L’Atelier de Jules Dupré, a l’Isle-Adam.
Dessin de E. Hugard.
JULES
Le 6 octobre dernier, à onze heures un quart du soir,
mourait, à l’Isle-Adam, le dernier représentant de cette
pléiade héroïque qui, vers i83o, avait ouvert des voies
nouvelles à l’art français. Il mourait, presque le pinceau à
la main, après une existence singulièrement remplie, à
l’âge de soixante-dix-huit ans, six mois et un jour.
Jules Dupré était né en effet à Nantes (Loire-Infé-
rieure), le 5 avril 18 11 L Son père, François Dupré, était
originaire de l’Isle-Adam. De bonne heure, il avait
renoncé à la peinture pour se consacrer à l’exploitation
d’une fabrique de porcelaines créée à Parmain, localité
voisine, dont la résistance aux éclaireurs allemands, pen-
dant la guerre de 1870, devait plus tard rendre le nom
célèbre. Il avait élevé son fils dans la pensée de lui céder
son établissement et, tout jeune, Jules Dupré, ses études
terminées, s’était installé au tour, avait décoré les plats
par lui façonnés1 2. Venu à Paris pour compléter avec Dié-
1. Les notices consacrées à Jules Dupré dans les divers Diction-
naires biographiques, qui font pourtant autorité, le faisant naître en
1812, et les articles que lui ont consacrés les journaux au lendemain
de sa mort répétant cette erreur, nous croyons utile de reproduire
ici son acte de naissance. Le voici :
« L’an mil huit cent onze, le huit avril, à une heure et demie du
soir, devant nous Augustin de Bercy, adjoint et officier de l’État
civil délégué de M. Bertrand Geslin, maire de Nantes, baron de
l’Empire et membre de la Légion d’honneur, est comparu le sieur
François Dupré, artiste, âgé de 3o ,ans, demeurant rue Pétrarque,
n° 4, 5e canton, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin,
né le 5 de ce mois à 8 h. du soir, de lui déclarant et de Élisabeth-
Françoise Gillet, son épouse, âgée de 23 ans, et auquel enfant il
donne les prénoms de Jules Louis. Lesdites déclarations et présen-
tations faites en présence des sieurs Jacques-Louis Mazier, maître
de poste, âgé de 38 ans, demeurant rue Van Dyck, et Joseph Mache-
reau, artiste, âgé de 27 ans, demeurant rue de Miséricorde. Lesquels
ainsi que le père ont signé avec nous le présent acte d’après lecture
leur faite. )>
2. Jules Dupré avait conservé un de ces plats avec décors poly-
chromes. Il existe encore aujourd’hui à l’Isle-Adam.
DUPRÉ
bold son éducation artistique, il avait continué ce travail
de décoration. Il était entré dans l’atelier de son oncle,
faïencier comme son père, et y peignait des assiettes, côte
à côte avec Raffet, avec Cabat, avec Diaz qu’on venait
d’amputer de la jambe gauche et qui trouvait que si la
porcelaine était jolie, au dire de Mme Peyrat, elle ne l’était
que « pour faire des castagnettes ». Entre temps, il ornait
de paysages alpestres les coffres des horloges dont on
inondait alors les campagnes, et bientôt l’ambition lui vint
de transporter sur la toile non plus des motifs de conven-
tion systématiquement machinés, mais un coin de vraie
nature.
Les circonstances le servirent. Son père avait été
appelé par le marquis de Bonneval à prendre la direction
d’une manufacture de porcelaine établie à Coussac, dans
le Limousin. Il l’accompagna, risqua diverses études
qu’il vendit plus tard à Mme Hulin et à M. Susse au prix
de 40 fr. l’une et rapporta une toile de quarante, exécutée
au milieu des pacages de la Creuse, dont un architecte,
M. Veugny, se rendit aussitôt acquéreur.
Sa vocation était déterminée. On lui loua une mansarde
au numéro 14, rue Neuve-Saint-Georges, et dès 183 r il
abordait le Salon avec un Intérieur de forêt et une
Entrée de bois pris dans la Haute-Vienne, un Intérieur
de cour peint à Montmorency, une vue de la vallée et un
coin de l’Isle-Adam. La presse ne s’arrêta point à ces
débuts; mais un membre de la famille royale lui acheta
l’un de ses envois ; Ricourt, le directeur de l’Artiste, lui
donna cent francs pour une autre toile, et un soir que
Dupré rentrait, sa concierge l’avertit qu’un monsieur
« fort bien mis », accouru le demander en son absence,
se proposait de revenir le lendemain.
Le lendemain, en effet, et de grand matin, on frappait
à la porte de sa mansarde. Sans prendre la peine de
Dessin de E. Hugard.
JULES
Le 6 octobre dernier, à onze heures un quart du soir,
mourait, à l’Isle-Adam, le dernier représentant de cette
pléiade héroïque qui, vers i83o, avait ouvert des voies
nouvelles à l’art français. Il mourait, presque le pinceau à
la main, après une existence singulièrement remplie, à
l’âge de soixante-dix-huit ans, six mois et un jour.
Jules Dupré était né en effet à Nantes (Loire-Infé-
rieure), le 5 avril 18 11 L Son père, François Dupré, était
originaire de l’Isle-Adam. De bonne heure, il avait
renoncé à la peinture pour se consacrer à l’exploitation
d’une fabrique de porcelaines créée à Parmain, localité
voisine, dont la résistance aux éclaireurs allemands, pen-
dant la guerre de 1870, devait plus tard rendre le nom
célèbre. Il avait élevé son fils dans la pensée de lui céder
son établissement et, tout jeune, Jules Dupré, ses études
terminées, s’était installé au tour, avait décoré les plats
par lui façonnés1 2. Venu à Paris pour compléter avec Dié-
1. Les notices consacrées à Jules Dupré dans les divers Diction-
naires biographiques, qui font pourtant autorité, le faisant naître en
1812, et les articles que lui ont consacrés les journaux au lendemain
de sa mort répétant cette erreur, nous croyons utile de reproduire
ici son acte de naissance. Le voici :
« L’an mil huit cent onze, le huit avril, à une heure et demie du
soir, devant nous Augustin de Bercy, adjoint et officier de l’État
civil délégué de M. Bertrand Geslin, maire de Nantes, baron de
l’Empire et membre de la Légion d’honneur, est comparu le sieur
François Dupré, artiste, âgé de 3o ,ans, demeurant rue Pétrarque,
n° 4, 5e canton, lequel nous a présenté un enfant du sexe masculin,
né le 5 de ce mois à 8 h. du soir, de lui déclarant et de Élisabeth-
Françoise Gillet, son épouse, âgée de 23 ans, et auquel enfant il
donne les prénoms de Jules Louis. Lesdites déclarations et présen-
tations faites en présence des sieurs Jacques-Louis Mazier, maître
de poste, âgé de 38 ans, demeurant rue Van Dyck, et Joseph Mache-
reau, artiste, âgé de 27 ans, demeurant rue de Miséricorde. Lesquels
ainsi que le père ont signé avec nous le présent acte d’après lecture
leur faite. )>
2. Jules Dupré avait conservé un de ces plats avec décors poly-
chromes. Il existe encore aujourd’hui à l’Isle-Adam.
DUPRÉ
bold son éducation artistique, il avait continué ce travail
de décoration. Il était entré dans l’atelier de son oncle,
faïencier comme son père, et y peignait des assiettes, côte
à côte avec Raffet, avec Cabat, avec Diaz qu’on venait
d’amputer de la jambe gauche et qui trouvait que si la
porcelaine était jolie, au dire de Mme Peyrat, elle ne l’était
que « pour faire des castagnettes ». Entre temps, il ornait
de paysages alpestres les coffres des horloges dont on
inondait alors les campagnes, et bientôt l’ambition lui vint
de transporter sur la toile non plus des motifs de conven-
tion systématiquement machinés, mais un coin de vraie
nature.
Les circonstances le servirent. Son père avait été
appelé par le marquis de Bonneval à prendre la direction
d’une manufacture de porcelaine établie à Coussac, dans
le Limousin. Il l’accompagna, risqua diverses études
qu’il vendit plus tard à Mme Hulin et à M. Susse au prix
de 40 fr. l’une et rapporta une toile de quarante, exécutée
au milieu des pacages de la Creuse, dont un architecte,
M. Veugny, se rendit aussitôt acquéreur.
Sa vocation était déterminée. On lui loua une mansarde
au numéro 14, rue Neuve-Saint-Georges, et dès 183 r il
abordait le Salon avec un Intérieur de forêt et une
Entrée de bois pris dans la Haute-Vienne, un Intérieur
de cour peint à Montmorency, une vue de la vallée et un
coin de l’Isle-Adam. La presse ne s’arrêta point à ces
débuts; mais un membre de la famille royale lui acheta
l’un de ses envois ; Ricourt, le directeur de l’Artiste, lui
donna cent francs pour une autre toile, et un soir que
Dupré rentrait, sa concierge l’avertit qu’un monsieur
« fort bien mis », accouru le demander en son absence,
se proposait de revenir le lendemain.
Le lendemain, en effet, et de grand matin, on frappait
à la porte de sa mansarde. Sans prendre la peine de