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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 15.1889 (Teil 2)

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Hustin, A.: Jules Dupré
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https://doi.org/10.11588/diglit.25868#0177
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L’ART.

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s’habiller, Dupré ouvrit. C’était le baron d’Ivry qui dési-
rait lui acheter quelque chose. Il demanda à voir les
études du débutant ; il les prit, les retourna pendant que
son interlocuteur passait à la hâte un pantalon, fit force
observations mêlées de compliments, coupant ses excla-
mations de moulinets, s’escrimant avec sa canne contre le
mur et expliquant à son auditeur interloqué que cette
rage de l’escrime, qui le poursuivait partout, lui était
venue depuis qu’il avait été blessé dans une rencontre.
Finalement il prit un panneau, puis deux, puis trois, puis
quatre et sortit de son gousset huit louis. Notre baron ne
devait cependant pas s’en tenir là. Il invita Dupré à venir
chez lui, en lui annonçant une surprise. L’artiste fut
exact au rendez-vous. On lui fit traverser des pièces
richement décorées. Puis un rideau s’ouvrit. Sur un che-
valet, dans un cadre battant neuf, s’étalait une de ses
études. Plus loin, rangées, des ébauches. D’Ivry confessa
qu’il était, à ses moments perdus, quelque peu peintre.
Mais il était fâché avec les gris. Il ne savait point les
manier et il en avait abso-
lument besoin pour éclairer
ses essais. Il passa une pa-
lette à Dupré qui s’exécuta
de bonne grâce, et les gris
tant désirés chantèrent bien-
tôt leur hymne discret à la
lumière reflétée !

Pourquoi cet engoue-
ment subit pour un jeune
homme encore inconnu, ne
se recommandant d’aucun
maître, qui arrivait tout
seul, sans parrains, sans
appuis, au moment même
où le romantisme livrait
bataille dans une Exposi-
tion où Delacroix avait mis
sa Liberté, où Ary Scheffer
avait envoyé son Faust, où
Diaz révélait déjà les sono-
rités de sa palette, où De-
camps, Devéria, Roqueplan,

Johannot, affirmaient leur
foi nouvelle ? Comment
allait-on tout droit à ce nou-
veau venu, qui n’avait même
pas concouru pour le paysage historique, au profit duquel,
Valenciennes mort, Bidault combattait encore? L’Institut
n’y comprenait rien ; à l’Ecole des Beaux-Arts on trouvait
encore moins la clef de l’énigme. Mais les passionnés
avaient deviné. Ils s’étaient épris de cette façon nouvelle
d’interpréter les choses ; ils s’étaient sentis transportés
tout d’un coup, brutalement, en pleins champs, loin de
ces inventions à fabriques, où le système remplaçait et la
conviction et la poésie. Us sentaient la fraîcheur de
l’herbe, ils voyaient les arbres frissonner, les terrains
humides et gras céder sous le pas, et de la vraie fumée
monter lentement, d’une masure enfouie sous le chaume,
vers un ciel profond, immense, où roulaient de vrais
nuages.

Un amateur anglais, lord Graves, voulut connaître le
chantre de cette rusticité nouvelle. Dupré alla le voir. Il
visita les environs de Southampton, y prit une kyrielle
d’adorables croquis, poussa jusqu’à Londres, visita la
National Gallery, les collections particulières, et rap-
porta d’un long tête à-tête avec les Constable la conviction
qu’il était dans la bonne voie, dans la vérité, parce qu’il
était d’accord avec la nature.

Il reparut au Salon de 1833 avec un Intérieur de ferme
notamment, vendu 260 fr., qui trouva plus tard, à la vente
de la collection Faure, acquéreur à 20,000 fr., et lui valut
une récompense.

L’été venu, il retourna dans le Berry, emmenant
son frère Victor, Jules André et Troyon, s'arrêtant à un
relais de poste nommé Le Fay. C’était alors une contrée
pleine de beautés sauvages, de pacages primitifs entre-
coupés par des cours d’eau, de grands bois, où paissaient
les bestiaux, non loin des cascades de Montgerno et des
fracas dramatiques de la Creuse.

Il y multiplia les études, peignit la fameuse femme
récurant des chaudrons, qu’il vendit 200 fr. à un papetier
de la rue de Provence, M. Houard, revint à Paris, pour
retourner encore l’année suivante aux environs d’Argenton
et de Châteauroux.

Cette fois, il était seul. Sa solitude lui pesa. Il pressa
un de ses amis qui avait promis de le rejoindre. Cet ami
n’était autre que Théodore Rousseau. Voici le billet qu’il

lui fit « passer » :

Saint-Benoist-du-Sault (Indre).
10 juillet 1834.

J’aurais dû vous e'erire plus
tôt, mon cher Rousseau, mais je
ne me souvenais plus de votre
adresse. Je l’ai demandée à un
ami qui vient de me la faire
passer, et je m’empresse de vous
rappeler la promesse que vous
m’avez faite de venir me prendre
pour aller ensemble faire une
petite excursion jusqu’en Auver-
gne, dont je ne suis éloigné que
d’environ vingt-cinq lieues. Je
vous fais donc passer mon adresse,
espérant bien que vous n’avez
pas changé d’avis et que j’aurai
bientôt le plaisir de vous voir.

Recevez, cher Rousseau, l’as-
surance de mon amitié dévouée.

Jules D upré.

Rousseau ne vint pas
cependant. Il préféra aller
dans les Alpes avec Lorentz,
et Dupré ne le revit plus
que l’hiver, au moment où
il organisait le dîner tradi-
tionnel qui réunissait cha-
que semaine à sa table les
ardents de l’école romantique : Decamps, Ary Scheffer,
Barye, Chenavard, Diaz. Rien de plus animé que ces
amicales réunions où l’on discutait avec feu les incidents
artistiques de la semaine, où l’on se contait mutuellement
ses déceptions et ses espérances, où l’on s’encourageait,
où l’on s’entraînait à la lutte contre l’Institut et ses
lunettes bleues. L’une entre autres est restée longtemps
célèbre. C’est celle où Ary Scheffer conta un mot immense
de M. Ingres. Le peintre de Faust était allé voir le Saint
Symphorien, achevé de la veille. Après quelques banalités
de circonstance, Scheffer risqua timidement une observa-
tion sur la longueur des bras de la mère du martyr. Gra-
vement, M. Ingres lui répondit : « Les bras d’une mère
qui bénit son fils marchant à la mort ne sont jamais trop
longs ! » Ce trait eut, au dîner de Dupré, un succès colos-
sal et il est trop caractéristique pour qu’on ne nous
absolve pas d’avoir, en passant, ramassé cette miette de
l’histoire.

Cependant, le Salon de 1835 approchait. A côté de ses
pacages limousins, Dupré désirait voir figurer une page
d’une note différente. Il envoya les Environs de Sout-
hampton, vendus à l’époque 5oo fr. au sculpteur Fratin,

Le dernier portrait photographié de Jules Dupré.
Dessin de Lucien Laurent-Gscll.
 
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