où mène un
escalier en onyx dont on n'aperçoit que les deux marches supérieures, se dresse un lit de repos
en bois précieux incrusté d'ivoire, couvert d'étoffes de soie. Sur ce lit Cupidon et Psyché enlacés,
lui assis, les jambes croisées, livrant aux caresses de la lumière la nudité satinée de son corps
PAR PAUL BAUDRY
k qui fait la modernité, le charme pénétrant
d'une œuvre d'art, c'est beaucoup moins le sujet
et le modèle choisis par le peintre que les
sentiments et les nuances de sensibilité avec
lesquels il les a vus, sentis, exprimés. C'est ce
qu'il a mis de son âme et de sa personnalité
dans son œuvre qui en fait la saveur et la
valeur à la fois documentaire et artistique.
Tout le reste n'est qu'extérieur, artificiel et
négligeable. »
Voilà ce qu'écrivait ici même M. André
Michel il y a quinze jours, pour défendre
les vraies libertés de l'art en un temps où
un réalisme exclusif veut proscrire l'imagi-
nation et la poésie, et emprisonner l'artiste
dans le cercle étroit des sujets actuels. Il y
a en effet deux sortes de modernités, l'une,
qui se réduit à la copie servile de la réalité
du jour et qui dans son mode d'expression
Lettre composée pour l'Art par François Ehrmann, gravée par Dumont.
n'est pas moins conventionnelle que la tra-
dition surannée; l'autre, qui accepte tous les temps et tous les motifs, mais en les pénétrant d'un
sentiment personnel qui répond aux aspirations et aux besoins esthétiques de l'époque. Cette
seconde manière est celle de M. Baudry. Sa dernière œuvre, Psyché et l'Amour, n'a certes rien
de contemporain quant au sujet ; aucune fiction mythologique ne semble plus usée et plus banale
que cette liaison du dieu Éros avec une simple mortelle. Et cependant le maître a rajeuni,
renouvelé cette vieille légende; il en a fait un délicieux hymne d'amour que les Grecs de Périclès
et les néo-grecs de Médicis auraient accueilli sans dédain et qui pourtant porte l'empreinte vive
et nette du xixe siècle. D'une part, en effet, Baudry est le servant respectueux et convaincu de
la beauté vivante telle qu'on la comprenait dans la grande époque de l'art antique, au temps du
naturalisme sincère et vrai, avant que la recherche du style pompeux eût altéré la naïveté
primitive du génie grec ; il se rattache aussi à la Renaissance par ce même amour de la forme
animée et de la sincérité plastique, qui le préserve du maniérisme et de la formule académique.
D'autre part, il est moderne entre les plus modernes par un sens exquis de la grâce contempo-
raine, par un dessin nerveux et distingué, plein de fine sensibilité, par l'envolement des
draperies ballonnantes et aériennes, par une coloration claire et lumineuse, dont les fresques
des chambres vaticanes nous révèlent l'origine lointaine, poussées, sans le contraste facile des
ombres, dans la liberté du plein air, jusqu'à sa plus haute puissance d'intensité.
Tout cela éclate dans Psyché et l'Amour. Sur la terrasse d'un temple magique, où mène un
escalier en onyx dont on n'aperçoit que les deux marches supérieures, se dresse un lit de repos
en bois précieux incrusté d'ivoire, couvert d'étoffes de soie. Sur ce lit Cupidon et Psyché enlacés,
lui assis, les jambes croisées, livrant aux caresses de la lumière la nudité satinée de son corps