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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Courrier dramatique
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COURRIER DRAMATIQUE. io3

L'Automne, de MM. Paul Adam et Gabriel Mourey, a
été, nous l'avons dit, interdit par la censure : c'est à cette
bonne fortune qu'il devra d'être quelque peu lu et discuté.
Joué sur une scène parisienne, l'ouvrage eût promptement
sombré, ne présentant véritablement rien qui pût lui valoir
— même un succès d'estime.

Il y a deux pièces distinctes dans ce drame : qu'on me
permette de les résumer très brièvement.

i° Le directeur d'une société industrielle s'est vu
obligé, bien qu'à regret, de refuser à ses ouvriers l'augmen-
tation de salaire qu'il reconnaît, d'ailleurs, leur être néces-
saire pour vivre. Les verriers se mettent en grève; à quoi
il répond par l'embauchage d'ouvriers étrangers. De là,
comme bien on pense, tumulte et collision. La troupe
intervient, les fusils partent tout seuls, et... c'est le massacre
de Fourmies. — Le plus déplorable, c'est que la fusillade
éclate précisément au moment où le directeur avait trouvé
le moyen — qu'il ne nous révèle pas — de céder aux
réclamations des ouvriers sans compromettre les intérêts
des actionnaires qu'il représente.

Toute cette partie socialiste est extrêmement faible.Cela
a été conçu et exécuté sans études préalables. Le patron
est tour à tour indécis ou obstiné à l'excès sans motifs. Il
est incompréhensible, cet homme, et nous Talions bien
voir dans la seconde pièce.

2° La famille du directeur, M. de Mornant, est singu-
lièrement composée : Mme de Mornant, dont la froideur a,
depuis longtemps, éloigné son mari, s'est renfermée et
desséchée dans le plus étroit bigotisme; elle n'aime au
monde qu'une jeune femme jadis recueillie par elle,
Mmc Luce de Hampden, qui l'imite dans ses pieuses
pratiques. Le fils de la maison est un débauché, un pro-
digue — et surtout un soudard des plus mal élevés. Il a
amené, pour lui faire épouser les deux millions de dot de
sa sœur, un camarade de régiment, le marquis de Bayard-
Montfort, dont la spécialité consiste à émailler des paons
à grand renfort de pierres précieuses. La fiancée est digne
de son futur seigneur. Quelle drôle de famille!... Je n'ai
plus à vous présenter que l'abbé Sinésius, jeune prêtre qui
« n'a jamais parlé de Dieu », et le docteur Knopff qui
voyage continuellement de l'atelier au salon, ménageant
la chèvre socialiste et se nourrissant du chou conser-
vateur.

Certes, l'originalité d'un personnage n'est pas pour me
déplaire; encore voudrais-je qu'elle fût tout au moins
expliquée par les développements psychologiques des
caractères. Rien de tel ici : héros et situations s'enche-
vêtrent de la façon la plus arbitraire et la moins compré-
hensible. Mme de Mornant est partie pour Vichy, laissant
seuls à la maison son mari et Mmc de'Hampden ; — ces
deux êtres s'adoraient sans le savoir, et depuis bien long-
temps. Aussi rattrapent-ils le temps perdu. Après une
minute d'aveux pleins de réticences, ils tombent dans les
bras l'un de l'autre, sans s'inquiéter de la grève qui gronde
cependant, et a commencé sous leurs yeux.

Mais l'abbé Sinésius veille. Après avoir en vain cha-
pitré Luce de Hampden, il finit par lui arracher, devant
Mmc de Mornant qui est revenue de Vichy, l'aveu de sa
faute. Peut-être eût-il mieux valu accommoder une sépara-
tion à l'amiable. Luce chassée, le directeur tombe frappé
d'une attaque d'apoplexie; tout, d'ailleurs, y a contribué :
la tournure menaçante que prend la grève, les frasques
nouvelles du beau Guy de Mornant, la disparition du
fiancé qui ne veut pas épouser une fille sans dot (l'émail-;
lage des paons coûtant fort cher). Rassurez-vous : tout
finira bien. Mme de Mornant consentira au retour de sa

rivale que le pauvre mari ne cesse de réclamer. Les affaires
reprendront, la prédication des baïonnettes ayant produit
tout l'effet désiré, et l'amour du marquis pour Germaine
reviendra, plus fort qu'auparavant. Enfin l'abbé ira caté-
chiser les petits Chinois.

Ce qu'il est difficile d'exprimer, c'est l'incohérence de
tous les pantins qui figurent dans cette œuvre enfantine.
Et puis, quel style affligeant! Lorsque M. Barrés interpella
au sujet de cette pièce M. le Ministre de l'Instruction
publique, avait-il lu, avant de prendre sa défense, « sous
l'œil des barbares » des passages tels que ceux-ci :

Luce.

C'est au couvent où elle allait faire ses retraites que
nous nous sommes connues. Elle était comme ma grande
médaille (?), elle avait charge de mon âme...

Mornant.

... Quand on porte un nom comme le sien, il faut tenir
le rang qu'zV impose... // ne peut subordonner...

Voilà un prénom chargé de bien des emplois à la fois.
Continuons :

« Quoi! Je suis ce que j'ai toujours été. Ce à quoi la
reconnaissance m'oblige. »

« Pourquoi le mépriser autant que d'en faire un
jouet », etc.

Je suppose que les auteurs ont voulu dire : « au point
d'en faire un jouet ».

Je les supplie à présent de vouloir bien m'expliquer le
sens de ces phrases :

« Y eut-il jamais un amour sincère pour ne pas se
consommer ? »

« Ma pauvre enfant, le péché resplendit de vous !
n'espérez pas le dissimuler avec du mensonge... »

Voici enfin une perle encore plus chatoyante :

« Il est contraire à toute la loi morale que cette femme
rapporte le vice à cet homme. »

Je croyais que le vice était, comme disent les philo-
sophes, subjectif, et ne pouvait guère se transporter.
Ce n'est pas l'avis du bon Sinésius, qui réplique avec
calme :

« Mais, Madame, le vice lui est désormais impos-
sible. »

Oh ! Monsieur l'abbé, je crois que la jalousie vous
pousse à calomnier votre rival. On se remet d'une attaque
d'apoplexie, que diable !

MM. Paul Adam et Gabriel Mourey ont aussi une
singulière façon de faire converser leurs personnages.
Mme de Hampden interpelle son amant en ces termes :
« Que faites-vous, Charles de Mornant? » Quoi! le pré-
nom, la particule et le nom, c'est bien long, et peu usité,
ce me semble. Il lui rend, d'ailleurs, la pareille avec un
grand sérieux.

Peut-être me trouverez-vous un peu sévère, mais il est
agaçant d'entendre crier au chef-d'œuvre pour une tenta-
tive qui n'est pas pire que beaucoup d'autres assurément,
mais qui n'émerge point d'une moyenne médiocre. On a
comparé l'Automne aux Tisserands.Ah non! par exemple,
je proteste. Les hommes qui s'agitent, qui souffrent et qui
hurlent, dans le drame de M. Hauptmann, n'ont rien de
commun avec les poupées mécaniques et prétentieuses
dont nous avons essayé d'esquisser les gestes bizarres. Il
ne s'agissait, au fond, que d'un petit accès de snobisme
littéraire, auquel il serait exagéré d'attacher une impor-
tance quelconque.

Edmond Stoullig.
 
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