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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier dramatique
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COURRIER DRAMATIQUE

Bibliographie*: : Les Prétendants à la couronne ; les Guer-
riers à Helgeland, de M. Henrik Ibsen. — L'Automne,
de MM. Paul Adam et Gabriel Mourey.

Deux pièces d'Ibsen et un drame de MM. Paul Adam
et Gabriel Mourey, interdit ici par dame Censure, attendent
depuis assez longtemps, sur notre bureau, l'heure bénie de
l'annuelle fermeture des théâtres. Le moment n'est-il pas
venu de causer ensemble quelques instants — si vous le
voulez bien — des nouvelles productions de l'auteur des
Revenants et du Canard sauvage, A'Hedda Gabier et de
Maison de poupée,—ainsi que du premier ouvrage dra-
matique des deux jeunes écrivains, nos compatriotes et
nos confrères? — La politesse qu'on doit aux étrangers
veut que nous commencions par le poète norvégien.

Et d'abord les Prétendants à la couronne. — Désigné à
la fois par le jugement de Dieu et l'assemblée des guerriers
pour occuper le trône de Norvège, Hakon Hakonssœn l'a
emporté sur son tuteur et rival, le Jarl Skule. Un vieillard
ambitieux et pervers, l'évêque Nicolas, excite ce dernier à
la révolte. Au moyen d'une histoire de substitution d'en-
fants, il lui fait croire que Hakon pourrait bien n'être pas
le roi légitime. L'évêque mort, Skule se met en rébellion
ouverte, et se proclame roi, soutenu par une partie du
peuple et des soldats. Son fils Peter l'anime au combat,
mais le roi Hakon, que protège la Providence, finit par
avoir raison de son ennemi démoralisé qui se livre de lui-
même à la foule, marchant avec son fils au devant du poi-
gnard des assassins. Hakon rentre triomphalement dans le
château d'Elgesaster, après avoir foulé aux pieds le cadavre
de son adversaire.

Telles sont les grandes lignes de ce drame très touffu
et qui fait mouvoir nombre de personnages secondaires,
parmi lesquels nous ne citerons que Margrete, fille de
Skule et femme d'Hakon. Au reste, la plupart de ces per-
sonnages n'importent que fort peu à l'action dont nous
voudrions étudier, fidèles en cela à l'esthétique d'Ibsen,
plutôt la portée symbolique que le développement scé-
nique.

Il semble que l'auteur ait voulu opposer la force de
F « action » à la passivité du « rêve ». Le roi Hakon pour-
suit sans relâche une œuvre grandiose dont l'accomplisse-
ment est le but même de toute sa vie : l'unification de la
Norvège sous une seule autorité. C'est là un plan poli-
tique dont l'exécution paraît d'abord impossible à Skule
qui pourtant finit par l'adopter et voudrait le reprendre
pour son propre compte. Mais il est faible, hésitant,
complexe, il manque de foi et de sérénité, il est vaincu par
la fatalité, et plutôt par sa propre impuissance, et meurt
volontairement, après l'avoir reconnue, en saluant le
triomphe de son rival.

Ibsen a évidemment prévu le reproche d'obscurité que
mérite sans doute le caractère de cet Hamlet norvégien.
Cette obscurité est peut-être en effet trop complète. Nous
pouvons admettre à la rigueur les différents mobiles qui,
à des moments donnés, poussent le Jarl à telle ou telle
résolution, ou le font reculer devant les conséquences
auxquelles elles aboutissent ; mais nous ne percevons pas
le lien logique qui doit relier ces diverses phases de sa
conduite. Skule nous semble être tour à tour un rival sans
autre guide que l'ambition pure; — il nous paraît céder
plus tard à un besoin de justice ; — il veut régner parce
qu'il a le « droit » de régner, — prêt, d'ailleurs, à rendre
hommage à Hakon, si les titres de celui-ci sont justifiés.
Il est clair que l'ambition l'emporte ensuite sur toute autre
considération, et nous croyons voir Macbeth s'enfonçant
peu à peu dans les suites de son crime. Mais Macbeth,
tout faible que soit son caractère, va jusqu'au bout de son
œuvre, parce qu'il est soutenu par une force extérieure
dans cette exécrable poursuite. Ici,point de lady Macbeth.
Aussi, notre héros est-il vacillant, hésitant, et ne nous

inspire-t-il qu'un intérêt médiocre, — avec quelque peu
d'ennui. Je pense qu'il symbolise cette anémie de la volonté
(pourtant plus fréquemment observée de nos jours qu'au
commencement du xnie siècle) ; mais la vraisemblance eût
exigé que tous les symptômes de cette maladie ne fussent
pas rassemblés sur le même individu. « Rien n'est plus
compliqué qu'un barbare », a pu dire Flaubert en défen-
dant son Mâtho ; mais, précisément, la complexité de ce
personnage était sauvée par une inintelligence relative et
l'ignorance où il est de lui-même. Le comte Skule s'exa-
mine et se sonde trop bien pour ne pas arriver à se con-
naître mieux qu'il ne fait.

La physionomie de l'évêque Nicolas est assurément
curieuse, mais peu de son époque. Il y a là plutôt un
évêque byzantin qu'un pasteur Scandinave. Il joint la
superstition la plus puérile au courage le plus étonnant.
Est-ce un envieux simplement, ou un grand politique
avorté ? — Nous ne le saurons pas. Je penche à le prendre
pour un simple fumiste (qu'on me pardonne l'expression),
qui se joue de Skule comme Joad se joue d'Abner (pour
des raisons beaucoup moins bonnes, naturellement.)

En général, tous les personnages de ces Prétendants à
la couronne ont un côté énigmatique trop « voulu », et
parfaitement inexplicable. Pourquoi Margrete consent-elle
si vite à la mort de son père ? Pourquoi tel partisan zélé
de Skule le quitte-t-il si vivement pour aller soutenir son
ennemi? N'y aurait-il là qu'un artifice scénique un peu
gros ? Je ne crois pas non plus à la portée de l'apparition
de Nicolas revenant de l'enfer pour tenter l'hésitant Jarl
Skule.—Voilà du fantastique mal placé, et les plaisanteries
sur les chaudières infernales ne sont pas assez neuves
pour le justifier. Ce qui fait, après tout, l'intérêt de la
pièce n'est pas, à notre sens, l'unité factice que lui donne
la pensée maîtresse d'Hakon (les Norvégiens en jugeront
peut-être autrement à cet égard), mais la couleur mélan-
colique et brumeuse que répand sur elle un style puissant
et sensitif à la fois. Il y a des coins exquis. L'entretien
du roi Skule et du barde Jatgejr est de ce nombre ; il ren-
ferme sur la poésie des pensées charmantes et profondes,

— l'une d'elles est empruntée à Shelley, ainsi que le fait
remarquer le traducteur ; Sully Prudhomme en pourrait
revendiquer une autre. Mais n'allons pas plus loin dans
cette voie... Quel est donc l'auteur qui n'a rien emprunté
à autrui ?

L'emprunt est flagrant dans les Guerriers à Helgeland,
au moins dans la première partie où Ibsen s'est inspiré de
YEdda et du poème des Niebelungen. C'est, en gros,
l'épisode de Sigurd ou Siegfried obtenant par son courage
la main de Brunehiîd pour le compte de son ami Gunther.
Peu importe que Brunehiîd s'appelle ici « Hjœrdis »,
Gunther « Gunnar » et Chrimhild « Dagny ». Peu importe
également que ce thème poétique se soit accru d'affaires de
famille entre les maris et leur beau-père, le vieil Œrnulf.

— Toutefois l'aventure finit autrement que dans le poème
traditionnel (assez fidèlement suivi, on le sait, par Wagner).
La fière épouse de Gunnar, après que la ruse de Sigurd lui
a été dévoilée, ne le fait pas tuer par un Hagen quel-
conque. Elle lui révèle son amour, obtient, en retour, un
aveu semblable, et... tue elle-même Sigurd. Par une
bizarrerie que rien n'avait pu nous faire prévoir, le héros
était chrétien, et le déclare en mourant à Hjœrdis, qui,
éperdue à l'idée d'une séparation dès lors éternelle, se
précipite dans les flots. Voilà une conversion encore plus
surprenante, au point de vue scénique, que celle de
Félix.

Cette pièce est, à notre avis, bien inférieure à la précé-
dente; le dialogue en est lourd, surchargé de détails et de
répétitions, l'affabulation en est, en partie, commune, et
les modifications que l'auteur y a apportées ne sont pas
assez heureuses pour se justifier elles-mêmes.
 
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