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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 15.1889 (Teil 2)

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Molmenti, Pompeo: Venise qui s'en va
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https://doi.org/10.11588/diglit.25868#0215

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VENISE QUI S’EN VA

A Venise, on étudie en ce moment le projet du nouvel
hôtel des postes et l’on se mettra bientôt à l’œuvre ; cet
hôtel s’élèvera sur le quai au Charbon, non loin du palais
Lorédan, hôtel de ville actuel. L’ancien et petit palais
Dandolo, ce bijou artistique, ce modèle d’architecture
arabo-normande, tombera peut-être sous le marteau des
démolisseurs. Si l’on se décide à ne pas le démolir, l’au-
teur du projet du nouvel hôtel des postes devra conserver
les restes du palais Dandolo et laisser subsister la façade
sur le Grand Canal. Nous aurons ainsi un joyau entouré
d’un cadre laid, malheureux, vulgaire; deux arts jurant
l’un à côté de l’autre, triste rapprochement. En effet, je
serais très heureux de me tromper, mais je crois ferme-
ment que le futur palais sera le digne pendant des autres
édifices qui ont été construits pendant ces dernières années
dans notre merveilleuse cité, si respectueuse autrefois des
Beaux-Arts.

Ce nouveau bâtiment sera le commencement de ce
projet grandiose qu’on a baptisé VÉventrement de Venise.
L’expression populaire explique bien le projet. Je veux
dans ce journal, qui professe un noble et véritable culte
pour l’art, parler d’un sujet qui ne regarde pas seulement
les Vénitiens, chez lesquels vit encore tout entier l’amour
de leur pays, mais tous ceux qui ont le sentiment du beau,
et pour qui Venise, on le sait, est la patrie idéale.

Je regrette d’être obligé à ce propos de parler de moi;
je le regrette, non par une modestie exagérée ou hypo-
crite, mais parce que cela est toujours embarrassant. Que
sait-on ? On peut dire trop ou trop peu. Essayons cepen-
dant.

Le 14 décembre 1886, le syndic de Venise présentait
au conseil municipal un projet d’assainissement et d’amé-
lioration de la voirie de la ville, au moyen d’élargisse-
ments bien compris des rues et artères principales ; suivait
le détail de quarante nouvelles démolitions et élargisse-
ments projetés. Ces propositions furent approuvées par
le conseil municipal et par la députation provinciale. Le
plus grand nombre ne s’en inquiétait pas, mais tous ceux
à qui sont chères les beautés uniques de notre vieille
patrie s’en émurent vivement. Je cherchai à me faire,
sans rien exagérer, l’interprète de cette pénible impression
dans la première Revue d’Italie, dans la Nuova Anto-
logia. Mon cri d’alarme ne fut pas sans écho et les meil-
leurs artistes italiens, Domenico Morelli, Francesco
Michetti et le regretté Giacomo Favretto, en tête, adres-
sèrent une protestation à la municipalité de Venise. L’Aca-
démie des Beaux-Arts s’assembla pour nommer une com-
mission qui, comme c’est l’usage, ne se réunit jamais.
Par contre, d’autres personnes, appartenant à l’opinion
contraire, ne furent point avares d’injures et de satires
envers ceux qui avaient encore tant d’amour pour la rhé-
Tome XLVII.

torique et la poésie, qu’ils en faisaient, de nos jours, même
à propos de petites rues sales et de quais infects. On ajou-
tait que Venise devait comprendre les exigences des temps
actuels, que, si elle veut vivre, elle doit pourvoir immé-
diatement à l’élargissement des nouvelles artères, que
l’éventrement s’impose désormais comme une inexorable
nécessité, et cela malgré toutes les protestations des
artistes, gens sans doute très imbus de poésie, mais ayant
peu de sens pratique.

Or, il est un moyen infaillible de donner ou de faire
donner tort à ses adversaires, c’est d’exagérer leurs idées,
de leur faire dire plus ou moins qu’ils n’ont dit ou voulu
dire réellement.

Personne, excepté quelque fanatique peut-être, ne pré-
tend que le culte du passé fasse taire les exigences du pré-
sent. Pour une fausse idolâtrie de ce qui est ancien,
Venise 11e saurait être sale ni tomber en ruine. Il serait
vraiment bien malheureux que, là où les siècles ont accu-
mulé tant de gloire de toute espèce, on ne pût rien changer
pour satisfaire aux besoins impérieux de la vie qui se
modifient continuellement.

Mais quand on aime véritablement l’art, on ne se range
pas au nombre de ceux qui se prosternent devant de
vieilles pierres, les adorant uniquement à cause de leur
vétusté, ni parmi ceux qui voudraient enlever leur phy-
sionomie historique à d’anciennes cités comme Venise et
Rome, pour leur imprimer un caractère moderne. Le
sentiment de l’art n’exclut pas l’industrie, et nous devrions
avoir appris des anciens Vénitiens que l’idée du beau peut
fort bien s’allier à celle de l’utile. S’il est juste que l’on
ne doive point conserver, par un amour exagéré, tout ce
qui rappelle les temps passés, l’on doit au moins faire en
sorte que les besoins modernes s’harmonisent avec le
culte de cette beauté artistique dont, on . peut le dire,
Venise est le vrai domaine. Existe-t-il donc un si profond
désaccord entre l’histoire et la civilisation moderne? Tout
le travail consisterait après tout à étudier les moyens de con-
cilier le plus grand avantage pratique avec le moindre dom-
mage artistique. Personne ne peut s’opposer à quelques
élargissements partiels de rues ou à la démolition de quel-
ques misérables bouges infects; mais quand on détruit, il
faut remplacer ce qu’on a abattu par quelque chose de
mieux.

Or, nous le demandons, qu’a-t-on fait de beau à Venise
en matière d’édilité, pendant cette seconde moitié du
siècle ? Et qu’a-t-on l’intention de faire de beau à l’avenir ?

Examinons très rapidement les projets principaux.

Un spéculateur à la Bourse, lui-même, doit éprouver
un sentiment tout nouveau pour lui, il doit se sentir dou-
cement remué à la vue de la lagune vénitienne. D’un côté,
à l’entrée du Grand Canal, défilent devant lui de superbes

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