48 PARIS DANS SA SPLENDEUR.
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« Sire, vous êtes le roi des braves, s’écria le baron de Givry, et vous ne serez abandonné que des poltrons. » Givry était de
ceux qui restaient sans si et sans car, suivant l’expression de d’Aubigné; mais ils étaient en petit nombre. La plupart demeuraient
des alliés incertains plutôt que des amis, et quelques-uns même, tels que d’Épernon et Vitry, quittèrent le camp;et emmenèrent
leurs troupes. L’armée se trouva ainsi réduite de près des deux tiers, et Henri n’étant plus de force à faire un siège, se dirigea
vers Dieppe, afin d’aller au devant des secours anglais..
La joie des Parisiens était au comble. Une pension avait été faite à la vieille mère de Jacques Clément, et dès que les avenues
de Paris furent libres, le pèlerinage de Saint-Cloud devint à la mode. Un jour, bon nombre de ligueurs y étant allés en caravane,
le bateau qui les portait sombra au retour, et il ne s’en sauva pas un. « Jugement de Dieu grand et remarquable sur ces nouveaux
idolâtres, s’écrie L’Estoile; car de faire un saint d’un martyr à double potence, c’est proprement faire du ciel une hôtellerie de
tyrans. »
Henri IV remportait cependant sur Mayenne la célèbre victoire d’Arques (22 septembre 1 H89), et, le 1er novembre, les
Parisiens revoyaient sa blanche cornette aux portes de la ville. Henri enleva même par un hardi coup de main les faubourgs de
la rive gauche; mais l’arrivée de Mayenne rendant impossible un plus complet triomphe, il se retira le troisième jour, en plein
midi et à petits pas, dans l’espoir d’attirer l’ennemi qui s’obstina à rester derrière la Seine.
Mais en 4S9O Henri IV revint après la victoire d’Ivry, et alors commença ce siège qu’ont illustré à la fois la poésie et
l’histoire. Paris ne comptait que huit mille soldats pour sa défense; mais sur deux cent vingt-cinq mille habitants de tout âge
et de tout sexe qui se trouvaient dans la ville, quarante mille avaient pris les armes, et puisaient dans leur enthousiasme religieux
une énergie indomptable. Le cours de la rivière était barré par des chaînes; les remparts avaient soixante-quinze canons en batterie,
et l’ensemble de la défense présentait un tel aspect, que le roi désespéra de triompher de vive force avec les vingt mille combattants
qu’il comptait sous ses drapeaux. Les Parisiens n’avaient d’ailleurs que pour un mois de vivres, et en fermant les avenues de la
capitale, en détruisant les moulins, en interceptant les vivres, il ne devait pas être difficile de venir à bout d’une résistance que
les politiques se plaisaient à représenter comme l’œuvre des moines et de l’étranger, beaucoup plus que de la population
elle-même. Henri IV doutait si peu du succès, et d’un prompt succès, qu’il écrivait, le 14 mai, à la comtesse de Grammont:
« Leur nécessité est grande et fault que dans douze jours ils soient secourus ou ils se rendront. » Douze jours, un mois s’écoulent,
et Henri n’entendant point parler de soumission, prend le parti de s’adresse^ aux manants et habitants de la ville : « Nous sçavons
jusques à quelle heure vous devez subsister et sçavons davantage ce que ne sçavez et sur quoy estes abusés, que le secours qu’on
vous promet est imaginaire. » Les bourgeois n’ont qu’une réponse: « Que le roi consente à abjurer le Calvinisme, et nous nous
soumettons. » Henri refuse, et les hostilités continuent. Saint-Denis est emporté par les forces royales, et Paris se voit serré de
plus près par des troupes qui grossissent chaque jour. Plusieurs seigneurs catholiques, qui se tenaient à l’écart depuis la mort
de Henri III, le duc de Nevers notamment et le vicomte de Turenne, profitent en effet de la détresse de la capitale pour rallier
les drapeaux de celui qu’ils tiennent déjà pour vainqueur. L’impatience de Henri ne se borne plus alors à un blocus. « Borgne,
écrit-il à Jean d’Harambure qui avait perdu un œil à son service, j’espère que nous nous battrons bientôt. M. de Turenne arrive
demain; je renforcerai votre troupe. Recommandez-moi aux compagnons. » Puis, avec cette gaîté familière qui lui était habituelle,
« Le chancelier des Quinze-Vingts, ajoute-t-il, vous baise les mains» Gare l’œil, car vous seriez aveugle. »
Mais tous les efforts devaient échouer devant l’opiniâtre résistance d’une population intrépide et dévouée. Un assaut général
fut donné, les faubourgs furent pris, la famine devint affreuse:
■ < - On les vit se nourrir des cendres de leurs pères,
et ils ne se rendirent pas.
L’extrémité cependant était devenue telle, que Mayenne fut réduit à mettre hors de la ville quatre mille vieillards, femmes et
enfants. « Laissez-les passer, dit le roi; il y a pour eux des vivres dans mon camp. » Politique généreuse et habile, qu’Élisabeth
d’Angleterre se refusa toutefois à comprendre et dont elle fit à Henri de vifs-reproches. Mais Henri IV poussa plus loin encore
l’humanité : il fit passer secrètement quelques vivres dans la ville. Sans doute il espérait toucher le cœur des habitants. Ceux-ci
lui envoyèrent, en effet, le cardinal de Gondi, l’archevêque de Lyon et le président Vêtus pour s’entendre sur les conditions de
la paix. Mais la première de ces conditions était toujours l’abjuration royale, et Henri IV, à cet égard, tergiversait toujours.
On n’entendit plus dès lors dans les rues qu’un seul cri : Plutôt la mort qu’un roi huguenot.
El cependant trente mille habitants étaient morts de misère et de faim. Vers la fin d’août, c’est-à-dire après plus de cent
jours de siège, on apprend enfin l’approche du duc de Parme. « Le gros duc! nous verrons s’il a du sang au boni des ongles, »
s’écrie Henri IV; mais, au lieu de s’amuser à des batailles, Alexandre Farnèse s’empare de Lagny, assure les approvisionnements
de la capitale, et Henri est obligé de lever le siège (28 août).
Peindrons-nous maintenant l’état de Paris? A côté de ces vaillants bourgeois dont l’ardente conviction n’était intimidée
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ni par le feu, ni par la faim, ni par la ruine, se cachaient un certain nombre de politiques, hommes d’esprit qui n’avaient de
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« Sire, vous êtes le roi des braves, s’écria le baron de Givry, et vous ne serez abandonné que des poltrons. » Givry était de
ceux qui restaient sans si et sans car, suivant l’expression de d’Aubigné; mais ils étaient en petit nombre. La plupart demeuraient
des alliés incertains plutôt que des amis, et quelques-uns même, tels que d’Épernon et Vitry, quittèrent le camp;et emmenèrent
leurs troupes. L’armée se trouva ainsi réduite de près des deux tiers, et Henri n’étant plus de force à faire un siège, se dirigea
vers Dieppe, afin d’aller au devant des secours anglais..
La joie des Parisiens était au comble. Une pension avait été faite à la vieille mère de Jacques Clément, et dès que les avenues
de Paris furent libres, le pèlerinage de Saint-Cloud devint à la mode. Un jour, bon nombre de ligueurs y étant allés en caravane,
le bateau qui les portait sombra au retour, et il ne s’en sauva pas un. « Jugement de Dieu grand et remarquable sur ces nouveaux
idolâtres, s’écrie L’Estoile; car de faire un saint d’un martyr à double potence, c’est proprement faire du ciel une hôtellerie de
tyrans. »
Henri IV remportait cependant sur Mayenne la célèbre victoire d’Arques (22 septembre 1 H89), et, le 1er novembre, les
Parisiens revoyaient sa blanche cornette aux portes de la ville. Henri enleva même par un hardi coup de main les faubourgs de
la rive gauche; mais l’arrivée de Mayenne rendant impossible un plus complet triomphe, il se retira le troisième jour, en plein
midi et à petits pas, dans l’espoir d’attirer l’ennemi qui s’obstina à rester derrière la Seine.
Mais en 4S9O Henri IV revint après la victoire d’Ivry, et alors commença ce siège qu’ont illustré à la fois la poésie et
l’histoire. Paris ne comptait que huit mille soldats pour sa défense; mais sur deux cent vingt-cinq mille habitants de tout âge
et de tout sexe qui se trouvaient dans la ville, quarante mille avaient pris les armes, et puisaient dans leur enthousiasme religieux
une énergie indomptable. Le cours de la rivière était barré par des chaînes; les remparts avaient soixante-quinze canons en batterie,
et l’ensemble de la défense présentait un tel aspect, que le roi désespéra de triompher de vive force avec les vingt mille combattants
qu’il comptait sous ses drapeaux. Les Parisiens n’avaient d’ailleurs que pour un mois de vivres, et en fermant les avenues de la
capitale, en détruisant les moulins, en interceptant les vivres, il ne devait pas être difficile de venir à bout d’une résistance que
les politiques se plaisaient à représenter comme l’œuvre des moines et de l’étranger, beaucoup plus que de la population
elle-même. Henri IV doutait si peu du succès, et d’un prompt succès, qu’il écrivait, le 14 mai, à la comtesse de Grammont:
« Leur nécessité est grande et fault que dans douze jours ils soient secourus ou ils se rendront. » Douze jours, un mois s’écoulent,
et Henri n’entendant point parler de soumission, prend le parti de s’adresse^ aux manants et habitants de la ville : « Nous sçavons
jusques à quelle heure vous devez subsister et sçavons davantage ce que ne sçavez et sur quoy estes abusés, que le secours qu’on
vous promet est imaginaire. » Les bourgeois n’ont qu’une réponse: « Que le roi consente à abjurer le Calvinisme, et nous nous
soumettons. » Henri refuse, et les hostilités continuent. Saint-Denis est emporté par les forces royales, et Paris se voit serré de
plus près par des troupes qui grossissent chaque jour. Plusieurs seigneurs catholiques, qui se tenaient à l’écart depuis la mort
de Henri III, le duc de Nevers notamment et le vicomte de Turenne, profitent en effet de la détresse de la capitale pour rallier
les drapeaux de celui qu’ils tiennent déjà pour vainqueur. L’impatience de Henri ne se borne plus alors à un blocus. « Borgne,
écrit-il à Jean d’Harambure qui avait perdu un œil à son service, j’espère que nous nous battrons bientôt. M. de Turenne arrive
demain; je renforcerai votre troupe. Recommandez-moi aux compagnons. » Puis, avec cette gaîté familière qui lui était habituelle,
« Le chancelier des Quinze-Vingts, ajoute-t-il, vous baise les mains» Gare l’œil, car vous seriez aveugle. »
Mais tous les efforts devaient échouer devant l’opiniâtre résistance d’une population intrépide et dévouée. Un assaut général
fut donné, les faubourgs furent pris, la famine devint affreuse:
■ < - On les vit se nourrir des cendres de leurs pères,
et ils ne se rendirent pas.
L’extrémité cependant était devenue telle, que Mayenne fut réduit à mettre hors de la ville quatre mille vieillards, femmes et
enfants. « Laissez-les passer, dit le roi; il y a pour eux des vivres dans mon camp. » Politique généreuse et habile, qu’Élisabeth
d’Angleterre se refusa toutefois à comprendre et dont elle fit à Henri de vifs-reproches. Mais Henri IV poussa plus loin encore
l’humanité : il fit passer secrètement quelques vivres dans la ville. Sans doute il espérait toucher le cœur des habitants. Ceux-ci
lui envoyèrent, en effet, le cardinal de Gondi, l’archevêque de Lyon et le président Vêtus pour s’entendre sur les conditions de
la paix. Mais la première de ces conditions était toujours l’abjuration royale, et Henri IV, à cet égard, tergiversait toujours.
On n’entendit plus dès lors dans les rues qu’un seul cri : Plutôt la mort qu’un roi huguenot.
El cependant trente mille habitants étaient morts de misère et de faim. Vers la fin d’août, c’est-à-dire après plus de cent
jours de siège, on apprend enfin l’approche du duc de Parme. « Le gros duc! nous verrons s’il a du sang au boni des ongles, »
s’écrie Henri IV; mais, au lieu de s’amuser à des batailles, Alexandre Farnèse s’empare de Lagny, assure les approvisionnements
de la capitale, et Henri est obligé de lever le siège (28 août).
Peindrons-nous maintenant l’état de Paris? A côté de ces vaillants bourgeois dont l’ardente conviction n’était intimidée
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ni par le feu, ni par la faim, ni par la ruine, se cachaient un certain nombre de politiques, hommes d’esprit qui n’avaient de