COURS DE LITTERATURE MUSICALE DES ŒUVRES POUR LE PIANO.
63
Chantée et jouée avec amour par les masses sous la
direction d’un chef enthousiaste, l’exécution fut parfaite.
Mile Yergin, à présent Mme Colonne, apporta l’appui de
son charme pénétrant; Lamvers, l’àpreté de sa voix mor-
dante; Vergnet, son talent de chanteur doublé d’un
musicien remarquable. Ces auditions de la Damnation
resteront certainement parmi les meilleurs souvenirs des
amoureux du grand art.
Les concerts du Châtelet rendirent encore un autre
service que celui de faire entendre de belles œuvres, ils
permirent aux dilettantes d’apprécier les premiers chan-
teurs et les premiers virtuoses, qui avaient trop rarement
l’occasion de se faire juger par le grand public. De cette
façon Paris apprit à connaître des pianistes de la valeur
de d’Albert, Breitner, H. de Bulow, Jaell, Ketten, Ritter,
Saint-Saëns, Diemer, Delaborde, etc., de Mmes Essipoff,
Montigny-Remaury, Roger-Miclos, Szarvady, etc. ; des
violonistes comme Joachim, Sivori, Sarasate, Marsick,
Marie Tayau, etc.; Bosquin, Bouhy, Faure, Gaillard,
Lassalle, Maurel, Talazac, Vergnet ; Mmes Caron, Fidès-
Devriès, Galli-Marié, Pauline Viardot, Krauss, Schroeder,
Thursby, sans compter tous et toutes les autres, vinrent
tour à tour se faire applaudir par un public reconnais-
sant.
Tels sont les services rendus à l’art par l’Association
des concerts du Châtelet. Grâce à l’habileté et au dévoue-
ment de son président, les 22 5 francs, première mise de
fonds de la Société, ont crû et multiplié. Il fallut aussi un
véritable courage doublé d’une grande patience et d'une
foi à toute épreuve de la part des braves artistes qui fon-
dèrent cette remarquable association, car les premières
années ne donnèrent aucun résultat sérieux.
Pendant plusieurs saisons, ces vaillants champions
combattirent pour ainsi dire pour l’amour de l’art, don-
nant largement leur temps et leurs peines. Finalement ils
furent récompensés de leurs efforts et de leur persévé-
rance. Actuellement la société est en pleine prospérité.
Pourtant, tous n’ont pas profité de la réussite finale de
leur œuvre. Lelong, le violoniste qui tint pendant long-
temps brillamment la place de violon solo, tout en se fai-
sant valoir souvent comme virtuose, est mort quelque
temps après avoir quitté la société. Loys, le violoncelliste
d’un si grand mérite, a renoncé de son côté à faire applau-
dir son beau talent par le public des concerts du Châtelet.
Remy et Parent, les deux jeunes violonistes si fêtés dans
le monde musical, tiennent à présent le premier pupitre,
et Mariotti remplit avec charme et correction le rôle de
violoncelle solo.
Les répétitions du concert du Châtelet ont lieu trois
fois par semaine. Les mardi et jeudi dans le foyer du
théâtre, et le samedi dans la salle même. Ce jour-là les
abonnés sont admis moyennant une rétribution fixée
d’avance, ce qui ne contribue pas peu à grossir le chiffre
des recettes. Ces répétitions publiques sont très suivies;
elles permettent à certains amateurs convaincus d’assister
le dimanche à un des autres concerts, soit à celui du
Conservatoire, soit au concert Lamoureux.
Paul Viardot.
(A suivre.)
COURS
DE
LITTÉRATURE MUSICALE DES OEUVRES POUR LE PIANO
AU CONSERVATOIRE DE SAINT-PÉTERSBOURG1
(su
IX
Mendelssohn (1809-1847;. — Avec l’apparition des
œuvres de Mendelssohn, vers 1820, commence à s’opérer
la régénération de la musique. Il la rétablit sur un terrain
esthétique, et se proposa des visées élevées. Quelques cri-
tiques traitent Mendelssohn avec dédain. Ils ont tort.
Sans doute, on ne trouvera chez lui ni le génie de Bach,
ni celui de Beethoven, ni même de Schumann ; mais son
apparition à une époque si fatale pour la situation de la
musique, et la révolution accomplie par lui, le placent
très haut et lui donnent une importance considérable.
Mendelssohn se renfermait trop exclusivement dans l’ob-
servance de la forme. On ne trouvera pas chez lui le trans-
port parfois désordonné du génie. Ceci provient des con-
ditions normales de son existence. Fils d’un riche banquier,
il reçut une éducation purement classique et par trop
empreinte de formalité. Il fréquentait les gens les plus
instruits, il écrivait lui-même une musique correcte, et son
admiration pour l’art grec antique développa chez lui
jusqu’à l’excès le culte de la beauté de la forme. C'est
1. Voir l’Art, i5e année, tome Ier, pages 46 et i3i, et tome II,
page 37.
en i83o qu’il écrivit scs Préludes et Fugues, non pas.
certes, comme on les écrivait en îy'So; mais n’oublions
pas qu’il succède à Herz. Voilà pourquoi il faut l’appré-
cier et même le compter parmi les dieux de la musique
et dans la musique instrumentale, son rôle est également
considérable comme successeur de Reissiger et de Lind-
paintner. Il faut aussi tenir compte de la personnalité-
typique de Mendelssohn dans le domaine de la fantaisie;
son Scherzo des Sylphes, dans le Songe d’une Nuit d’été,
représente un genre absolument nouveau et à suscité beau-
coup d’imitations.
Parmi les œuvres de Mendelssohn, M. Rubinstein a
exécuté six Préludes et Fugues. dont le style n’a rien de
commun avec celui de Bach. On n’y trouve ni la gran-
deur, ni l’inspiration, ni le calme, ni l’irréprochable con-
duite des voix si remarquables chez Bach. Ce sont des
Fugues libres, mais belles néanmoins, et qui ont de l’éclat
et de l’effet ; leur caractère se rapproche plutôt de celui de
Haendel, et, en tout cas, elles marquent dans l’art de cette
époque un grand pas en avant. La cinquième fugue est
remarquable surtout par l’énergie, le brillant, la sonorité.
La sixième aspire au grandiose de Bach et de Haendel.
Les six cahiers de Romances sans paroles [Liederohne
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Chantée et jouée avec amour par les masses sous la
direction d’un chef enthousiaste, l’exécution fut parfaite.
Mile Yergin, à présent Mme Colonne, apporta l’appui de
son charme pénétrant; Lamvers, l’àpreté de sa voix mor-
dante; Vergnet, son talent de chanteur doublé d’un
musicien remarquable. Ces auditions de la Damnation
resteront certainement parmi les meilleurs souvenirs des
amoureux du grand art.
Les concerts du Châtelet rendirent encore un autre
service que celui de faire entendre de belles œuvres, ils
permirent aux dilettantes d’apprécier les premiers chan-
teurs et les premiers virtuoses, qui avaient trop rarement
l’occasion de se faire juger par le grand public. De cette
façon Paris apprit à connaître des pianistes de la valeur
de d’Albert, Breitner, H. de Bulow, Jaell, Ketten, Ritter,
Saint-Saëns, Diemer, Delaborde, etc., de Mmes Essipoff,
Montigny-Remaury, Roger-Miclos, Szarvady, etc. ; des
violonistes comme Joachim, Sivori, Sarasate, Marsick,
Marie Tayau, etc.; Bosquin, Bouhy, Faure, Gaillard,
Lassalle, Maurel, Talazac, Vergnet ; Mmes Caron, Fidès-
Devriès, Galli-Marié, Pauline Viardot, Krauss, Schroeder,
Thursby, sans compter tous et toutes les autres, vinrent
tour à tour se faire applaudir par un public reconnais-
sant.
Tels sont les services rendus à l’art par l’Association
des concerts du Châtelet. Grâce à l’habileté et au dévoue-
ment de son président, les 22 5 francs, première mise de
fonds de la Société, ont crû et multiplié. Il fallut aussi un
véritable courage doublé d’une grande patience et d'une
foi à toute épreuve de la part des braves artistes qui fon-
dèrent cette remarquable association, car les premières
années ne donnèrent aucun résultat sérieux.
Pendant plusieurs saisons, ces vaillants champions
combattirent pour ainsi dire pour l’amour de l’art, don-
nant largement leur temps et leurs peines. Finalement ils
furent récompensés de leurs efforts et de leur persévé-
rance. Actuellement la société est en pleine prospérité.
Pourtant, tous n’ont pas profité de la réussite finale de
leur œuvre. Lelong, le violoniste qui tint pendant long-
temps brillamment la place de violon solo, tout en se fai-
sant valoir souvent comme virtuose, est mort quelque
temps après avoir quitté la société. Loys, le violoncelliste
d’un si grand mérite, a renoncé de son côté à faire applau-
dir son beau talent par le public des concerts du Châtelet.
Remy et Parent, les deux jeunes violonistes si fêtés dans
le monde musical, tiennent à présent le premier pupitre,
et Mariotti remplit avec charme et correction le rôle de
violoncelle solo.
Les répétitions du concert du Châtelet ont lieu trois
fois par semaine. Les mardi et jeudi dans le foyer du
théâtre, et le samedi dans la salle même. Ce jour-là les
abonnés sont admis moyennant une rétribution fixée
d’avance, ce qui ne contribue pas peu à grossir le chiffre
des recettes. Ces répétitions publiques sont très suivies;
elles permettent à certains amateurs convaincus d’assister
le dimanche à un des autres concerts, soit à celui du
Conservatoire, soit au concert Lamoureux.
Paul Viardot.
(A suivre.)
COURS
DE
LITTÉRATURE MUSICALE DES OEUVRES POUR LE PIANO
AU CONSERVATOIRE DE SAINT-PÉTERSBOURG1
(su
IX
Mendelssohn (1809-1847;. — Avec l’apparition des
œuvres de Mendelssohn, vers 1820, commence à s’opérer
la régénération de la musique. Il la rétablit sur un terrain
esthétique, et se proposa des visées élevées. Quelques cri-
tiques traitent Mendelssohn avec dédain. Ils ont tort.
Sans doute, on ne trouvera chez lui ni le génie de Bach,
ni celui de Beethoven, ni même de Schumann ; mais son
apparition à une époque si fatale pour la situation de la
musique, et la révolution accomplie par lui, le placent
très haut et lui donnent une importance considérable.
Mendelssohn se renfermait trop exclusivement dans l’ob-
servance de la forme. On ne trouvera pas chez lui le trans-
port parfois désordonné du génie. Ceci provient des con-
ditions normales de son existence. Fils d’un riche banquier,
il reçut une éducation purement classique et par trop
empreinte de formalité. Il fréquentait les gens les plus
instruits, il écrivait lui-même une musique correcte, et son
admiration pour l’art grec antique développa chez lui
jusqu’à l’excès le culte de la beauté de la forme. C'est
1. Voir l’Art, i5e année, tome Ier, pages 46 et i3i, et tome II,
page 37.
en i83o qu’il écrivit scs Préludes et Fugues, non pas.
certes, comme on les écrivait en îy'So; mais n’oublions
pas qu’il succède à Herz. Voilà pourquoi il faut l’appré-
cier et même le compter parmi les dieux de la musique
et dans la musique instrumentale, son rôle est également
considérable comme successeur de Reissiger et de Lind-
paintner. Il faut aussi tenir compte de la personnalité-
typique de Mendelssohn dans le domaine de la fantaisie;
son Scherzo des Sylphes, dans le Songe d’une Nuit d’été,
représente un genre absolument nouveau et à suscité beau-
coup d’imitations.
Parmi les œuvres de Mendelssohn, M. Rubinstein a
exécuté six Préludes et Fugues. dont le style n’a rien de
commun avec celui de Bach. On n’y trouve ni la gran-
deur, ni l’inspiration, ni le calme, ni l’irréprochable con-
duite des voix si remarquables chez Bach. Ce sont des
Fugues libres, mais belles néanmoins, et qui ont de l’éclat
et de l’effet ; leur caractère se rapproche plutôt de celui de
Haendel, et, en tout cas, elles marquent dans l’art de cette
époque un grand pas en avant. La cinquième fugue est
remarquable surtout par l’énergie, le brillant, la sonorité.
La sixième aspire au grandiose de Bach et de Haendel.
Les six cahiers de Romances sans paroles [Liederohne