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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier dramatique
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https://doi.org/10.11588/diglit.22769#0111
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COURRIER DRAMATIQUE

Chatelet : la Bouquetière des Innocents.

L'Italien Concini fut-il de ceux qui mirent le couteau
dans la main de Ravaillac? On n'en a point la preuve
positive ; mais il savait que le fou furieux rôdait dans
Paris, aiguisant son poignard et marmottant des prières;
il le savait, lui, comme plusieurs autres, — et il se tut.
Une légende trop vraisemblable prétend qu'au moment
précis où le roi était frappé dans son carrosse, rue de la
Ferronnerie, la jolie main de Concini, toute chargée de
bagues, soulevait la tapisserie de la chambre de la reine et
que sa voix musicale jetait ce mot terrible : E amma\\alo !

Après la mort du roi, ce fut une ignoble curée. On
force les caves de la Bastille, on crève les tonneaux d'or,
réserves du bien public, amassées par l'intègre Sully, qui
s'en va mourir dans la solitude — de son pas de statue.
Les ennemis du roi, — on est toujours tenté de dire : ses
meurtriers, — se partagent les millions, et Concini prend
la plus grosse part. Son ambition devient alors mons-
trueuse, cynique. Le voilà premier gentilhomme de la
Chambre, gouverneur de Picardie, marquis d'Ancre,
maréchal de France, ministre, enfin, bien que la loi inter-
dise cette fonction aux étrangers ; il exulte, il éclate d'or-
gueil et traîne après lui tout un peuple de gentilshommes
et de courtisans, où ne manque pas Luynes, celui qui le
fera bientôt tuer, et où se glisse un prêtre obscur, l'évêque
de Luçon, toujours courbé très bas dans l'ombre de l'heu-
reux favori, car celui qui sera plus tard l'altier cardinal de
Richelieu a subi, comme un autre, la règle imposée à tout
ambitieux politique et a léché les degrés du pouvoir avant
de les gravir.

Qui purgera la France de cette bande de voleurs? Qui
vengera surtout le meurtre du bon roi? Le secret est bien
enfoui. Ravaillac a été déchiqueté en Grève sans rien dire;
la d'Escoman, un témoin qui sait tout, hurle en vain dans
son cul de basse-fosse. Harlay lui-même, le pur magis-
trat, l'homme de Plutarque, le Caton du xvie siècle, a
cédé, a consenti à vendre sa charge, par faiblesse peut-
être — il a quatre-vingts ans — ou plutôt pour ne pas
déshonorer la reine et ruiner toute autorité. L'impunité
semble bien assurée aux coupables. Qu'ils se méfient
cependant. Il y a ce petit roi de quinze ans, prisonnier

dans son Louvre; cet enfant solitaire, occupé d'oiseaux
de proie et de combats d'animaux. Naguère, en apprenant
le coup de Ravaillac, il a pleuré et il a dit : « Ha, si j'y
eusse été avec mon espée, je l'eusse tué ! » Ce taciturne
aimait son père, et il n'oublie rien. Impuissant à faire une
éclatante et publique justice, il emploiera les armes des
faibles, la violence et la surprise. Son fauconnier, Luynes,
lui propose le guet-apens ; un soudard de sa garde l'ac-
complira, et, le 24 avril 1617, au moment où Concini,
entouré d'une nombreuse escorte, franchit le pont du
Louvre pour venir faire sa cour à la reine, Vitry arrête
l'impudent Italien et, au premier geste de résistance, lui
casse la tête d'un coup de pistolet.

Ainsi périt misérablement Concino Concini, dont le
nom restera comme une des hontes de l'histoire de France.
Le jour où Ravaillac fut écartelé, des soldats suisses firent
rôtir un lambeau de sa chair sous les fenêtres de la reine.
Le soir de l'assassinat du maréchal d'Ancre, lorsque son
corps fut déchiré et brûlé sur le Pont-Neuf, devant la sta-
tue d'Henri IV, un forcené, dit-on, mordit à même son
cœur et en dévora un morceau. La populace, qui croyait
à ces deux hommes également criminels, fut aussi atroce
dans sa vengeance contre le « chicanoux » d'Angoulême
que contre le ruffian florentin.

Cette sanglante tragédie, nous l'avons relue dans Miche-
let, et nous ne sommes pas surpris qu'elle ait tenté plus
d'un auteur dramatique. Alfred de Vigny, dans la Maré-
chale d'Ancre ; M. Charles Edmond, dans la Florentine ;
Auguste Maquet, dans la Maison du baigneur, que repre-
nait, l'hiver dernier, le théâtre de la Porte-Saint-Martin,
et, enfin, Ànicet Bourgeois et M. Ferdinand Dugué, dans
la Bouquetière des Innocents, ont tour à tour mis en scène
ces événements célèbres.

Ces diverses pièces, d'une valeur inégale, ont toutes
réussi, et la dernière, qui vient d'obtenir l'honneur d'une
troisième ou quatrième reprise, est un drame copieux et
robuste, plein de mouvement et d'intérêt, dont le succès
renouvelé promet au Châtelet de fort honorables recettes.
On y viendra applaudir deux vrais comédiens, deux artistes
de race : MUc Tessandier et M. Léon Noël.

Edmond Stoullig.
 
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