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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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82

L'ART.

dont trois morceaux au moins ont fait grand plaisir.
L'allégro initial à trois temps et le magnifique largo reli-
gieux, qui forment les points culminants de la symphonie,
sont encore un peu obscurs pour la masse des auditeurs :
cela changera, j'espère, avec le temps.

Pour Manfred, en revanche, il n'y a plus de ces distinc-
tions subtiles et l'œuvre est unanimement admirée en
toutes ses parties, par les profanes qui ne font que de
s'initier à Schumann, comme pour ceux d'entre les
connaisseurs qui ont pour lui une quasi-dévotion. Main-
tenant la musique si profondément sentie que Schumann
a composée ~r pour accompagner le drame de Byron,
gagne-t-elle à se. présenter toute seule au concert, avec
une.simple analyse imprimée sur le programme, ou bien
encadrée, comme on l'avait déjà fait aux concerts du
Châtelet et, tout nouvellement, aux concerts du Conser-
vatoire de Bruxelles, dans une paraphrase versifiée et un
peu abrégée du poème original que des acteurs déclament
comme ils le feraient au théâtre ? Et vous savez peut-être
— en tout cas je vous l'apprends — que Liszt, en juin 1852,
donna sur le théâtre de Weimar quelques représentations
scéniques du drame de Byron, passablement raccourci,
avec la musique de Schumann. Cet essai, d'ailleurs, n'eut
qu'un succès d'estime et ne fut renouvelé, s'il le fut, qu'en
de très rares occasions.

Eh bien, il faut distinguer. Pour toutes les scènes du
drame, entrecoupées de brefs accords qui donnent un sin-
gulier relief à la parole — autant de petits fragments qu'on
supprimait autrefois — il est incontestable que ce mélange
de la musique avec la déclamation produit le meilleur
effet. Je citerai, par exemple, l'épisode du chasseur de cha-
mois, dont on ne jouait que le ranz des vaches, et l'appa-
rition d'Astarté, dont on ne connaissait que le morceau
principal, puis la scène suprême entre Manfred et l'abbé de
Saint-Maurice, où le court Requiem de la fin était loin de
produire un aussi grand effet quand on n'entendait pas
les sombres accords et les mystérieux appels qui le pré-
parent. De ce côté donc, il y a bénéfice indiscutable. Il y
a perte, au contraire, dans les épisodes qui comportent
de longs fragments déclamés, avec, de loin en loin, quel-
que important morceau de musique. On est pris d'impa-
tience, alors, en voyant Manfred épancher sa douleur
amère en d'interminables monologues qui nous font trop
attendre la musique : ainsi arrive-t-il que ni le dialogue de
Manfred avec les génies, ni l'apparition du Génie de l'air,
ni le délicieux entr'acte qui précède le tableau des Alpes,
ni même le délicieux morceau de la Fée des Alpes ne
nous paraissent meilleurs parce qu'ils sont encadrés dans
de longues parties déclamées. Le mieux est ennemi du
bien.

Notez aussi que, dans cet arrangement scénique, on
en arrive à répéter certains morceaux que Schumann n'a
pas voulu faire entendre deux fois, comme le ranz des
vaches, comme l'apparition de la Fée des Alpes, qu'on
joue aussi quand elle disparaît — ce qui est formellement
contraire à la volonté de l'auteur ; — observez encore que
cette juxtaposition de la parole et de la musique est, en
plus d'un passage, aussi nuisible à l'une qu'à l'autre, et
vous concevrez que je fasse beaucoup de réserves au sujet
de cette exécution de Manfred qui, du reste, a remporté le
plus vif succès. Étaient-ce les clameurs furibondes et les
traînements de voix extravagants de M. Mounet-Sully,
étaient-ce les sons caverneux de son frère ou les douces
répliques de MIlc Blanche du Minil qui ont tellement ravi
l'auditoire; est-ce aussi la poésie assez filandreuse de
M. Emile Moreau; est-ce enfin, pour une très faible par-
tie, la musique même de Schumann? je n'oserais vraiment
me prononcer et je constate simplement l'éclatante réus-

site de cette tentative en vous laissant deviner à qui il en
faut principalement faire honneur.

L'élève, ou plutôt le disciple, après le maître : après
Schumann, Johannes Brahms. Certes, les œuvres de
Brahms étaient déjà appréciées très haut, chez nous, au
moins par les amateurs qui se tiennent au courant de la
musique éclose hors de France; mais elles ont eu, cet
hiver, une poussée en avant très sensible, grâce aux efforts
rivaux de M. Taffanel et de M. Lamoureux. Celui-ci, qui
s'honore à bon droit d'avoir exécuté le premier en France
— il y a bien vingt-cinq ans— les magnifiques sextuors de
Brahms, a fait entendre cette année la deuxième sympho-
nie, en ré majeur, que la Société des Concerts a déjà jouée
à deux reprises. Et deux morceaux au moins de cette belle
composition : le scherzo, d'une fantaisie si gracieuse, et le
finale, d'une verve entraînante, ont ravi l'auditoire, tandis
qu'un très bel andante, moins heureusement rendu, c'est
vrai, le laissait un peu froid.

Mais M. Lamoureux ne s'en tenait pas là, et suivant
l'ordre chronologique, après cette symphonie, éclose à
Vienne en 1877, il révélait aux amateurs français d'abord
Y Ouverture de fête ou Ouverture académique, œuvre d'un
beau style et d'une facture hors ligne, écrite à l'occasion
d'une solennité académique, puis la troisième symphonie,
en fa majeur, où l'auteur, comme pour faire contraste
avec la précédente, est resté dans les teintes douces, en
fuyant les trop grands éclats de sonorité. C'est, en somme,
une œuvre extrêmement délicate et dont il faut saisir les
moindres nuances si l'on veut la juger à sa valeur vraie.
En effet, nul effet d'orchestre ne frappe ici l'attention de
façon violente et tout le charme de cette vaste composition
réside dans la grâce de l'idée et la finesse de la trame sym-
phonique : un premier allégro, doux et gracieux, suivi
d'un andante tout à fait reposant, d'un caractère éminem-
ment poétique, et le troisième morceau, avec ses curieuses
alternatives de gaieté et de rêverie, amène un finale où l'au-
teur, après quelques pages un peu plus éclatantes, en
revient à sa première idée et conclut par un decrescendo
tout à fait exquis... Une création de maître, à coup sûr,
que cette symphonie en fa majeur de Brahms, ne l'oubliez
pas.

Pendant ce temps, M. Taffanel, au Conservatoire,
aurait bien désiré faire entendre en entier le magnifique
Requiem de Brahms, dont nous n'eûmes jamais en France
qu'une exécution tronquée et pitoyable autrefois, aux Con-
certs populaires; mais la difficulté de se procurer des
solistes à la fin de la saison, le temps qu'il aurait fallu
demander aux choristes pour qu'ils sussent toute cette
œuvre avant le concert spirituel du Vendredi-Saint, déci-
dèrent le chef d'orchestre à reculer l'exécution de cette
importante partition jusqu'à l'année prochaine... Et le
nom de Brahms n'a pas paru cet hiver sur les programmes
de la Société des Concerts. Mais M. Taffanel, pour se
consoler sans doute, a fait jouer le très beau quintette de
ce maître pour clarinette, deux violons,alto et violoncelle,
à une séance de son excellente Société de musique de
chambre pour instruments à vent. Heureuse idée et qui a
valu le plus vif succès à M. Turban, le clarinettiste, et à
ses dignes partenaires ; qui a prouvé aussi à l'auditoire
habituel de ces séances très suivies que cette œuvre, une
des dernières de Brahms, était aussi riche d'idées que les
précédentes, aussi brillamment développée et traitée avec
une science incomparable... Allons, M. Taffanel n'est pas
resté trop en arrière et n'a pas laissé M. Lamoureux
s'approprier entièrement cet hiver Johannes Brahms.

Adolphe Jullien.

(A suivre.)
 
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