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L'ART FRANÇAIS

à cette maestria, à cette simplification des moyens qui donnent a\.
ses oeuvres actuelles l’éclat et la puissance que le monde entier
admire aujourd’hui. De la patiente analyse, il s’est élevé à la
synthèse. Nul plus que lui n’évoque le souvenir des peintres
exquis de la Renaissance, des Léonard, des Corrège, des Rem-
brandt, de tous ces charmeurs des temps passés. Il renouvelle les
sensations précieuses que nous éprouvons à les contempler. Il le
fait, Messieurs, tout en restant personnel ; il ne fait qu’ajouter un
nom à cette brillante pléiade des vrais peintres.

» En entrant à l’Institut, il vient de recevoir la plus belle des
récompenses et je l’en iélicite. Qu’il me soit permis, néanmoins,
de dire que j’adresse également mes félicitations à l’Institut qui
s’est enrichi en l’adoptant...

» Je les félicite tous les deux et je bois à la santé de ce fils de
notre chère Alsace, à Jean-Jacques Henner ! »

Inutile d’ajouter que cette péroraison est saluée par les applau-
dissements unanimes.

M. Jules Ferry prend ensuite la parole, etdansune improvisation
qui mériterait de rester comme une véritable page de critique
d’art, salue M. Henner au nom des amis du dehors. On devine tout
ce qu’un orateur aussi éloquent que l’ancien président du Con-
seil pouvait tirer d’une pensée aussi délicate. M. Jules Ferry s’est
littéralement surpassé, et chaque phrase de son discours, pour
ainsi dire, soulevait des tonnerres d’applaudissements.

« C’est au nom des amis du dehors, dit-il, de ceux qui n’ont
point, pour parler de vous, l’autorité des deux illustres doyens de
l’art français que nous venons d’entendre, que je viens vous sa-
luer, mon cher Henner. C’est ici, en effet, la fête des intimes.
J’ai vraiment le droit de dire que bien peu d’hommes de ce temps-
ci pourraient réunir autour d’eux autant d’amis intimes que vous
en comptez assis à ce banquet... Aussi, prenez garde : vous qui
faites et refaites sans cesse les plans de la maison que vous devez
vous bâtir, vous voulez qu’elle soit la maison de Socrate, dites- !
vous ; mais veillez à ce qu’elle ne soit pas petite, si elle doit con-
tenir tous vos amis ; songez aussi que; plus vous tarderez à la bâ-
tir, plus vous devrez agrandir vos plans, comme s’agrandit de
jour en jour le cortège de ceux qui vous aiment et vous admirent
(Applaudissements).

» Nous avons saisi avec empressement cette occasion de vous
dire combien nous vous aimons, combien nous vous admirons et
aussi pourquoi nous vous admirons. Il faudra bien l’entendre,
mon cher Henner... Je connais votre modestie farouche, et je
crois bien que, si vous étiez libre à cette heure, si vous n’étiez re-
tenu par le respect de cette noble assemblée, vous auriez déjà dis-
paru par quelque couloir pour échapper à l’éloge. Votre modes-
tie est au pilori, mon cher Henner : laissez-la quelques instants
encore (Rires et applaudissements). »

» Nous vous admirons, mon cher Henner, non-seulement parce
que vous êtes un grand maître en l’art dépeindre, non-seulement
parce que vous êtes un des idéalistes les plus puissants de ce
temps-ci, mais encore et surtout parce que vous êtes un carac-
tère, une volonté. Et c’est la volonté qui vous a fait une place
unique dans cette grande école des peintres français du dix-neu-
viéme siècle, dont nous allons voir se dérouler dans quelques
jours, devant tout l’univers, la magnifique théorie (Applaudisse-
ments). C’est la volonté, inconsciente peut-être, comme l’est
toujours le génie qui vous a poussé, depuis le temps de votre
jeunesse pauvre, obscure et laborieuse, jusqu’à cette gloire où
vous êtes (Applaudissements), car vous n’êtes d’aucune école et
vous n’aurez pas d’élèves, et vous êtes à vous seul toute votre
école ! Et si l’on veut rechercher vos précurseurs et vos maîtres,
il faut, comme on le disait tout à l’heure avec autorité, remonter
par delà nos temps jusqu’aux premiers jours de la Renaissance,
jusqu’à ce grand et profond Léonard, épris comme vous des
colorations vibrantes et du rêve mystérieux de l’éternelle beauté
( \pplaudissemcnts).

Nous vous aimons, nous vous admirons, mon cher Henner,

parce que vous n’êtes pas de ceux qui flattent le public,
'qui le courtjsent et qui le suivent. Le public, vous l’avez
conquis par la force de votre volonté, de votre génie, vous
l’avez dompté, vous 1 avez ravi ! (Applaudissements.) A cet esprit
français, si préoccupé du sujet en peinture, si épris de l’anecdote,
vous avez fait accepter, adopter, admirer une conception de
l’art où le sujet n’est presque rien et qui peut se définir ainsi :
l’abstraction et la beauté dans la couleur (Très bien ! Bravo !) A
ce public amoureux des détails, façonné par des artistes d’une
habileté incomparable au réalisme le plus exigeant, vous avez
imposé le culte de la beauté idéale, immobile et souveraine.
Placé dans un milieu qu’entraînent des préoccupations tout op-
posées, vous avez, à vous tout seul, remonté le courant, et vous
l’avez fait victorieusement ; à cette école moderne, à la poursuite
de toutes les nouveautés, à ceux-là même qui recherchent pas-
sionnément les réalités de la lumière, les colorations grises et
claires, le plein air, comme on dit aujourd’hui, vous avez fait
accepter et admirer cette lumière qui n’est ni l’aube ni le crépus-
cule, et dont l’heure ne sonne à aucune horloge, car c’est l’heure
du rêve, du mystère, et l’idéal entrevu ! (Vifs applaudissements).

» Et c’est pourquoi nous levons nos verres d’abord à l’ami, l’ami
sûr, loyal et fidèle, au cœur robuste et fier, au grand artiste indé-
pendant, au serviteur passionné de l’idéal, au poète, à Henner !
(Applaudissements répétés). »

Telle est cette admirable allocution, qui, je le répète, a vive-
ment impressionné les amis du nouvel académicien et l’académi-
cien lui-même.

Après un toast également très brillant de M. Larroumet, et que
le défaut d’espace nous empêche de reproduire, M. Antonin
Proust, commissaire spécial des Beaux-Arts à l’exposition
universelle, rappelle à M. Henner qu’il lui doit les deux plus
grandes émotions de sa vie.

« La première, je l’ai éprouvée chez Gambetta, lorsque vous
lui avez offert cette figure de l’Alsace en deuil où vous aviez mis
toute votre âme, et que notre cher et grand ami garda constam-
ment sous ses yeux, à une place d’honneur, dans sa maison de
Ville-d’Avray. »

» La seconde, je l’ai ressentie lorsque, le premier, dans le jury,
vous avez pris la défense du pauvre et grand artiste Edouard
Manet ! »

Après ce dernier toast très applaudi, M. Henner se lève enfin
et une triple salve de bravos l’empêche tout d’abord de se faire
entendre. Quand le silence s’est à peu près rétabli, le maître
s’exprime en ces termes :

« — Mes chers amis, vous comprendrez que dans la situation
où je me trouve en ce moment.... »

— Elle est très enviable ! interrompt M. Français (en riant,
cette fois).

« —...Je ne puisse que vous dire un mot : je vous remercie du
fond du cœur. Mais permettez-moi de boire avec vous, à la santé
de notre cher maître, M. Jean Gigoux, qui, le premier, a eu l’idée
d’organiser cette affectueuse réunion. A mon cher maître et ami
Jean Gigoux ! »

Cent cinquante personnes se lèvent alors et un long défilé
s’organise, chaque convive tenant à choquer son verre contre
ceux des deux grands artistes qui ont eu les honneurs de cette
inoubliable soirée.

A dix heures, un incident charmant ajoutait encore à l’émotion
de tous. M. Jules Lefebvre, le plus sérieux concurrent de
M. Henner à l’Institut, empêché de prendre part au banquet,
accourait en toute hâte pour donner, à son rival heureux, l’acco-
lade fraternelle.

Encore une fois, ceux qui ont eu, comme ifjus,îa joie d-.ssister
à ce ne l’oublieront jamais.

F. J.

Le Gérant : S1LVESTRE

l’aris, — Glyfttcgraphie SÎLVESTRE & Cu, rue Obcrkanipf, 07
 
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