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SUPPLÉMENT A L’ART FRANÇAIS

Béluguette et Bélugon

(conte pour les enfants)

Entre la Noël qui fait flotter sur les villages et les
bourgs, avec un doux parfum d’encens, l’épaisse fumée
des grillades et mêle en une touchante harmonie l’écho
des vieux cantiques populaires aux gloussements des
dindons gras et aux hurlements des porcs qu’on égorge,
— de sorte que là-bas, dans la petite église, à minuit,
illuminée et où se dresse, naïf paysage ! une crèche dont
les rocs ont l’air d’être du nougat, Jésus apparaît, sur
son pinacle, non comme un Dieu et comme un maître,
venu d’en haut, pour guérir les maux de ce monde,
mais comme un ami, qui, une fois l’an, nous apporte,
et ce n’est pas à dédaigner, quelques bonnes heures
d’oubli ; — donc, entre la Noël et le jour de l’An,
entre les joies du grand souper et l’éblouissement des
étrennes, il y a presque toute une semaine paresseuse
et inoccupée, pendant laquelle les enfants et même les
grandes personnes ont l’embarras de leur loisir.

Que faire ? en dehors le froid pique ; et, malgré les
fallacieuses annonces d’un soleil clair et d’un ciel bleu,
on hésite à se hasarder le long de routes luisantés comme
verre et dont les talus aux longues herbes jadis vertes
s’étoilent maintenant d’une gelée craquante et blanche.

Mieux vaut jeter dans l’âtre cette bûche noblement
moussue qu’un subit réveil de la flamme habille de
vivantes dentelles d’or; et, tout en écoutant le feu,
demander à mère-grand de vous conter un de ses
contes.

Mère-grand aime qu’on la prie. — «. Un conte ?
Mais vous les savez tous, mes contes ! A répéter tou-
jours les mêmes, je vous semblerais radoter... »

Enfin, pourtant, elle se décide et chaque fois le conte
est nouveau.

Les choses sont ainsi réglées. Tant que nous aurons
des grand’méres, nous sommes sûrs d’avoir des
contes.

Voulez-vous que je vous dise le dernier ? Véridique
et très court, il contient tort peu de philosophie.
C’est tout simplement l’aventure de Béluguette et Bé-
lugon.

Si on l’appelait Béluguette, c’est que, fille de pauvres
paysans tout le jour au champs pour gagner leur vie,
elle avait, bien petite encore et pas plus haute qu’un
chenet, le soin de surveiller le teu et de faire bouillir la
soupe. Car, dans le patois du pays, Béluguette doit
signifier quelque chose comme étincelle.

Quant à Bélugon, qui était un gentil petit chat tout
noir, les gens l’avaient surnommé ainsi parce qu’il ne
quittait jamais Béluguette du matin au soir, rôdant

autour d’elle et prenant le plus vif intérêt à suivre tous
ses mouvements, soit qu’elle écumât le pot, soit quelle
jetât des brins de genêt sur la braise.

Béluguette et Bélugon s’aimaient. Comment aurait-
il pu en être autrement ? Sans Bélugon la pauvre Bélu-
guette, toujours devant son feu, toute seule, serait à la
fin morte d’ennui, et Bélugon, de son côté, devait la
vie à Béluguette.

Béluguette avait arraché Bélugon à une bande de
méchants garçons qui allaient l’enterrer sous un nover,
le croyant mort ; elle l’avait soigné, guéri, partageant
avec lui, à tous les repas, sa portion de maigre pitance ;
et Bélugon, dans son bon cœur, s’était si fort attaché à
Béluguette que— action étonnante pour un chat —
il poussait l’héroïsme, lorsqu’elle sortait, jusqu’à l’ac-
compagner, trottinant derrière sa jupe et, de loin en
loin, se retournant, tant qu’il pouvait apercevoir, à tra-
vers les herbes et les arbres, le toit fumant de sa cabane.

Jamais Bélugon et Béluguette ne se querellaient.
Jamais ils ne se faisaient de reproches.

Cependant, un jour qu’il pleuvait et que Béluguette
! était triste :

— Ah ! Bélugon. mon pauvre Bélugon, soupirait-
elle en le caressant, ce n’est pas que je plaigne le pain
que tu manges, mais si au moins, pour gagner ta vie,
tu pouvais m’aider à souffler le feu ?

Il faut savoir qu’à cette époque les soufflets n’étaient
pas inventés et que Béluguette soufflait son feu, comme
font encore les pauvres gens, à l’aide d’un roseau
très long dont son père avait percé les nœuds au fer
rouge.

Toujours riant, Béluguette ajouta :

— Ne vois-tu pas, mon pauvre Bélugon, qu’à force
de souffler ainsi j’ai toujours les larmes aux yeux et
que mes cheveux sont gris de cendres.

Béluguette avait dit cela en manière de plaisanterie ;
mais Bélugon miaula, car Bélugon avait compris. Et
depuis, aussitôt que le feu baissait, Bélugon allait s’ac-
croupir devant l’âtre, et, sans que le roseau quittât son
coin, sans que Béluguette eût besoin de se déranger,
les étincelles partaient, les tisons s’empourpraient, et
des salamandres couleur d’or couraient dans les flammes
voltigeantes, comme si, au phosphore des yeux de
Bélugon, les braises s’étaient ravivées. Et Béluguette se
trouvait contente, n’avant plus jamais les yeux rouges,
ni de cendres sur ses cheveux qui étaient des plus blonds
et des plus fins.

Un autre jour, mais bien plus tard, car Béluguette
avait grandi et ses robes d’enfant ne lui allaient plus,
un autre jour comme des mauvais sujets du pays
s’étaient moqués d’elle parce que son cotillon trop court
laissait voir ses chevilles :
 
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