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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 14.1888 (Teil 2)

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'94

L’ART.

jamais la critique d’art : je trouve sa signature au bas du
Salon de sculpture de 1880 inséré dans la Galette; n’était-
ce pas affirmer et la liberté de son esprit et son dédain
pour les préjugés de certaine coterie qui interdit à l’homme
de science de jamais sortir de sa spécialité, sous peine de
déchoir ?

Cependant le talent de Rayet s’affirmait rapidement ;
ses connaissances s’élargissaient en même temps que son
jugement gagnait en autorité. En 1866, à peine âgé de dix-
neuf ans, il se présentait à l’Ecole normale (tandis que je
prenais bourgeoisement le chemin de l’Ecole de droit), et
y entra dans un rang honorable, pour en sortir, trois ans
plus tard, le premier de sa section. Ce succès, sur lequel,
dans sa modestie, il ne comptait pas, lui donna la foi en
lui-même ; il développa aussi par contre-coup les qualités
et les défauts de son caractère, je devrais dire les défauts
de ses qualités, car celles-ci étaient si grandes qu’elles
devaient forcément détonner dans notre société contem-
poraine si terriblement bour-
geoise ; nature méridionale, ardent
dans ses amitiés et dans ses anti-
pathies, passionné pour tout ce
qui s’appelait justice ou vérité, il
sut se créer de précieuses amitiés,
de même qu’il froissa bien des
susceptibilités. Une lettre viru-
lente qu’il m’écrivit en 1867, au
moment du licenciement de
l’Ecole normale, témoignait dès
lors de ces dispositions d’esprit.

Sa nomination à l’Ecole
d’Athènes lui ouvrit, au sortir de
l’Ecole normale, la carrière pour
laquelle il se sentait décidément
la plus incontestable vocation :
l’étude de l’histoire, de la géo-
graphie et de l’art des anciens.

11 partit au mois de septembre ou
d’octobre 1869, dans une fièvre
d’enthousiasme et aussi avec une
netteté de vues dont la lettre ci-
dessous reproduite nous fournit
un intéressant témoignage :

« Samedi, 4 septembre 1869.

— Mon cher ami, j’en ai fini avec
le dernier examen que je passerai
de ma vie, et fini très heureuse-
ment, puisque je suis premier.1

La place n’est pas indifférente : à l’agrégation le premier est
de droit, s’il le demande, membre de l’Ecole d’Athènes.
Or, il y a toutes sortes d’avantages à faire partie de l’Ecole
d’Athènes : d’abord on a trois ans de travail libre devant
soi; puis on voyage en Orient ou en Italie. Ainsi, je vais
passer au ministère et faire régler ma situation le plus tôt

possible.Je ne crois pas qu’il y ait grand’chose à faire

en Grèce à présent. Qu’en dis-tu? Tout a été fouillé et
refouillé par les Allemands et les Français. Quant à
l’Orient, il est à peu près inabordable, à moins d’être
un Crésus.

« Aussi, si la chose est possible, je n’irai passer que
six mois à Athènes et à Constantinople ; je passerai ce
temps à me promener de ci et de là, puis, quand l’envie
me viendra de travailler sérieusement, je reviendrai à
Rome et je m’y établirai à demeure. Si tu y viens l’an
prochain, tu m’y trouveras et nous courrons ensemble
1 Italie du centre, ce qui n’est pas la partie la moins
curieuse, tout au contraire. Au reste, j’espère bien que
nous nous verrons avant ; je ne voudrais pas en effet par-

Aphrodite.

Vase à parfums trouvé à Kertch. (Musée de l’Ermitage.)

tir avant deux ou trois mois : encore il me faudra travailler
ferme pour être prêt au bout de ce temps. Il me semble
que tu ne comptais passer que trois mois en Allemagne,
et qu’il y a plus d’un an que tu y es. Ainsi nous aurons
une quinzaine pour nous voir à Paris... — Arrache-toi
une fois à la peinture et au xve siècle pour m’apprendre
un peu tout ça. C’est rue Notre-Dame-des-Champs, 75,
qu’il faut m’écrire maintenant : si tu adressais ta lettre à
l’Ecole, elle m’arriverait moins vite. — Je ferme ma lettre
pour aller faire un tas de visites. C’est bien agréable de
réussir, mais que c’est ennuyeux d'aller l’annoncer! —
Tout à toi, et à bientôt. — O. Rayet. »

Le séjour à Rome, à la Villa Médicis, le ramena pour
un temps aux études d’art, en même temps qu’il le mit en
relation avec une phalange d’artistes distingués, qui tous
devinrent pour lui des amis dévoués. Je citerai en pre-
mière ligne un architecte de grand mérite, M. Thomas,
son futur collaborateur dans la publication du grand
ouvrage sur Milet et le golfe
Lat inique.

Ici encore le lecteur me saura
gré de laisser la parole au jeune
archéologue :

« Rome, mercredi ier décem-
bre (1869). — Mon cher ami, tu
as dû sans doute m’accuser bien
des fois depuis mon départ, pen-
dant que de mon côté je criais
contre toi. Je suis encore le moins
coupable des deux, pour deux
raisons : la première, c’est que
ma maison est un bureau de ren-
seignements tout indiqué où l’on
peut venir savoir de mes nou-
velles ; la seconde, c’est que j’en-
voie à mes parents des lettres de
huit ou dix pages, que j’ai encore
des lettres obligées, j’entends des
lettres d’affaires, à écrire, que je
passe à faire toutes ces épîtres la
matinée entière du mercredi, jour
de départ du courrier de l’Am-
bassade, et que je suis par là ré-
duit à négliger mes amis. C’est,
du reste, le sort des amis d’être
toujours négligés, et leur écrire
rarement est un droit que je ré-
clame avec une énergie d’autant
plus grande que je ne suis p>as bien sur d’avoir raison ;
par exemple, je leur refuse absolument la permission de
m’imiter.—Je t’écris d’une grande chambre, nue, meu-
blée de quelques chaises disloquées, en somme une vraie
chambre de couvent ou de prison. Mais, par la fenêtre,
j’ai une vue superbe sur le beau jardin de la villa, tou-
jours vert, planté qu’il est de lauriers, de chênes verts et
de buis. En cela, du reste, ma chambre ressemble fort à
la villa elle-même, grand édifice où l’habileté de l’archi-
tecte s’est dépensée à perdre le plus d’espace possible et à
éviter tout ce qui pourrait ressembler à un style, mais qui,
grâce à sa situation sur la pente du Pincio, a toute la
Rome moderne à ses pieds ; ajoute à cela qu’il est situé

dans le seul quartier à peu près propre de Rome. Je

suis très bien avec les élèves. Dès le premier soir, ils
m’ont parfaitement reçu, et, dès le lendemain, nous com-
mencions à nous tutoyer; ils sont une vingtaine, tous plus
âgés que moi de quatre ou cinq ans, passablement plus
gamins que nous ne l’étions à l’Ecole normale, de vrais
artisses bons enfants ; je suis très content de me trouver
 
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