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L’ART FRANÇAIS

ter jusqu'au dernier jour,, avec sa figure à barbe légère, son fin sourire |
■de blondin observateur et avisé, non point paysan comme on l’a dit, j
mais très lettré en même temps que très imprégné des choses rustiques.

Il voyait la nature réellement et poétiquement, rêvant dès lors — ce
qu’il a plus d’une fois réalisé — de faire servir la précision caracté-
ristique et suggestive des détails à.la majesté des ensembles, et de pein-
dre l’immense forêt sans oublier au premier plan le brin d’herbe
courbé sous le poids d’une coccinelle. Entre temps, mêlant Wâtteau à
Corot, il brossait déjà, dans cette gamme blonde et pénétrée de lumure
qui lui est personnelle, des amours tirant à la cible sous les allées d’un
parc feuillu ; il envoyait comme pièce de concours, au prix de Home où
’’ n'arriva qu’au .second rang, son ^Apparition des anges aux bergers ■
mystique et réaliste comme un Noël populaire; et, sur notre conseil,
décrochait du mur de chez mademoiselle Anna, où il moisissait depuis
un an, sans cadre,-au milieu des académies et des esquisses offertes par
les pensionnaires, cet admirable portrait, Mon grand-père, qui,
exposé au Salon, fit le jeune maître illustre en un jour.

Puis chacun s’en alla de son côté, et, demeurés amis, nous ne nous
voyions plus guère, avec Bastien Lepage, qu’au hasard des rencontres.
Un jour je l’aperçus à la terrasse d’un café, près de la gare Montpar-
nasse. Quand je m’approchai, il mit en riant les mains sous la table.
Comme je m’étonnais, allant au devant de la raillerie : — « Voyez, me
dit-il, comme Carolus !... » Et subitement il me montra, autour de
ses poignets, deux manchettes de batiste glorieusement bouffantes.

Nous montâmes à son atelier de l’impasse du Maine, où le ravissait
un jardinet à l’abandon tout encombré de ronces, d’orties et d’herbes
folles. —- « Si le jardinier se présente, j’ai un fusil, je tire dessus ! »
Bastien Lepage achevait alors son tableau des Foins ; et comme il n'é-
tait point très riche, malgré ses manchettes, il travaillait concurrem-
ment à un portrait qui n’a paru, je crois, dans aucune exposition.
C’était , dans la manière minutieuse et archaïque des François
Clouet , une étrangère au type étrange, chargée de joaillerie et vêtue
d?une robe brodée de perles d’un goût barbare et shakespearien.

Bastien Lepage devait me faire deux dessins pour un volume de
Contes de Noël publié chez Charpentier. Ces dessins comportaient un
homme et une pie. — « Il faut que vous me posiez l’homme, dit Bas-r
tien, je ne desssine jamais sans modèle. » Je posai l’homme et Bastien
Lepage se déclara content de moi. Pour la pie, ce fut toute une histoire.
Où trouver une pie vivante ? Car pour rien au monde Bastien Lepage
ne se fût contenté des sujets empaillés et raides qu’on loue dans les
magasins de naturalistes. Après de vaines tentatives chez les charbon-
niers du voisinage possesseurs de pies, qui, tous, énergiquement refusè-

rent de se'séparer même pour un jour, même pour une heure, de leur
volatile préféré, nous passâmes les ponts, et découvrîmes enfin notre
affaire, grâce à Mousseau, qui, portant déjà dans l’âme son Auberge des
Adrets, cumulait pour le moment les fonctions de comédien et de mar-
chand d’oiseaux sur les hauteurs du quartier Pigalle. La pie coûta cher,
car elle parlait plusieurs langues, et fit pendant quelques semaines les
délices de l’atelier et de son jardin abandonné.

J B.L

Je vis encore Bastien Lepage à Ville-d’Avray, peignant — cette
exquisse est une merveille — la chambre étroite et basse où, dans son
lit semé de verdure et de fleurs, Gambetta mort semblait dormir. Et
Bastien Lepage, très ému, me montrait sur le mur, comme un ironique
symbole, l’eau-forte de Legros représentant un chêne tombé.

J’appris ensuite son départ pour l’Algérie, son mal incurable, et
n’espérais plus le revoir.

Une après-midi de ce dernier été, j’allais en visite chez des amis qui,
sur un minuscule petit lac, dans un coin perdu du bois de Boulogne,
possèdent un minuscule bateau. Comme je côtoyais le lac, par dessus
l’ilot hérissé de joncs et d’iris, j’aperçus une flamme au bout d’un mât.
Des voix me hélèrent. L’équipage était au complet : deux personnes !
et, sur le banc d’honneur, me regardant, quelqu’un dont je cherchais le
visage. C'était Bastien Lepage, amaigri, un châle plié sur ses genoux
où s’appuyaient ses mains transparentes et blanches. — « Vous m'aviez
reconnu ? — Parbleu ! tout de suite?. » Mon mensonge lui fit plaisir.
On s’embarqua ; et, tandis que le bateau filait le long du bord, sous les
saules, fendant de sa proue le tapis des lentilles d’eau, nous causâmes.
Bastien Lepage aimait ce coin ; il y venait tous les jours lorsque le temps
le permettait. —«Il était heureux de ce que, devinantson désir, mes amis
eussent mis leur bateau à sa disposition pour la promenade ; mais plus
tard, quand il serait guéri, il aurait un yacht et ferait alors de grands
voyages... » Le soir tombait, le vent était doux : là-bas, de l’autre côté
du lac, près cîe la mère assise qui tricotait, le frère de Bastien Lepage
travaillait à un paysage, sous les arbres. Lui, de ces yeux agrandis qu’ont
les moribonds pour les choses qu’ils ne doivent plus voir, regardait, les
eaux, la verdure. Il souriait, se sentant vivre, nous nous efforcions de
sourire, et ce fut son dernier beau jour.

PAUL ARÈNE.

Le défaut d’espace nous force à remettre à 'notre prochain sumérOj tout
commentaire sur les tableaux de MM, Dupain et de Souza-Pinto, que nous
reproduisons aujourd’hui.

Le Géraut ; S1LVESTRE

Paris, — Gijptograpüie SILVESTRE & Giri rue Oberkampf, 87
 
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