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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 10.1884 (Teil 1)

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Heulhard, Arthur: Le théatre contemporain, [2]: Adolphe Dupuis
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https://doi.org/10.11588/diglit.19701#0148

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En ce temps-là, les habitués de la Comédie-Française étaient pour la plupart de
joyeux et spirituels maniaques. M. de Lamothe-Langon, sous prétexte qu'il ne dormait
pas la nuit, distribuait aux voisins des bonbons à l'opium qui les induisaient en ronfle-
ments sonores; Barba, le grand père de l'homme aux livraisons jaunes, contait des
histoires étonnantes sur Lekain et rappelait l'époque où il jugeait ainsi les débuts de
Talma : « Le petit Talma est gentil ! » Le banquier Vernes avait loué la stalle la plus
rapprochée de la porte du couloir pour se donner l'innocent plaisir de gémir très poliment
vingt fois par soirée : « Fermez donc la porte, je vous en supplie ! ce courant d'air est
insupportable. » Tant et si bien que l'administration lui offrit une autre stalle qu'il
refusa énergiquement, tenant à faire la police de la ventilation. Le même Vernes avait
déposé entre les mains du placeur un jeu de perruques de diverses formes et couleurs
dont il se coiffait alternativement, selon la vivacité des courants d'air et le cours des
saisons : apparaissant pendant la même représentation, à huit heures, avec des cheveux à
la Titus ; à neuf, avec des canons à la Louis XIV ; à dix, avec des crinières blondes de
paysan breton; à onze, avec une cadenette. Un ancien garde du corps, M. de Saint-Cry,
qui mourut fou comme il avait vécu, venait au théâtre avec des béquilles, alléguant pour
raison « que cela lui était plus commode » ; étant en réalité merveilleusement ingambe,
il laissait ses béquilles au vestiaire, s'allait cacher au plus profond des loges du cintre
dites bonnets d'évêque, braquait sur le lustre une magnifique sarbacane, et, gentiment,
doucement, à tête reposée, soufflait dans l'huile des grains de cachou qui rejaillissaient
en gouttes minuscules sur le crâne luisant des bourgeois.

Notez toutefois que ces gens bizarres étaient de grands clercs en matière d'art
dramatique, entendant admirablement ce qu'il leur plaisait d'écouter, écoutant aussi bien
ce qu'il leur convenait d'entendre, et juges souvent consultés par la critique et les artistes.
Un soir de 1845, qu'on jouait Phèdre et que leurs regards étaient tournés vers la scène,
ils virent arriver dans le costume d'Hippolyte, fils de Thésée et d'Antiope, reine des
Amazones, un jeune homme fort long et fort maigre qui avait pris les choses tout à fait
au noir et qui, trop plein de l'idée que la Grèce lui reprochait « une mère étrangère »,
roulait sous des sourcils farouches des yeux de cipaye révolté. Nos censeurs, qui dévoraient
les débutants tout crus, ouvrirent d'abord des mâchoires à ne faire qu'une bouchée du
pauvre Hippolyte, mais ils aimèrent mieux en rire : M. Vernes alla changer de perruque,
M. Barba corna des anecdotes inédites à l'oreille du voisin et M. de Saint-Cry redoubla
de projectiles oléagineux. Cependant l'accent d'obsession et d'impatience qu'Hippolyte mit
dans certains vers-de sa déclaration à la triste Aricie :

Présente, je vous fuis; absente, je vous trouve ;
Dans le fond des forêts votre image me suit,

réveilla des souvenirs chez Lamothe-Langon qui ne dormait pas et qui alla féliciter
Hippolyte, non d'avoir réussi, certes, mais de lui avoir rappelé par endroits le grand

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Encadrement composé et dessiné pour « l'Art » par John Watkins.

Tome XXXVI.

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