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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier musical
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COURRIER MUSICAL

A PROPOS de la. mort de CHARLES GoUNOD 1.
(fin)

V

Vraiment, si Gounod n'avait écrit que les grandes
compositions religieuses de la fin de sa vie, il n'occupe-
rait pas un rang si élevé dans la musique contem-
poraine et l'influence qu'il a exercée sur toute l'école
française, à de très rares exceptions près, se réduirait à
néant. Non, il faut le dire parce que cela est la vérité
et l'affirmer en face du paradoxe de M. Saint-Saëns :
Gounod fut un musicien d'ordre supérieur, disons même :
un novateur à certains égards, dans plusieurs de ses
ouvrages dramatiques qui resteront son plus beau titre de
gloire. Et quand ils disparaîtront, hélas, car il serait sur-
prenant qu'ils ne disparussent" pas un jour ou l'autre, il
ne restera plus rien dans la mémoire des hommes que le
souvenir de certaines mélodies amoureuses, tendres et
caressantes, de Charles Gounod. Oui, celui-là eut une
note très personnelle, une inspiration chaste et sensuelle
à la fois, si l'on peut juxtaposer ces deux mots, pour tra-
duire et les tendres élans d'un cœur qui s'ignore et les lan-
goureuses rêveries et les douces pâmoisons d'amour. Voilà
les dons indiscutables qu'il avait reçus du ciel et qui lui
valurent un si grand succès dans le monde entier, le
public ayant été conquis, entraîné par ses élans de ten-
dresse, par le charme enivrant qui se dégageait de sa
musique, et s'étant refusé à voir les défauts parfois assez
saillants de son style : la monotonie, une chaleur artifi-
cielle, la mièvrerie ou la fausse sentimentalité, que certains
critiques s'efforçaient de lui faire discerner. A quoi bon,
c'est vrai, gâter le plaisir de gens qui ne se soucient pas
d'analyser ou de justifier leurs sensations?

VI

Mais Gounod possédait autre chose que ce don de la
mélodie amoureuse. Il avait une intelligence très ouverte,
une culture musicale très étendue et, le premier en France,
il sentit que l'opéra ne devait pas être un simple chapelet
de morceaux se suivant et découpés selon des règles déter-
minées d'avance. Il a trop souvent, lui-même, observé
ces anciennes divisions, mais, dans son œuvre maîtresse,
il rompit en partie avec ces formes consacrées ; il s'occupa
beaucoup plus de suivre le mouvement de la scène ou du
dialogue entre ses personnages que de ramener coûte que
coûte une reprise à deux ou trois voix, et ces innovations
si frappantes dans tout l'acte du jardin, de Faust, inno-

i, Voir 190 année, tome II, page 227.

vations qui, peu à peu, devinrent un modèle pour tous les
musiciens de son pays, trouvèrent d'abord le public fort
défiant et la presse ouvertement hostile. Il eut donc le
premier, chez nous, la prescience de ce que pouvait
devenir sinon un acte, au moins toute une scène traitée en
dehors des règles jusqu'alors respectées, et il sentit aussi
comment, l'orchestre, au lieu d'accompagner simplement
la voix, pouvait former comme le fond du tableau musical
qu'il rêvait de peindre : il chercha donc à le marier si
bien avec les voix qu'il ne pût, pour ainsi dire, plus se
séparer d'elles et qu'il formât, durant toute la scène ou
tout l'acte,' une sorte de symphonie intimement liée au
drame que les artistes devaient jouer et chanter.

Et c'est de lui qu'on put dire aussi, tout d'abord, qu'il
subordonnait les voix à l'orchestre ou plutôt les fondait,
les enveloppait trop dans l'ensemble instrumental; mais
ce qui pouvait être un reproche il y a trente ou quarante
ans, lorsque parut Faust, est devenu, avec le temps, le
plus précieux des éloges. Ces rares qualités d'inspiration
mélodique d'entente orchestrale et d'intelligence scénique
expliquent donc grandement, en se reportant à l'époque
ou les opéras de Gounod parurent dans le monde, et les
critiques acerbes qu'ils soulevèrent tout d'abord, et les
délicieuses jouissances qu'ils procurèrent aux amateurs, et
l'influence souveraine qu'ils exercèrent sur tous les com-
positeurs de son pays. Influence à ce point générale que ce
ne furent pas seulement les jeunes musiciens entrant dans
la carrière après Gounod, au moment de ses plus grands
succès, qui la subirent, mais aussi ses aînés, dont l'orien-
tation se modifia tout à coup et qui, pour n'en citer que
deux, écrivirent Mignon après le Roman d'Elvire, Paul
et Virginie après le Fils du brigadier : se peut-il voir
preuve plus éclatante du grand empire exercé par Gounod
sur tout le monde musical français?

VII

Pourquoi faut-il qu'un homme si admirablement doué
et qui,'lui aussi, dans la mesure de ses forces, fut indis-
cutablement un novateur, ait été pris sur le tard d'une
jalousie un peu puérile à l'égard du révolutionnaire alle-
mand qui bouleversait l'art lyrique, et qu'il ait alors modi-
fié sa propre musique dans un sens absolument contraire
à celui qu'il avait d'abord suivi? Ce revirement fut tel, je
l'ai déjà dit, qu'on n'en avait jamais vu chez aucun com-
positeur. Ordinairement, les musiciens, à mesure qu'ils
avancent dans la carrière, acquièrent de nouvelles forces
I et suivent une marche ascendante, au moins tant qu'ils ne
I sont pas arrivés à la vieillesse. Il se produit même avec
certains d'entre eux, tels que Rossini et Verdi, une révéla-
 
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