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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 19.1893 (Teil 2)

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Art dramatique
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204

L'ART.

celui-ci le menace de le faire fusiller sur l'heure, sans
autre forme de procès. — « Tout comme le duc d'En-
ghien! » s'écrie l'étranger. A ce mot, le maître change
d'idée, et donne l'ordre de le garder à vue. Mais, de con-
cert avec Fouché. qui « la connaît dans les coins », la
maréchale s'ingénie à le faire évader, et y réussit. Napo-
léon pardonne d'autant plus volontiers que, grâce à l'in-
terception d'une lettre écrite par Marie-Louise à son père,
l'empereur d'Autriche, il est désormais rassuré sur son
honneur : l'impératrice n'a jamais été coupable.— Patience,
mon empereur, elle le sera sous peu!

La trame est bien légère, comme vous voyez, mais
quelles riches, quelles étincelantes et quelles curieuses
broderies! Jamais œuvre ne fut plus soigneusement [six
répétitions en costumes, nous a-t-on dit) et plus fastueu-
sement montée ; jamais pièce ne fut plus amoureusement,
plus merveilleusement mise en scène : c'est, sous ce rap-
port du moins, un pur chef-d'œuvre artistique.

Que dire de la spirituelle, de l'amusante Réjane, sinon
qu'elle était faite pour le rôle de Madame Sans-Gêne,
comme le rôle était fait pour elle ; de l'excellent et superbe
Candé, sinon qu'il est parfait, ce qui s'appelle parfait sous
l'habit de cour chamarré d'or de maréchal, comme sous
les simples galons du sergent Joseph Lefebvre; de
M. Duquesne, si ce n'est qu'il réalise à miracle le type de
l'empereur, tel que M. Sardou a pris soin de l'établir sui-
de nouveaux et authentiques documents. Très bien,
M. Grand, qui fait Neipperg; fort plaisant, encore une
fois, M. Galipaux, en vieux maître de danse; tout à fait
intéressant, M. Lérand, sous les traits de Fouché, le roi
des limiers. Et puis, il y a plus de quarante rôles, tous
congrûment tenus; et des jolies femmes, Mlles Verneuil
et Drunzer en tête, entre lesquelles il n'y a — pour l'œil
s'entend! — que l'embarras du choix; et des décolletages
suggestifs ; et des toilettes admirables autant qu'amu-
santes : bref, tout ce qu'il faut pour assurer à l'œuvre de
MM. Sardou et Moreau, si dignement aidés en la circons-
tance par MM. Albert Carré et Porel, un long, un très
long succès de mode et de curiosité : tant pis, cette fois,
pour les psychologues !

Passons au Gymnase. — Entre sa femme et sa belle-
mère, le comte de Chantelaur s'ennuie. Voilà qui n'a rien
d'étonnant; sa belle-mère est une vieille dévote; sa femme
est une comtesse faite comme une bonne petite bourgeoise,
un peu sérieuse pour un mari qui n'a pas renoncé au
plaisir. C'est à peine si l'intérieur de ce château en Poitou
est égayé par les beaux yeux d'une petite belle-sœur en
quête d'un mari. La troupe des Variétés est justement
venue en tournée à Poitiers. Après la représentation,
Chantelaur a soupé avec les artistes, et il s'est amouraché
de la diva avec laquelle il voudrait bien faire une fugue
jusqu'à Paris. Mais quel prétexte donnera cette escapade?
Il apprend qu'une circonscription électorale du Midi
manque de candidat : Chantelaur se présentera comme
député légitimiste aux électeurs républicains de Bombi-
gnac. Que dis-je ? il partira pour Paris avec Sidonie, la
diva, et il enverra là-bas, à sa place, son secrétaire et ami
Pinteau. ■— « Dépense l'argent que tu voudras, lui dit-il,
pose ma candidature, et va te promener... » —■ « Mais s'il
y a ballottage? » — « Tant mieux! Nous repartirons : ça
nous fera quinze jours de plus! »

Quand s'ouvre le second acte, ni le comte de Chante-
laur, ni son secrétaire n'ont encore reparu au château ;
mais on a reçu des dépêches que la belle-mère s'est
empressée d'ouvrir, sous prétexte qu'on décachète toujours
un télégramme. Chantelaur est élu. C'est ce qu'à sa
grande stupéfaction lui apprend son secrétaire Pinteau,
qui a profité de la circonstance et du crédit illimité qui
lui était ouvert pour faire la cour à M"e Anaïs, une jeune
modiste de Bombignac, épave désillusionnée de la vie

parisienne. Et voilà la belle-mère qui commande un
Te Deum d'actions de grâces. Pinteau n'a pas tout dit, en
effet : le secrétaire, qui professe des idées républicaines, a
si bien travaillé que le comte de Chantelaur est élu, mais
comme radical. Que voulez-vous? Il n'y avait pas d'autre
moyen de réussir.

Vous voyez alors la situation de Chantelaur à qui son
élection a coûté la bagatelle de soixante mille francs.
Pinteau a décidément bien fait les choses... Il les a si bien
faites que Mlle Anaïs est venue le relancer jusqu'à
Poitiers, et annonce son arrivée au château : terreur de
Chantelaur, qui la prend pour Sidonie, et terreur d'un
ami de la maison, de Morard, qui, dans Anaïs, a reconnu
une de ses anciennes maîtresses, précisément installée à
Bombignac. Il va sans dire qu'Anaïs et Sidonie ne
paraissent pas plus l'une que l'autre, et que tout s'arran-
gera le mieux du monde, puisque la comtesse ignore à
tout jamais les fredaines de son mari, et que de Morard
épousera la petite belle-sœur. — « Nous partagerons la
belle-mère! » dit Chantelaur.

Tel est le mot de la fin de cet aimable et fort amusant
vaudeville, infiniment mieux placé sur une scène de genre
qu'au Théâtre-Français, où il fut donné pour la première
fois il y a quelque neuf ans — alors que M. Alexandre
Bisson n'était pas encore le triomphant auteur des Sur-
prises du divorce et de la Famille Pont-Biquet.

M. Noblet, qu'ont avec raison tenu à garder les
nouveaux directeurs du Gymnase, s'est montré, sous
les traits de Chantelaur que créa Coquelin aîné (saluez !)
le charmant Noblet plein de verve que nous con-
naissons, et Pinteau, où se fit applaudir Coquelin cadet,
a valu, cette fois, au boulevard Bonne-Nouvelle, un très
vif succès à M. Numès, qui l'a joué en véritable comédien,
avec beaucoup de simplicité et de sincérité.

Dans une pièce dite « à spectacle », comme les Bicy-
clistes en voyage, l'intrigue a une importance si minime,
n'étant que le fil destiné à relier entre eux les décors et les
défilés, qu'on peut la passer sous silence, sans pour cela
trop mésestimer 1' « œuvre » en son ensemble. Je ne vous
raconterai donc pas — n'ayez peur ! — les émouvantes
péripéties par lesquelles passe un héritage avant de tomber
des mains de collatéraux avides ou niais entre celles du
héros de l'histoire, lequel n'est autre, comme bien vous
pensez, qu'un bicycliste. Mais aussi, quel bicycliste ! Le
phénix de la pédale, le parangon du pneumatique. Beau,
jeune, fier « et même un peu farouche », comme il con-
vient au vainqueur de tous les matchs, au tombeur de tous
ses rivaux étrangers, fils de ses œuvres, Messieurs, car il
est « sorti le premier de l'École de Châlons », en un mot,
le Sar « Pédalant » du Cycle héroïque français. Après
avoir couru des jours entiers, il reviendra à Paris, le sou-
rire sur les lèvres, et épousera la douce Jenny. Heureuse
Jenny !

Une folle gaieté, — le théâtre en porte le nom, —
entraîne le tout dans son mouvement rapide. Il y a de la
farce, et peut-être de l'épopée là dedans. Le combat des
cyclistes superbes et généreux contre les humains pervers
et avaricieux a quelque chose de miltonien. On revient
de ce spectacle pénétré d'un saint respect pour le véloci-
pède, sa mission spéciale, sa force civilisatrice.

Outre cette haute impression morale, il y a le plaisir
des yeux : après l'éthique, l'esthétique. Un ballet char-
mant, avec bicyclettes fleuries et enrubannées, permet
d'admirer les grâces de Mlles Labounskaya et Litini. Les
costumes sont jolis, les chœurs, l'orchestre très suffisam-
ment stylés, et la musique, prise un peu partout, fort gail-
larde. Parmi les acteurs, Fugère, — si amusant, si vif, si
plein d'entrain ! — fut le véritable héros de la soirée.

Edmond Stoullig.
 
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