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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 4,2.1902

DOI Heft:
No. 49 (Octobre 1902)
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Thomas, Albert: Camille Lefèvre
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https://doi.org/10.11588/diglit.34269#0318

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L'ART DECORATIF



eut une enfance simple, mêlée au peuple,
studieuse et rêveuse aussi, nourrie de lec-
tures au-dessus de son âge. Il aimait la
représentation des choses. Il dessinait, le
soir, ses pieds et ses mains en silhouette
contre le mur de sa chambre, il modelait
des bonshommes avec l'argile destinée à
boucher les fentes des tonneaux. M. Lefèvre
ne contraria pas cette vocation. Camille
suivit les cours de l'Ecole des Arts déco-
ratifs ; puis il entra à l'Ecole des Beaux-
Arts, y glana toutes les récompenses qu'on
y pouvait obtenir, y remporta le second
grand prix de Rome et, la quittant, s'aperçut
qu'il n'y avait rien appris. Certes, il savait
toutes les recettes académiques, il avait
exécuté, selon la formule, un morceau con-
sidérable : le fronton du Crédit Lyonnais ;
mais il ignorait le mouvement, le libre jeu
des forces naturelles, il ignorait la vie. Cou-
rageusement, il résolut de la con-
naître. Laissant les cartons et les
plâtres, le répertoire poudreux du
passé, il s'en alla dans la rue. Il prit
alors conscience de la plastique ani-
mée, il vit les corps marcher ryth-
miquement, en équilibre, livrer leur
intime mécanisme, affirmer leurs reliefs
dans la lumière crue, surgir, simplifiés,
dans la brume de l'aube ou la pé-
nombre du crépuscule. Il comprit le
rôle de l'ambiance ; l'atmosphère lui
enseigna les plans et les valeurs, c'est-
à-dire les lois mêmes de la sculpture.
Mais, tandis qu'il suivait par les fau-
bourgs les types de la nation ouvrière,
il s'intéressa à leur existence, il connut

la rigueur de leur sort, scruta leurs
regards, leurs rides, leurs sourires,
devina leur résignation courageuse,
l'héroïsme de leur gaîté ; il se prit
pour eux d'un véritable amour, fait
d'admiration, de piété sérieuse et
tendre. Puis il rentra dans son atelier,
sans fermer la porte ouverte si heu-
reusement aux souffles du dehors, et,
presque aussitôt, il créa de belles
œuvres, car il venait d'avoir en même
temps la révélation du monde des
formes et de celui des âmes.
Ce fut d'abord une figure nue, «La
Visionnaire^', debout sur un roc, domi-
nant les flots d'où les races émergent
à la lumière candide, regardant monter
au loin l'aurore des nouveaux jours. Cette allé-
gorie personnifiait le rêve humanitaire du sculp-
teur et s'épigraphiait des vers de Victor Hugo :
« Temps futurs, vision sublime! — Les
peuples sont hors de l'abîme!...)' Malgré
des réminiscences classiques, elle avait de
l'accent et séduit Rodin. Après, ce fut «Dans
la rue"; le titre significatif disait les flâneries
à travers les quartiers pauvres, le souci de
faire connaître et de faire aimer les humbles.
« Dans la rue ", une femme du peuple pas-
sait, par un jour d'hiver, grelottant sous ses
vêtements minces et tenant un enfant. Elle
respirait la plus inquiète tendresse. Le
marmot, drôlement encapuchonné, appa-
raissait exquis. Sans doute, il sortait un peu
des plans généraux de l'œuvre, n'était pas
dans « la couleur " exacte de la mère, mais
Camille Lefèvre, en constatant cette erreur,
se pénétrait davantage des nécessités d'har-



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