MARS 1902
seurs, à Carrière, à Besnard, ie soin de
réaliser des oeuvres méditatives et intellec-
tuelles. Mais ces hommes n'auraient pas
existé s'il ne leur avait ouvert des routes,
et tout l'impressionnisme est empreint de
ce fier désintéressement, cause de son âpre
combativité.
Il nous a apporté un sourire, une bouffée
d'air pur, le toucher caressant de la vie en-
soleillée. Il a fait appel à des sentiments
simples et libres. Il est si prenant qu'on
aime jusqu'à ses erreurs : elles le font plus
humain et plus accessible. Dans les musées,
nous voyons des choses plus parfaites. Mais
leur perfection même nous en éloigne et
nous donne la sensation de la mort. Nous
n'avons qu'à nous taire, notre admiration
déférente sent l'inutilité des paroles, et notre
âme n'a rien à ajouter. Qui de nous oserait
ajouter un peu de soi-même à Léonard ou
à Rembrandt? Nous contemplons, respectueux,
et nous nous en allons.
Le mort a reçu un
hommage de plus, mais
nous n'avons acquis,
peut-être, que le sen-
timent de notre impuis-
sance, et notre admi-
ration est d'essence
mystique. Mais devant
les impressionnistes,
elle est vivante et fra-
ternelle. Nous nous
associons à leur œuvre,
palpitante de la vie
d'hier: un don magni-
fique éclate, mais un
défaut nous rassure.
Nous voyons ce qui
manque, nous sentons
l'endroit où la main
du peintre a trahi son
désir, nous goûtons le
charme délicieux du
défaut qui le rap-
proche des nôtres, bien
que sans perversité.
Et surtout nous goû-
tons la joie, la lu-
mière, le grand coup
de soleil que ces
hommes ont tant aimé.
Nous nous promenons
dans leur œuvre comme
dans un jardin baigné d'après-midi. Avoir
chez soi la Afé/anco/fe de Durer, c'est bien,
mais y avoir aussi un Claude Monet, c'est y
posséder un sourire de l'art. C'est peut-être
pour cela que les poètes symbolistes ont eu
le culte de l'impressionnisme, eux qui venaient
après ce mouvement, compagnon d'armes du
réalisme qu'ils reniaient, eux que son choix
des sujets simples, sa répugnance à tout
symbolisme, eut dû choquer. Ils ont apprécié
dans cette peinture le naturel, la gaîté lumi-
neuse, la primitivité que leurs âmes com-
plexes ne retrouvaient plus en elles-mêmes.
M. Renoir, spécialement, apparaîtra
comme la personnalité emblématique du
groupe, la plus variée, la plus captivante, la
plus séductrice et la plus inégale, celle aussi
qui s'est le mieux approchée de la poésie qui
l'a suivi. J'ai eu à prononcer plusieurs ML
dans cette étude le nom de Mallarmé. Et en
effet M. Renoir a été très proche de certains
A. RENOIR
327
JEUNES FILLES ASSISES
seurs, à Carrière, à Besnard, ie soin de
réaliser des oeuvres méditatives et intellec-
tuelles. Mais ces hommes n'auraient pas
existé s'il ne leur avait ouvert des routes,
et tout l'impressionnisme est empreint de
ce fier désintéressement, cause de son âpre
combativité.
Il nous a apporté un sourire, une bouffée
d'air pur, le toucher caressant de la vie en-
soleillée. Il a fait appel à des sentiments
simples et libres. Il est si prenant qu'on
aime jusqu'à ses erreurs : elles le font plus
humain et plus accessible. Dans les musées,
nous voyons des choses plus parfaites. Mais
leur perfection même nous en éloigne et
nous donne la sensation de la mort. Nous
n'avons qu'à nous taire, notre admiration
déférente sent l'inutilité des paroles, et notre
âme n'a rien à ajouter. Qui de nous oserait
ajouter un peu de soi-même à Léonard ou
à Rembrandt? Nous contemplons, respectueux,
et nous nous en allons.
Le mort a reçu un
hommage de plus, mais
nous n'avons acquis,
peut-être, que le sen-
timent de notre impuis-
sance, et notre admi-
ration est d'essence
mystique. Mais devant
les impressionnistes,
elle est vivante et fra-
ternelle. Nous nous
associons à leur œuvre,
palpitante de la vie
d'hier: un don magni-
fique éclate, mais un
défaut nous rassure.
Nous voyons ce qui
manque, nous sentons
l'endroit où la main
du peintre a trahi son
désir, nous goûtons le
charme délicieux du
défaut qui le rap-
proche des nôtres, bien
que sans perversité.
Et surtout nous goû-
tons la joie, la lu-
mière, le grand coup
de soleil que ces
hommes ont tant aimé.
Nous nous promenons
dans leur œuvre comme
dans un jardin baigné d'après-midi. Avoir
chez soi la Afé/anco/fe de Durer, c'est bien,
mais y avoir aussi un Claude Monet, c'est y
posséder un sourire de l'art. C'est peut-être
pour cela que les poètes symbolistes ont eu
le culte de l'impressionnisme, eux qui venaient
après ce mouvement, compagnon d'armes du
réalisme qu'ils reniaient, eux que son choix
des sujets simples, sa répugnance à tout
symbolisme, eut dû choquer. Ils ont apprécié
dans cette peinture le naturel, la gaîté lumi-
neuse, la primitivité que leurs âmes com-
plexes ne retrouvaient plus en elles-mêmes.
M. Renoir, spécialement, apparaîtra
comme la personnalité emblématique du
groupe, la plus variée, la plus captivante, la
plus séductrice et la plus inégale, celle aussi
qui s'est le mieux approchée de la poésie qui
l'a suivi. J'ai eu à prononcer plusieurs ML
dans cette étude le nom de Mallarmé. Et en
effet M. Renoir a été très proche de certains
A. RENOIR
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JEUNES FILLES ASSISES