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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 4,2.1902

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No. 45 (Juin 1902)
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Jacques, G. M.: Pour l'hiver prochain
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https://doi.org/10.11588/diglit.34269#0151

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JUIN 1902

sentent des frais de l'entreprise. La manifestation
artistique sera doublée d'une affaire bien com-
prise, et cela ne sera pas son moindre mérite,
car si l'idée du rêveur peut germer à la longue,
l'homme pratique seul impose la sienne de suite.
Le projet de la Société des Artistes déco-
rateurs vient, du reste, à son heure. Le public
commençait à donner des signes de lassitude
des débauches de bibelots auxquelles on le
convie sans cesse. Ces exhibitions d'objets de
toute sorte, d'un art quelquefois bon, d'autres
fois médiocre, peut-être appliqué mais rarement
applicable, souvent gros de prétentions dans
l'inutilité, devaient finir par engendrer la fatigue.
Au dernier vernissage, j'ai surpris dans des
conversations autour de moi des phrases comme
celle-ci, « trop de bibelots H ; j'ai lu dans un
grand journal du matin que K les décorateurs
deviennent encombrants. H Sans doute, on ne
doit pas attacher d'importance à ces propos
impertinents, mais il ne faut pas non plus les
négliger tout à fait. Ils sont un symptôme, et
montrent qu'il est temps de ne pas laisser l'in-
différence gagner le public. La Société des Artistes
décorateurs l'a compris. Elle veut montrer que
les noblesses de l'art n'ont rien d'incompatible
avec les réalités de la vie courante, et que la
corporation qu'elle représente saura tenir compte
des exigences du sens pratique dans les travaux
qui relèvent de celui-ci.
On ne pouvait être mieux inspiré. Cela dit, il
ne faut pas se dissimuler les dangers de l'expé-
rience. On va jouer une grosse partie sur un
coup de dés. Après elle, l'intérêt du public aux
travaux des décorateurs dépendra de l'opinion
qu'il se sera formée. Il faut qu'elle réussisse ;
sinon, le résultat serait le contraire de celui
qu'on attend. Or, pour qu'elle réussisse, il est
nécessaire avant tout que ceux qui vont la tenter
considèrent moins leurs propres désirs d'artistes
que les besoins des autres. Ils doivent faire la
distinction entre ce qui n'est chez le public que
la curiosité de leurs œuvres nouvelles, et ses
désirs secrets ; entre la soif d'amusements qui
pousse les foules vers un spectacle après lequel
chacun rentre chez soi et n'y pense plus, et des
aspirations encore à l'état vague, mal défini,
mais discernables pour l'observateur sans parti
pris.
On trouve des indices sur ces aspirations dans
deux remarques. La première est que si la plus
grande partie du public reste fidèle aux anciens
styles, ce n'est pas par attachement à ces styles,
ni même par habitude. Il est assez puéril de
croire que le public se soucie d'Henri II, de
Louis XIV ou de Louis XVI. Il garde les formes
de ces temps parce qu'elles répondent encore
mieux, ou moins mal, à ce qu'il lui faut que les
choses qu'on lui a présentées jusqu'ici. Il ne
répugne pas au nouveau ; il adopte vite les

progrès par lesquels ses conditions d'existence
sont améliorées, ses commodités augmentées;
pourquoi ferait-il exception pour ceux qui
touchent au plaisir de ses yeux'? La France pos-
sède un architecte-décorateur — je n'ai pas à le
désigner ici — auteur de travaux comparables à
ceux de styles anciens par la bonne tenue, la
bienséance des allures et le sens des exigences
des classes moyennes auxquels ils sont destinés ;
il reçoit des commandes, autant qu'il en peut
exécuter. Si les choses proposées au public
par les autres ne rencontrent qu'un nombre très
faible d'amateurs, c'est qu'elles sont entachées
d'un vice congénital. Ce vice, c'est qu'on y
cherche trop à étonner par l'imprévu, et pas assez
à satisfaire par le séant.
La seconde remarque, c'est que les styles
anciens que l'on recherche aujourd'hui sont les
moins surchargés d'ornements: c'est le Louis XVI,
c'est l'Empire et la Restauration ; on en vient
même à trouver que l'époque de Louis-Philippe
tant raillée a du bon. Si l'on recourt au
Louis XV, on fait de son mieux pour le purifier
de l'excès de fioritures. Les styles très chargés,
comme le Louis XIV, ont perdu tout crédit.
Personne ne voudrait du Napoléon III, type
suprême du désordre dans la profusion. Il a
fallu je ne sais quelles interventions, l'autre jour,
pour qu'on ne jetât pas bas la misérable salade
qu'est l'hôtel Païva, le chef-d'œuvre de l'époque.
La vogue persistante du style Empire devrait
surtout donner à réfléchir. Elle est plus qu'une
mode : c'est un symptôme. Elle veut dire que ce
qui n'est plus en communion avec l'esprit du
siècle dans le vieil art, ce sont encore moins
les formes que l'insupportable profusion de l'or-
nement, l'absence de discrétion et de discerne-
ment dans son emploi.
Les artistes militants ont inscrit ces mots sur
leur bannière : K L'art dans tout. H Mauvaise
devise. Celle à laquelle le public répondra, c'est:
« De bon art, et rien que juste ce qu'il en faut, n
Morris et dix autres qui prétendirent nous donner
comme modèle le moyen âge artiste se sont
trompés grossièrement. Qu'y a-t-il de commun
entre l'âme des croyants du XIV^ siècle, faite
de quelques sentiments élémentaires, et la nôtre ?
A côté de la Foi, de la fidélité au Roi, de
l'amour des siens, il restait place, beaucoup de
place en eux pour s'attendrir sur les touchantes
images que leurs artistes leur mettaient partout
sous les yeux ou s'extasier des ingénieux enfan-
tillages de leurs artisans. Nous, nous avons bien
autre chose à faire ! C'est à la vitesse de cent
kilomètres à l'heure qu'il nous faut jouir de
l'art. Il doit nous montrer la chose nette, concise,
exempte de ce qui encombre la vision, débar-
rassée d'impédiments auxquels nous n'avons plus
le temps de nous arrêter, ni l'envie. Notre sen-
timent de la beauté matérielle ne demande plus

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