L’ART DES ACHÉMÉNIDES
LES FRISES ÉMAILLÉES ET LE CHAPITEAU SUSIENS DU LOUVRE'
Il y a cinquante ans à peine, nous ne connaissions de
l’art antique que les admirables créations du génie hellé-
nique. Nous ne soupçonnions pas que de plus vieilles
nations que la Grèce avaient eu un art digne de ce nom,
ni surtout que, dans ses premiers essais, l’art grec s’était
inspiré de leurs exemples et de leurs leçons.
Assurément, la Grèce occupera toujours la première
place parmi les peuples anciens qui ont contribué à l’œuvre
commune de la civilisation. Mieux que les autres, elle a su
exprimer, par le langage et la plastique, ce que l’âme
humaine a senti et pensé de meilleur. En particulier, ses
chefs-d’œuvre de la fin du ve siècle ont mérité, par leur
inimitable perfection, de devenir classiques, c’est-à-dire
d’être proposés comme un éternel sujet d’étude et d’admi-
ration à tous ceux qui ont le culte du beau.
Mais la Grèce n’attire plus seule notre attention; elle
n’a pas tout tiré de son propre fonds, comme on le croyait
autrefois. D’heureuses découvertes, le déchiffrement des
vieilles écritures et les comparaisons de la critique ont
montré que des peuples plus anciens, ceux de l’Egypte et
de la Mésopotamie, avaient, par un long travail, préparé
l’avènement de l’art grec. Nous nous intéressons mainte-
nant à ces peuples qui, pendant quelques milliers d’années,
se sont appliqués patiemment à dégager l’Orient de la bar-
barie primitive. Sans avoir eu d’éducateurs, ils ont consti-
tué les plus anciennes sociétés policées que nous connais-
sions ; et ces sociétés du Nil et de l’Euphrate remontent à
une antiquité qui étonne ; dès les premiers siècles dont le
monde ait gardé quelque souvenir précis, on les trouve
déjà, non au commencement, mais pour ainsi dire au
terme d’un long développement. Memphis et Thèbes, Baby-
lone et Ninive étaient des capitales florissantes, bien avant
qu’aucun aède ne chantât les poèmes immortels d’Homère,
bien avant que rien ne pût faire prévoir que le sanctuaire
de l’art s’élèverait un jour sur un rocher de l’Attique.
A cause de ce long et glorieux passé, les autres peuples
de l’antiquité avaient conservé pour l’Egypte et la Chaldée
une vénération particulière; mais tant de ruines se sont
depuis accumulées sur le vieux sol de l’Orient que, pour
nous, nous ne savions rien de l’Egypte avant la lecture de
la pierre de Rosette, et que, jusqu’aux découvertes de
Rich, de Porter et de Layard, nous ignorions l’emplace-
ment de Babylone et celui de Ninive. Les Egyptiens, les
Chaldéens et les Assyriens ne nous étaient connus que par
les récits, souvent inexacts, de quelques auteurs anciens,
par quelques passages de la Bible et les malédictions des
prophètes hébreux. Nous n’avions aucune idée de l’impor-
tance du travail qu’ils avaient accompli. Aujourd’hui,
nous sommes mieux renseignés. Grâce aux explorations et
à la science des Champollion, des Mariette, des de Rougé,
des Maspéro, des Botta, des Layard, des Rawlinson, des
Oppert, des Ménant et de tant d’autres, les contemporains
des Ourcham et des Sargon, des Ménès et des Sésostris se
sont réveillés de leur long sommeil et nous ont raconté
ce qu’ils ont fait. Maintenant, l’œuvre de ces anciens
hommes nous apparaît colossale, et nous saluons en eux
les premiers ancêtres de notre civilisation européenne.
i. L’extrême abondance des matières nous a forcés, à notre
grand regret, à retarder cette importante étude dont M. C. Gabillot
nous a remis le manuscrit depuis plus de six mois.
(Note de la Rédaction.)
Par l’intermédiaire des Phéniciens et des peuples de
l’Asie Mineure, par le commerce, par la conquête, ils ont
transmis à l’ancien monde toutes sortes d’inventions
utiles, ces procédés techniques, ces secrets de métier, dont
l’acquisition représente une si longue succession d’efforts
collectifs ; ils lui ont transmis surtout les notions pre-
mières des arts et des sciences.
Pour ne parler que de la Grèce, par exemple, qui nous
intéresse à tant de titres, l’Égypte paraît lui avoir donné
ce qu’il y a de religieux et d’élevé dans son art ; elle lui a
appris à étudier la forme nue, étude sans laquelle l’artiste
n’arrive jamais à exprimer librement sa pensée. On recon-
naît son style dans certaines statues grecques archaïques
du viie siècle avant notre ère. Le dorique naissant s’est
inspiré des formes massives de la colonne égyptienne, et,
selon toute vraisemblance, la volute ionique n’est qu’une
transformation du chapiteau lotiforme de l’ancien empire
égyptien. Babylone et Ninive, sans avoir eu une influence
aussi profonde sur l’art grec, ont appris beaucoup à l’or-
nemaniste de l’Ionie : la palmette, la rosace, la fleur de
lotus épanouie entre deux boutons, les griffons, les per-
sonnages ailés, les animaux chimériques à tête humaine,
qu’on trouve sur les vases grecs de style ancien, sont nés
en Mésopotamie; l’ordonnance même de ces motifs de
décoration, les zones de tigres et de boucs qui se déroulent
en procession sur les coupes de Ninive, se retrouve sur
les vases grecs archaïques. Mais c’est surtout en dehors
du domaine des arts plastiques que la Chaldée a légué le
plus de choses à la Grèce et au reste du monde. Sans par-
ler ici de sa cosmogonie, dont celle de la Bible n’est que
le reflet, de ses connaissances astronomiques, de sa divi-
sion du temps, de son système sexagésimal de mesures, en
usage jusqu’à notre système métrique, ne faut-il pas
reconnaître que plusieurs des divinités qui ont reçu les
hommages de l’antiquité ont eu leur berceau sur les bords
de l’Euphrate? Ainsi l’Artémis d’Ephèse; ainsi une autre,
fille de l’Istar chaldéenne, cette Aphrodite qui a inspiré
tant de chefs-d’œuvre; ainsi encore l’Héraklès, qui a pour
ancêtre Isdubar, dont on espère retrouver l’épopée com-
plète dans la ville des livres de briques, l’ancienne Erech,
la Warka actuelle.
C’est donc à ces deux sociétés primitives que les autres
peuples doivent leur culture.
Les Grecs des colonies asiatiques surent les premiers
mettre à profit les leçons qu’ils en reçurent. Rivaux des
Phéniciens en activité commerciale, ils furent de bonne
heure ep relation avec l’Egypte et la Mésopotamie. Ils ne
se bornèrent pas à imiter les monuments qu’ils avaient vus
dans ces pays et donnèrent bientôt aux leurs des propor-
tions et des formes plus harmonieuses. Chez eux naquirent
les ordres, devenus classiques, de l’architecture hellénique,
lesquels furent importés ensuite dans la mère patrie.
Ces colonies étaient en pleine prospérité au moment
où les Perses commencèrent à jouer le premier rôle sur la
scène du monde oriental. Ces nouveaux venus se trou-
vèrent ainsi en contact avec trois civilisations dont les arts
avaient des caractères distincts : celles delà Mésopotamie,
de l’Egypte et de la Grèce asiatique. C’est à ces trois civi-
lisations que leur art, cet art des Achéménides dont nous
voulons entretenir le lecteur, a emprunté les éléments
qu’il a mis en œuvre.
LES FRISES ÉMAILLÉES ET LE CHAPITEAU SUSIENS DU LOUVRE'
Il y a cinquante ans à peine, nous ne connaissions de
l’art antique que les admirables créations du génie hellé-
nique. Nous ne soupçonnions pas que de plus vieilles
nations que la Grèce avaient eu un art digne de ce nom,
ni surtout que, dans ses premiers essais, l’art grec s’était
inspiré de leurs exemples et de leurs leçons.
Assurément, la Grèce occupera toujours la première
place parmi les peuples anciens qui ont contribué à l’œuvre
commune de la civilisation. Mieux que les autres, elle a su
exprimer, par le langage et la plastique, ce que l’âme
humaine a senti et pensé de meilleur. En particulier, ses
chefs-d’œuvre de la fin du ve siècle ont mérité, par leur
inimitable perfection, de devenir classiques, c’est-à-dire
d’être proposés comme un éternel sujet d’étude et d’admi-
ration à tous ceux qui ont le culte du beau.
Mais la Grèce n’attire plus seule notre attention; elle
n’a pas tout tiré de son propre fonds, comme on le croyait
autrefois. D’heureuses découvertes, le déchiffrement des
vieilles écritures et les comparaisons de la critique ont
montré que des peuples plus anciens, ceux de l’Egypte et
de la Mésopotamie, avaient, par un long travail, préparé
l’avènement de l’art grec. Nous nous intéressons mainte-
nant à ces peuples qui, pendant quelques milliers d’années,
se sont appliqués patiemment à dégager l’Orient de la bar-
barie primitive. Sans avoir eu d’éducateurs, ils ont consti-
tué les plus anciennes sociétés policées que nous connais-
sions ; et ces sociétés du Nil et de l’Euphrate remontent à
une antiquité qui étonne ; dès les premiers siècles dont le
monde ait gardé quelque souvenir précis, on les trouve
déjà, non au commencement, mais pour ainsi dire au
terme d’un long développement. Memphis et Thèbes, Baby-
lone et Ninive étaient des capitales florissantes, bien avant
qu’aucun aède ne chantât les poèmes immortels d’Homère,
bien avant que rien ne pût faire prévoir que le sanctuaire
de l’art s’élèverait un jour sur un rocher de l’Attique.
A cause de ce long et glorieux passé, les autres peuples
de l’antiquité avaient conservé pour l’Egypte et la Chaldée
une vénération particulière; mais tant de ruines se sont
depuis accumulées sur le vieux sol de l’Orient que, pour
nous, nous ne savions rien de l’Egypte avant la lecture de
la pierre de Rosette, et que, jusqu’aux découvertes de
Rich, de Porter et de Layard, nous ignorions l’emplace-
ment de Babylone et celui de Ninive. Les Egyptiens, les
Chaldéens et les Assyriens ne nous étaient connus que par
les récits, souvent inexacts, de quelques auteurs anciens,
par quelques passages de la Bible et les malédictions des
prophètes hébreux. Nous n’avions aucune idée de l’impor-
tance du travail qu’ils avaient accompli. Aujourd’hui,
nous sommes mieux renseignés. Grâce aux explorations et
à la science des Champollion, des Mariette, des de Rougé,
des Maspéro, des Botta, des Layard, des Rawlinson, des
Oppert, des Ménant et de tant d’autres, les contemporains
des Ourcham et des Sargon, des Ménès et des Sésostris se
sont réveillés de leur long sommeil et nous ont raconté
ce qu’ils ont fait. Maintenant, l’œuvre de ces anciens
hommes nous apparaît colossale, et nous saluons en eux
les premiers ancêtres de notre civilisation européenne.
i. L’extrême abondance des matières nous a forcés, à notre
grand regret, à retarder cette importante étude dont M. C. Gabillot
nous a remis le manuscrit depuis plus de six mois.
(Note de la Rédaction.)
Par l’intermédiaire des Phéniciens et des peuples de
l’Asie Mineure, par le commerce, par la conquête, ils ont
transmis à l’ancien monde toutes sortes d’inventions
utiles, ces procédés techniques, ces secrets de métier, dont
l’acquisition représente une si longue succession d’efforts
collectifs ; ils lui ont transmis surtout les notions pre-
mières des arts et des sciences.
Pour ne parler que de la Grèce, par exemple, qui nous
intéresse à tant de titres, l’Égypte paraît lui avoir donné
ce qu’il y a de religieux et d’élevé dans son art ; elle lui a
appris à étudier la forme nue, étude sans laquelle l’artiste
n’arrive jamais à exprimer librement sa pensée. On recon-
naît son style dans certaines statues grecques archaïques
du viie siècle avant notre ère. Le dorique naissant s’est
inspiré des formes massives de la colonne égyptienne, et,
selon toute vraisemblance, la volute ionique n’est qu’une
transformation du chapiteau lotiforme de l’ancien empire
égyptien. Babylone et Ninive, sans avoir eu une influence
aussi profonde sur l’art grec, ont appris beaucoup à l’or-
nemaniste de l’Ionie : la palmette, la rosace, la fleur de
lotus épanouie entre deux boutons, les griffons, les per-
sonnages ailés, les animaux chimériques à tête humaine,
qu’on trouve sur les vases grecs de style ancien, sont nés
en Mésopotamie; l’ordonnance même de ces motifs de
décoration, les zones de tigres et de boucs qui se déroulent
en procession sur les coupes de Ninive, se retrouve sur
les vases grecs archaïques. Mais c’est surtout en dehors
du domaine des arts plastiques que la Chaldée a légué le
plus de choses à la Grèce et au reste du monde. Sans par-
ler ici de sa cosmogonie, dont celle de la Bible n’est que
le reflet, de ses connaissances astronomiques, de sa divi-
sion du temps, de son système sexagésimal de mesures, en
usage jusqu’à notre système métrique, ne faut-il pas
reconnaître que plusieurs des divinités qui ont reçu les
hommages de l’antiquité ont eu leur berceau sur les bords
de l’Euphrate? Ainsi l’Artémis d’Ephèse; ainsi une autre,
fille de l’Istar chaldéenne, cette Aphrodite qui a inspiré
tant de chefs-d’œuvre; ainsi encore l’Héraklès, qui a pour
ancêtre Isdubar, dont on espère retrouver l’épopée com-
plète dans la ville des livres de briques, l’ancienne Erech,
la Warka actuelle.
C’est donc à ces deux sociétés primitives que les autres
peuples doivent leur culture.
Les Grecs des colonies asiatiques surent les premiers
mettre à profit les leçons qu’ils en reçurent. Rivaux des
Phéniciens en activité commerciale, ils furent de bonne
heure ep relation avec l’Egypte et la Mésopotamie. Ils ne
se bornèrent pas à imiter les monuments qu’ils avaient vus
dans ces pays et donnèrent bientôt aux leurs des propor-
tions et des formes plus harmonieuses. Chez eux naquirent
les ordres, devenus classiques, de l’architecture hellénique,
lesquels furent importés ensuite dans la mère patrie.
Ces colonies étaient en pleine prospérité au moment
où les Perses commencèrent à jouer le premier rôle sur la
scène du monde oriental. Ces nouveaux venus se trou-
vèrent ainsi en contact avec trois civilisations dont les arts
avaient des caractères distincts : celles delà Mésopotamie,
de l’Egypte et de la Grèce asiatique. C’est à ces trois civi-
lisations que leur art, cet art des Achéménides dont nous
voulons entretenir le lecteur, a emprunté les éléments
qu’il a mis en œuvre.