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Audiganne, Armand; Benoist, Philippe [Ill.]
Paris dans sa splendeur: monuments, vues, scènes historiques, descriptions et histoire$ddessins et lithographies par MM. Philippe Benoist [und 17 weitere] ; texte par MM. Audiganne [und 23 weitere] (3ième volume): Histoire de Paris - environs de Paris — Paris: Henri Charpentier, 1861

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https://doi.org/10.11588/diglit.71015#0112
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PARIS DANS SA SPLENDEUR.

Au milieu des intérêts si divers qui s’opposaient aux réformes, le Parlement fut, en effet, un obstacle de plus, et le plus
puissant. Il donna une tribune, un scrutin, une sorte enfin de légalité à toutes les plaintes et à toutes les résistances. Le roi
veut-il supprimer la corvée, le Parlement se lève pour protester que le peuple est taill'able et corvéable à merci, et il faut un
lit de justice pour triompher de son opposition. Corps privilégié, il se fait le soutien turbulent de tous les privilèges. Ainsi, plus
d’améliorations possibles ni dans la constitution de la magistrature, ni dans la répartition de l’impôt, ni dans l’organisation du
travail, sans violents refus d’une part, et sans coups d’état dé l’autre. Un jour enfin, le Parlement, à bout de ressources, jette,
au milieu de toutes les passions agitées, le mot terrible des États ; de ce jour-là la Révolution fut faite.
Dans quel état allait-elle trouver les esprits? Le clergé avait eu sa part des faiblesses communes; mais il en avait une surtout
qui lui était particulière, c’était une défiance de ses forces qui le portait à se tenir sur une défensive timide en face d’ennemis
acharnés et audacieux. Comme à l’époque dé la Renaissance, il cherchait trop souvent à se faire pardonner ses dogmes par des
thèses philosophiques et un langage à l’avenant. On prêchait de préférence sur la pudeur, sur la société conjugale, sur La
compassion, sur l’honneur, sur l’amour paternel, sur la sainte agriculture, Au lieu de Dieu, on disait VÊtre Suprême ou la
Providence ; on parlait du Christianisme comme d’une philosophie sublime, et l’on ne prenait pas garde que le respect humain
est déjà une défaite. Paris, du moins, eut alors des pasteurs éminents-par leur fermeté non moins que par leur charité. Christophe
de Beaumont surtout a laissé une mémoire tellement pure qu’elle impose le respect. « Que. n’est-il venu dans mes États, s’écria
Frédéric II, lorsqu’il apprit l’exil de l’archevêque, j’aurais fait la moitié du chemin. » Le Clerc de Juigné, qui succéda à Christophe
de Beaumont, se distingua également par toutes les vertus apostoliques.
La noblesse (nous ne parlons ici que de la noblesse de Paris, c’est-à-dire de la noblesse de cour) avait trempé dans toutes les
hontes et dans tous les complots, complots contre elle-même et complots contre Dieu. Et cependant plus elle se dégradait, plus
elle devenait exigeante. L’histoire dira qu’avant le siècle des lumières et.de la philosophie, une large part fut toujours faite, dans
les conseils de l’Église et de la royauté, aux gens de peu, comme disait Saint-Simon. Suger était un pauvre serf; le premier
comte de Blois fut un palefrenier qui contribua à sauver Paris de la rage des Normands; et sous Louis XÏV lui-même, ce roi si
fier, les ministères et les évêchés étaient envahis, au grand désespoir des courtisans, par la roture. Mais au XVIIIe siècle tout
change. La noblesse accapare, en quelque sorte, les postes éminents, et il vint un jour où le maréchal de Ségur, un ministre
philosophe, un ami de Voltaire, oubliant que de tout temps la profession des armes avait anobli en France, déclara que, pour
porter l’épée, il fallait être gentilhomme.
La bourgeoisie s’était imprégnée d’impiété avec l’Encyclopédie et le Dictionnaire Philosophique; mais si -elle doutait de Dieu,
elle ne doutait d’ailleurs de rien, et son ambition était devenue sans bornes. Aussi accueillait-elle avec transport les idées de
liberté et d’égalité propagées par les philosophes, non pas qu’elle y tînt beaucoup pour le peuple, mais elle y tenait pour elle-même,
comme étant la classe intelligente par excellence. C’était du moins la pensée de Voltaire. « Je vous remercie de proscrire l’étude
chez les laboureurs, écrivait-il à La Chalotais..... Énvôyéz-moi surtout des Frères Ignorantins pour conduire mes charrues ou
pour les atteler. » Ce que voulait la bourgeoisie, c’était la souveraineté parlementaire de Montesquieu, c’est-à-dire la
souveraineté des classes moyennes; mais Rousseau lui opposait la souveraineté du peuple, et celle-là, plus facile à comprendre,
devait finir par tout absorber.
Le peuple, et nous faisons ici abstraction de cette lie qui remplit lés bas-fonds de toutes les grandes cités, avait généralement
conservé son ancien respect pour Dieu et pour le roi; mais de vagues inquiétudes se faisaient jour dans les esprits. Les famines,
depuis un siècle, avaient été nombreuses; elles provenaient le^plus souvent des obstacles apportés par les préjugés locaux et
par les lois à la libre circulation des blés. On crut y remédier en créant des greniers de réserve qui pussent soutenir les prix
par des achats dans les temps d’abondance, et peser sur eux par des ventes dans les temps de disette. L’intérêt du producteur
et celui du consommateur semblaient ainsi assurés, et l’on ne peut s’étonner qu’à une. époque où la liberté du commerce était
antipathique à tous les esprits, cette idée se présentât d’elle-même. Malheureusement, FÉtat ne peut se faire spéculateur sans
éveiller des suspicions et arrêter aussitôt la concurrence; et il ne peut abandonner le soin de l’alimentation publique à une
association puissante sans l’exposer aux manœuvres que suscite toujours plus ou moins l’intérêt privé. Mais ces idées, si
généralement admises aujourd’hui, l’étaient si peu alors, que Napoléon Ier créait encore, il y a cinquante ans, des greniers
d’abondance. En définitive, l’effet de la mesure adoptée par Louis XV fut loin d’être heureux, et la frayeur publique en exagéra
encore les conséquences. Les accaparements devinrent dès lors l’objet familier des terreurs populaires; et, au-dessus du peuple,
on inventait le mot de pacte de famine; on accusait de vouloir affamer la France tous ceux que l’on cherchait à perdre, mais avant
tout le roi et la cour. Et à toutes ces contradictions, à toutes ces passions, joignez maintenant un ardent esprit de recherche et de
découverte qui se portait sur tout, sur la physique, la chimie, la philosophie, la politique, et qui, parce qu’il avait obtenu des
succès marqués dans les sciences naturelles, se croyait appelé à renouveler le monde. Joignez une confiance en soi sans limite, un
besoin de parler, d’être entendu, de dominer la France et l’Europe. Je ne sais si Richelieu lui-même, eût pu dompter tant de vanités
 
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