AOUT 1902
l'intrusion des arts dans ta toilette. Je remar-
quais encore hier, du côté de la Madeleine, une
dame vêtue d'une robe en foulard qui devait
être bien joli sur la pièce, un dessin ravis-
sant ; la toilette, bien coupée cependant, était
la plus affreuse du monde. Il n'y a guère de
rapports entre la valeur graphique d'une étoffe
et ses qualités d'adaptation au corps. Les deux
peuvent se trouver réunis, mais c'est plutôt
l'exception. Pour le tissu dans lequel le prin-
cipal du vêtement est coupé, ii faut un
motif insignifiant, qui passe inaperçu, s'il
n'est tout bonnement uni. On s'habille d'une
étoffe, on ne s'affuble pas d'un dessin. La
superposition du chef-d'œuvre de Chose, des-
sinateur en renom, au chef-d'œuvre naturel
qu'est la beauté de la femme (toutes sont
belles, c'est entendu , est un pataquès gro-
tesque, auquel pas une vraie élégante ne
voudrait consentir.
Mais la nullité du dessin au profit de la
vision des formes, des attitudes et des mou-
vements du corps, loi pour le tissu dont est
fait le principal du vêtement, perd ses droits
dans l'accessoire. On peut préférer autre
chose à un empiècement de dentelle pour
faire prééminer les épaules ou la poitrine ;
mais si on l'adopte, il le faut bien tracé. La
vitrine de M. Courteix au Salon montrait un
joli choix de pièces, où la recherche évitait
l'écueil de la prétention avec tact. Nous en
avons déjà reproduit une, et nous en don-
nons une seconde, un collet dessiné avec
beaucoup de goût et très finement exécuté.
De la boîte de Pandore qu'est le Sa-
lon, sortons encore une lampe électrique de
M. Henri Sauvage, qu'on ne saurait accuser
de se traîner dans les sentiers battus. Ses
idées côtoient même par-ci par-là la singula-
rité; mais une adresse consommée et surtout
son talent le sauvent où vingt autres se cas-
seraient le cou. Ainsi cette lampe, avec ses
deux feuilles immenses, qui sont les abat-
jour, déconcerte d'abord; on s'aperçoit
ensuite que chaque partie est conduite
avec une sûreté peu commune, d'une main
qui n'abandonne rien au bonheur du crayon,
avec un goût qui garde quelque chose de
classique dans l'insolite. — et l'on s'y fait.
On a placé ici la reproduction de deux
meubles qui figuraient au Salon de la Société
Nationale. L'un est une gentille table à thé
de M. Albrizio, un tout jeune homme.
L'autre, où les médaiiles d'un amateur seront
serrées, est de M. Angst; c'est un meuble
parfaitement composé, où chaque pièce rem-
plit son but avec précision dans un ensemble
exempt de recherche apparente, et cependant
empreint de distinction. Il est de caractère
plutôt sérieux, comme il convient à ceux
d'un cabinet de travail; l'auteur devait donc
laisser l'ornement de côté, ou à peu près, et
s'en tenir aux ressources de l'architecture
mobiliaire. Or, ces ressources sont maigres,
et infiniment plus difficiles à manier qu'on
ne croit.
Le meuble dont nous parlons a été très
remarqué au Salon. L'auteur a d'autant plus
droit aux compliments que sa qualité de
sculpteur (M. Angst est un des plus distin-
gués élèves de M. Dampq l'aurait prédisposé
plutôt à faire fausse route. Car l'état d'àme
habituel d'un artiste est l'opposé de l'esprit
dans lequel on doit se placer pour faire du
meuble. Qu'est-ce en effet que l'art? Un
produit de l'esprit à l'enfantement duquel
l'imagination, ou le sentiment, ou les deux
ont pris la part principale ; produit abstrait
2 t 3
l'intrusion des arts dans ta toilette. Je remar-
quais encore hier, du côté de la Madeleine, une
dame vêtue d'une robe en foulard qui devait
être bien joli sur la pièce, un dessin ravis-
sant ; la toilette, bien coupée cependant, était
la plus affreuse du monde. Il n'y a guère de
rapports entre la valeur graphique d'une étoffe
et ses qualités d'adaptation au corps. Les deux
peuvent se trouver réunis, mais c'est plutôt
l'exception. Pour le tissu dans lequel le prin-
cipal du vêtement est coupé, ii faut un
motif insignifiant, qui passe inaperçu, s'il
n'est tout bonnement uni. On s'habille d'une
étoffe, on ne s'affuble pas d'un dessin. La
superposition du chef-d'œuvre de Chose, des-
sinateur en renom, au chef-d'œuvre naturel
qu'est la beauté de la femme (toutes sont
belles, c'est entendu , est un pataquès gro-
tesque, auquel pas une vraie élégante ne
voudrait consentir.
Mais la nullité du dessin au profit de la
vision des formes, des attitudes et des mou-
vements du corps, loi pour le tissu dont est
fait le principal du vêtement, perd ses droits
dans l'accessoire. On peut préférer autre
chose à un empiècement de dentelle pour
faire prééminer les épaules ou la poitrine ;
mais si on l'adopte, il le faut bien tracé. La
vitrine de M. Courteix au Salon montrait un
joli choix de pièces, où la recherche évitait
l'écueil de la prétention avec tact. Nous en
avons déjà reproduit une, et nous en don-
nons une seconde, un collet dessiné avec
beaucoup de goût et très finement exécuté.
De la boîte de Pandore qu'est le Sa-
lon, sortons encore une lampe électrique de
M. Henri Sauvage, qu'on ne saurait accuser
de se traîner dans les sentiers battus. Ses
idées côtoient même par-ci par-là la singula-
rité; mais une adresse consommée et surtout
son talent le sauvent où vingt autres se cas-
seraient le cou. Ainsi cette lampe, avec ses
deux feuilles immenses, qui sont les abat-
jour, déconcerte d'abord; on s'aperçoit
ensuite que chaque partie est conduite
avec une sûreté peu commune, d'une main
qui n'abandonne rien au bonheur du crayon,
avec un goût qui garde quelque chose de
classique dans l'insolite. — et l'on s'y fait.
On a placé ici la reproduction de deux
meubles qui figuraient au Salon de la Société
Nationale. L'un est une gentille table à thé
de M. Albrizio, un tout jeune homme.
L'autre, où les médaiiles d'un amateur seront
serrées, est de M. Angst; c'est un meuble
parfaitement composé, où chaque pièce rem-
plit son but avec précision dans un ensemble
exempt de recherche apparente, et cependant
empreint de distinction. Il est de caractère
plutôt sérieux, comme il convient à ceux
d'un cabinet de travail; l'auteur devait donc
laisser l'ornement de côté, ou à peu près, et
s'en tenir aux ressources de l'architecture
mobiliaire. Or, ces ressources sont maigres,
et infiniment plus difficiles à manier qu'on
ne croit.
Le meuble dont nous parlons a été très
remarqué au Salon. L'auteur a d'autant plus
droit aux compliments que sa qualité de
sculpteur (M. Angst est un des plus distin-
gués élèves de M. Dampq l'aurait prédisposé
plutôt à faire fausse route. Car l'état d'àme
habituel d'un artiste est l'opposé de l'esprit
dans lequel on doit se placer pour faire du
meuble. Qu'est-ce en effet que l'art? Un
produit de l'esprit à l'enfantement duquel
l'imagination, ou le sentiment, ou les deux
ont pris la part principale ; produit abstrait
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